Kamchatka de Marcelo Figueras

KamchatkaNé à Buenos Aires en 1962, Marcelo Figueras a choisi de raconter le coup d’État du 24 mars 1976 et la dictature de façon non conventionnelle, par les yeux d’un jeune garçon de dix ans. Le narrateur est devenu adulte mais il raconte les faits tels qu’il les a vécus étant enfant : le brusque arrachement à la vie quotidienne, l’arrivée à la campagne dans une maison morose où il n’y a pas l’eau courante, papa qui se fait pousser la moustache, tous les membres de la famille qui changent de noms et les enfants auxquels on apprend vite les prières pour les emmener à l’église, histoire de ne pas paraître suspect dans ce nouvel environnement.

Pour les enfants, tous les jours ressemblent dès lors un peu à des vacances, avec télé toute la journée et pas d’école. Mais l’enfance est égoïste et ce que ressent surtout le petit narrateur c’est l’arrachement à ses amis, à ses jeux. Cette tonalité enfantine, mais pas puérile, donne une très grande fraîcheur au récit de cette période tragique et certaines scènes de famille, en particulier avec la revêche grand-mère Matilde, ont un air irrésistible de Petit Nicolas.

Bien que la violence soit perceptible à chaque page, elle n’est pas au centre du roman, pas plus que la politique qui pourtant règle la vie de cette famille : il y a des choses à ne pas dire, des endroits où il ne faut pas aller, et l’inquiétude qui plane toujours parce que les collègues de papa se font arrêter, parce qu’il y a partout des barrages de police et que maman tarde à rentrer. Ce qui préoccupe Harry, c’est de gagner contre son père au Risk, de sauver la vie des crapauds suicidaires qui se noient dans la piscine et surtout, de s’entrainer pour devenir évasioniste, comme Houdini, son idole. Pour son petit frère, dit le Lutin, ce sont le Nesquik et son Dingo. Et le Kamchatka dans tout ça ? Cette contrée asiatique est le dernier mot prononcé par son père à Harry quand il doit le quitter, c’est le nom d’un territoire au Risk, un territoire qu’il n’a jamais cédé même au plus fort de la tourmente, un lieu où on peut se réfugier pour résister.

Ce roman est donc un récit d’enfance à la fois triste et drôle, c’est la vie d’un petit garçon pris dans une tourmente dont il n’envisage pas l’ampleur et que ses parents cherchent à préserver, sans pour autant lui fabriquer un monde illusoire. Ils cherchent à entretenir tant qu’ils le peuvent un îlot d’amour, à profiter de ce qu’ils savent être leurs derniers jours avec leurs enfants. C’est infiniment triste et pourtant, il y a beaucoup d’espoir dans ce roman qui souligne que pour résister il non seulement des convictions mais aussi beaucoup d’amour.

Marcelo Figueras a écrit un scénario à partir de son roman, porté à l’écran par Marcelo Piñeyro, dans une adaptation des plus fidèles. C’est un film extrêmement touchant dans lequel tous les acteurs sont très justes. L’amour des parents pour leurs enfants est perceptible à chaque image sans jamais la moindre sensiblerie. Le dernier quart d’heure du film, quand les parents savent qu’ils vivent leurs derniers instants en famille avant de laisser leurs fils aux grands-parents, est terriblement émouvant. Ricardo Darin incarne le père du petit garçon et Cecilia Roth la mère avec sobriété et conviction.

Je conseille tout autant le livre que le film, pour avoir une vision différente de la dictature, celle d’un petit garçon qui ne comprend pas bien mais voit la violence et la peur envahir sa famille.

Kamchatka

Marcelo Figueras traduit de l’espagnol par Vincent Raynaud
Panama, 2007
ISBN : 978-2-75557-0095-4 – 370 pages – épuisé dans cette édition

Kamchatka, parution en Argentine : 2003

31 commentaires sur “Kamchatka de Marcelo Figueras

  1. J’espère vivement qu’il sera repris en Poche ou alors peut-être est -il déjà à la bibliothèque d’ici. C’est terrible ces destinées d’enfants en ces périodes de dictature.

    1. Mon premier réflexe quand je lis un billet sur un livre qui m’intéresse : les catalogues en ligne des trois bibliothèque que je fréquente, et souvent je trouve… j’espère que toi aussi tu mettras la main dessus !

  2. A voir en bouquinerie ou en occasion alors. Je ne me souviens absolument pas d’un film, je ne l’ai probablement pas vu, C’est une bonne idée de voir les évènements à travers les yeux d’un petit garçon.

    1. Oui, ça montre que la vie continue et que malgré l’oppression, il y a encore de la place pour l’amour, que les régimes totalitaires n’éradiqueront jamais les liens entre les gens qui s’aiment…

  3. Difficilement trouvable? Mouhaha! je l’ai vu il y a un an ou deux à la bibli de S…. Tu vas finir par demander ta mut’…

  4. J’ai beaucoup aimé le film. Il semble asse fidèle au roman. Par contre le Kamchatka, c’est une région volcanique de Russie alors soit tu as fait une erreur dans ton billet soit j’ai rien compris…

    1. extraits de Wikipédia : « Le Kamtchatka est une péninsule volcanique de 1 250 km de long située en Extrême-Orient russe qui s’avance dans l’océan Pacifique » ; « L’Extrême-Orient russe est la partie asiatique de la Russie située à l’est du fleuve Lena et forme l’un des huit districts fédéraux russes : le District fédéral extrême-oriental. » En bref, la partie asiatique de la Russie…

  5. C’est sympa de mettre des visages sur les personnages. N’ayant pas la tv ni un débit internet conséquent je ne suis pas prête de voir ce film, dommage.
    C’est tjs touchant de voir les parents aider leurs enfants à transformer le drame en qq chose de supportable (j’entendais l’autre jour une française parler de la façon dont elle et son fils avaient renversé les jours après le tremblement de terre au Japon en une sorte de jeu) comme dans le film La vie est belle.
    Heureuse d’avoir partagé ce plaisir de lecture avec toi !

  6. ne connaissant ni le livre ni le film..dommage que le livre soit difficilement trouvable.pour le film peut etre que la mediatheque l’a en rayon.

    1. Le minimum à savoir c’est qu’il y a eu une dictature et que des gens ont dû fuir pour ne pas être arrêtés suite à leurs activités de résistance… après, c’est le regard d’un enfant, sans explication du contexte.

  7. Dommage qu’il soit difficilement trouvable, je trouve souvent intéressant les romans dans lesquels les dictatures ou les guerres sont vues à travers les yeux d’un enfant.

  8. Je ne connais ni le livre ni le film mais l’histoire et la manière dont elle est traitée me plaît beaucoup;
    Je vois que tu adores la littérature sud-américaine. Si cela te dit j’ai deux livres voyageurs (voir colonne de gauche dans Ma librairie; catégories) : un écrivain colombien William Ospina « le pays de la cannelle » et un écrivain mexicain Guillermo Arriaga : « Mexico quartier sud ».

    1. Merci de cette aimable proposition. J’ai lu le roman qui précède Le pays de la cannelle et il ne m’a pas beaucoup plu ; quant à Arriaga, j’ai lu un polar de lui, mais si j’ai envie de lire de ses nouvelles, je penserai à toi : encore merci !

  9. Ca compléterait bien la lecture que je viens de terminer Le bleu des abeilles. L’histoire d’une fille de 11 ans qui est exilée en France pendant la dictature. Le