L’insomnie des étoiles de Marc Dugain

L'insomnie des étoilesVoici un livre dont la lecture me laisse extrêmement partagée. Je n’avais jamais eu envie de lire cet auteur, un de ces auteurs bien installés dans le paysage littéraire français et qui ne m’attire en rien. Mais c’est le sujet du livre qui a retenu mon attention lors de la lecture de certains articles et en voyant des interviews de l’auteur qui dévoile tout lui-même : le traitement des malades mentaux pendant la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. C’est pour ça que j’ai ouvert ce livre, mais malheureusement, quand on connait le sujet de ce livre, il perd la moitié de son intérêt.

En effet, l’histoire se présente comme une enquête, sans policier ni autres attributs nécessaires au roman policier, mais il y a au centre un personnage qui cherche à découvrir une vérité qu’on lui cache. Le capitaine Louyre est chargé de commander une troupe de soldats français restés à l’arrière à l’automne 1945 pour administrer un canton allemand. Ils sont installés dans une ville de province, « une ville de campagne isolée, impénétrable et insensible aux tremblements du monde, résistante aux passions comme aux destructions, solide sur ses traditions, sans regrets pour son passé« . Il y a là un grand bâtiment récemment désaffecté qui fut une maison de convalescence. Et Louyre qui cherche à tromper l’ennui, veut découvrir ce qui s’y est passé, pressentant le pire. Son intuition se précise quand on lui amène Maria, jeune fille trouvée seule dans une ferme isolée qui depuis des mois survivait loin du monde. Il est fasciné par la jeune fille, qui lui apprend que son père est sur le front de l’Est et que sa mère est partie dans une maison de repos au début de la guerre. Elle a des lettres, qu’il lit. Il fait bientôt convoquer le docteur Halfinger qui administrait « un établissement de santé » sis sur le territoire de la commune.

Et Halfinger raconte ce qu’on s’attendait qu’il raconte, à savoir qu’il a été chargé d’éliminer des malades mentaux pendant la guerre. Le problème est qu’il commence son récit après cent soixante-dix pages, et qu’avant, Louyre travaille à comprendre ce qui s’est passé, et comme le lecteur le sait déjà, l’intérêt lié à l’intrigue est totalement anéanti.

C’est d’autant plus décevant que j’ai par ailleurs apprécié ma lecture. Le style de Marc Dugain m’a plu parce qu’il a la froideur nécessaire à un tel sujet, parce qu’il ne tombe dans aucun cliché et qu’il reste d’une grande sobriété. Pas de portrait monstrueux du médecin, pas de dénonciation bien pensante de ces « salauds d’Allemands ». J’ai d’ailleurs trouvé la cohabitation entre Allemands vaincus et troupes d’occupation françaises extrêmement apaisée, peut-être trop, personne ne semble tenir rigueur à personne de ce qui s’est passé pendant cinq ans.

Il y a dans ce roman pourtant court, un concentré dramatique, un arrêt sur image qui photographie une époque même s’il ne donne à voir qu’un coin perdu de l’Allemagne. Le bruit des bombes est très loin, il y a là les acteurs détruits par la guerre même s’ils n’ont pas combattu. Louyre et Maria sont de beaux personnages qui restent assez énigmatiques, j’ai plus apprécié le médecin. Il explique ce qu’il a dû faire, il n’y a même pas de cynisme en lui ni même de faux regrets. Sa certitude fait de lui un personnage terrifiant, qui ne doute pas qu’il a bien agit. C’est un portrait effrayant et réussi.

Je n’ai pour seul regret que d’en avoir su trop sur ce livre avant de l’entamer.

Marc Dugain sur Tête de lecture

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L’insomnie des étoiles

Marc Dugain
Gallimard, 2010
ISBN : 978-2-07-011999-8 – 225 pages – 17,50 €

68 Comments

  1. Je ne pense pas que je le lirai, parce que le sujet ne m’attire pas plus que ça, mais j’ai une question : est-ce la quatrième de couverture en dévoile trop également ? Parce que du coup, toi-même tu révèles finalement cette partie de l’intrigue que tu aurais préféré ne pas connaître tout de suite… Crois-tu que l’on puisse lire le roman sans en savoir trop avant ? C’est vrai que c’est décevant ces romans où une partie de l’intrigue nous est connue et ne nous permet plus de faire corps avec la trame narrative, dans l’attente de savoir… 😉

    1. Non, la 4e ne raconte pas l’histoire. Je me suis demandé si je devais le faire, effectivement, puis j’ai regardé les vidéos disponibles sur l’auteur quand il présente ce livre et il parle toujours et avant tout du sujet du livre, de même dans les revues que j’ai pu lire. J’ai donc fait pareil sans trop d’hésitation.

  2. Je suis bien d’accord avec toi, le médecin donne froid dans le dos !
    Par contre, ça ne m’a pas gênée de connaître très vite le soi-disant mystère. Il me semble que l’objet de l’enquête n’était pas de faire éclater au grand jour cette vérité mais d’obliger les protagonistes à la regarder en face, sans se voiler la face. Les obliger à ne plus se cacher derrière les ordres de leurs supérieurs, assumer toute l’horreur des actes. Il me semble qu’il y parvient finalement vu que le médecin se suicide…

    1. Oui oui bien sûr, mettre chacun devant ses actes et ses responsabilités est au coeur du roman, mais enfin, il emprunte quand même une structure policière, on ne sait pas d’emblée ce que furent les activités de ce village, alors c’est quand même un peu dommage, je trouve.

  3. Je ne sais pas encore si je lirai ce livre dont le sujet ne m’attire pas particulièrement tant je ressens une certaine saturation à force d’avoir lu ces derniers mois de si nombreux récits sur les horreurs de la guerre , de toutes les dernières guerres d’ailleurs mais au moins le style de l’auteur est épuré et sobre, ce qui est loin d’être toujours le cas! (Voir mon abandon du jour où je me suis heurtée à un style des plus ampoulés!)

    1. Pour ma part, c’était le premier. J’ai plutôt entendu du bien sur cet auteur en général, même si j’y allais un peu à reculons (je ne suis pas fan des auteurs français surmédiatisés).

  4. Je l’ai lu sans en connaître le thème principal (je ne lis que le minimum sur un livre avant de commencer) et j’ai beaucoup aimé, mais cela tient surtout à l’atmosphère, et à la façon de raconter qui m’ont séduite…
    En eussè-je su davantage, cela n’aurait rien changé je pense. 😉

    1. Je passe beaucoup de temps à lire les revues, les blogs, à regarder des émissions sur Internet (c’est pour le boulot, bien sûr…). Je note des titres, parfois je ne sais même plus pourquoi j’ai noté mais je me fais confiance… Mais là, ce sujet-là, je ne pouvais pas l’oublier puisque c’est un de ceux qui m’intéressent depuis longtemps. Je trouve soit qu’il n’aurait pas dû en dire tant à tous les médias, soit ne pas choisir cette structure d’enquête qui du coup s’avère vide de sens. Mais j’ai aussi été sensible au style qui colle très bien au thème.

  5. Je suis rassurée sur ce que tu dis du style de l’auteur. Ce roman ne me tente pas mais par contre, « La malédiction d’Edgar » m’intéresse.

  6. Je le lirais dès sa sortie en poche, il ne fait pas partie de mes priorités mais en même temps c’est un auteur que j’ai apprécié dans deux livres précédents
    j’ai lu un peu en diagonale les billets pour ne pas être « gavée » avant même la lecture,
    Un petit mot pour Manu : j’ai trouvé passionnante « la malédiction d’Edgar » bio romancée très bien menée

  7. Le titre est beau… le thème beaucoup moins.
    Ce qui m’étonne, c’est que l’auteur ait éprouvé le besoin d’aller voir du côté d’un asile en Allemagne, alors que chez nous la situation était aussi catastrophique!
    Car c’est un lieu commun de dire que les malades mentaux, dans leurs asiles, étaient considérés comme des bouches inutiles, et les années d’occupation ont été terribles.
    Terribles aussi pour les psychiatres, enfermés avec leurs malades privés de ressources et promis à l’inanition. C’est tellement plus simple de laisser faire la « nature ». Au point que je ne cherche pas à savoir comment faisait le docteur Halfinger.
    Situation dramatique mais qui a amené à un changement radical à la libération, avec les thérapies institutionnelles et les bases de la pychiatrie de secteur.
    Changement incroyable puisqu’il s’agissait de tenir compte de ce que disaient les patients, de leur demander de participer à leur traitement, bref de les traiter comme des êtres humains… Pas évident d’accepter la différence, et des comportements bizarres.
    Le plus souvent c’est le rejet, l’éloignement: ce n’est pas pour rien que les asiles sont toujours situés à la campagne, au bon air.

    1. Il choisit l’Allemagne pour « illustrer » les agissements des nazis sur les malades mentaux. J’espère vraiment que les Français n’ont pas agi de même.. éloigner, voire parquer ensemble dans de mauvaises conditions est une chose, expérimenter en est une autre…

  8. je suis contente de ne pas avoir parlé des malades mentaux dans ma chronique : je ne gâche pas la lecture des autres 🙂

    sans crocher totalement, j’ai bien aimé ce livre, qui est totalement dans la vague des romans historiques inspirés de la seconde guerre mondiale du moment. j’y ai vu également des parallèles avec Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, dans cette manière d’aborder une horreur individuelle pour parler d’horreurs collectives…

    1. Je trouve qu’en choisissant de parler des malades mentaux, Marc Dugain se détache justement un peu des romans ou récits sur la Seconde Guerre mondiale ; c’est un angle original, me semble-t-il…

  9. Salut, je comprends parfaitement ton point de vue concernant Marc Dugain. J’avais été bluffé par La chambre des officiers, amusé et intéréssé par La malédiction d’Edgar et déçu par Une exécution ordinaire. C’est pour cette raison que j’ai été plutôt frileux lorsque j’ai entendu parler de son dernier livre dont le sujet m’intéresse pourtant. Je verrai lors de sa sortie en poche…
    Par contre, si le style t’a plu, tu ne seras pas déçue par le court roman qu’est La chambre des officiers.
    A bientôt.

    1. Merci au connaisseur de Marc Dugain que tu es d’avoir posé un com’ ici. En fait, je suis assez attirée par l’adaptation ciné de Une exécution ordinaire qui parait-il est un bon film qui n’a pas eu le succès qu’il méritait. Et la Russie soviétique, les crimes et les derniers jours de Staline, tout ça m’intéresse.

      1. Il y a une BD qui vient de sortir sur ce sujet intitulée tout simplement La Mort de Staline. Je ne l’ai pas lue mias je pense que c’est un travail de bonne qualité, j’ai entendu des échos positifs. Sinon, j’avais beaucoup aimé les livres des frères Vaïner. L’évangile du bourreau revient en partie (enfin je crois) sur la mort du petit père des peuples. Par contre, il n’est pas facile à lire et j’avais préféré La corde et la pierre et 38, rue Petrovka que je te conseille sans hésitation.

  10. J’ai lu ce roman à sa sortie mais j’ai été incapable d’écrire mon billet. Je n’ai pas vraiment réussi à accrocher même si j’ai beaucoup aimé l’écriture de l’auteur.

  11. Un livre qui m’attire depuis la rentrée mais que je n’ai pas encore lu. Peut être quand il sortira en poche où si je le trouve d’occasion d’ici là. Comme ça, j’aurai oublié de quoi parle le roman. Et j’aurai de nouveau la surprise.

  12. J’avais lu et aime ‘La chambre des officiers’ (meme si j’ai eu du mal a m’habituer au style) mais depuis sa visite a L’Institut Francais de Londres il y a quelques mois, je n’ai pas eu envie de renouveler l’experience…il a reussi en une heure a consolider tous les cliches que les etrangers ont sur les Francais…

  13. Oui… mais alors, maintenant, on en sait trop, nous aussi ?
    Parce que, jusqu’à présent, j’avais zappé tous les billets sur ce livre et c’est avec le tien que je le découvre…

  14. Ton billet montre qu’il est important de ne pas dévoiler l’histoire lorsqu’on écrit sur un livre… Je ne savais rien de ce livre lorsque je l’ai acheté et je l’ai bien apprécié (il est écrit dans un style remarquable), il me semble que la lecture en aurait été moins délectable si j’avais su le fin mot de l’histoire. D’ailleurs, très souvent j’aime lire des romans sans en connaître le contenu, je préfère savoir si telle ou telle personne l’a aimé ou non mais je n’aime guère lire les résumés des romans, en général je les saute et vais directement à l’appréciation.

    1. Ce qui m’étonne le plus, c’est que ce soit l’auteur du livre lui-même qui dans sa campagne de promo part bille en tête sur le sujet, c’est-à-dire le mystère que son « enquêteur » cherche à résoudre…

  15. Le passage de l’auteur à La grande Librairie sur F 5 avait retenu mon attention et m’avait donné envie de lire ce livre. L’envie est toujours là, même si je prends note de ton bémol bien expliqué.

  16. Tu en parles si bien que j’aurais presque envie de me jeter dessus… Je dis presque parce que Noël arrive, et que le mois de décembre est pour moi, un mois de lectures plaisirs… Des lectures plus ciblées Noël quoi… Mais plus tard, oui, pourquoi pas.
    Bonne journée Ys

  17. Bonjour, Avec le recul, je garde un bon souvenir de ce livre. Certes, le livre est peut-être trop court, l’intrigue vite reconnue, dévoilée, j’aurais souhaité plus de détail sur Maria…, mais je me demande si le livre n’en aurait pas souffert. Bonne semaine.

  18. Bien que le sujet de ce roman soit connu parce que Marc Dugain en a largement parlé, je sais que je le lirai. Le thème me parle, l’époque aussi (on s’en doute un peu !) et les personnages sont plutôt singuliers, déliés de tout, presque déconnectés de la réalité. Ce roman semble raconter l’histoire d’un entre-deux-mondes, ou bien je me trompe ?! Cette atmosphère me fait un peu penser à une pièce de théâtre magnifique de Ronald Harwood, « A torts et à raisons » … Sauf que la pièce traite du dossier de Wilhelm Furtwangler et de son implication ou non dans le système nazi. A lire …

    1. Je ne connais pas cette pièce. Et tu as raison, il règne une atmosphère très étrange dans ce livre, je m’attendais à voir un esprit beaucoup plus revanchard chez les Français, mais on voit surtout des gens qui ont souffert des deux côtés, trop souffert, et pour longtemps.

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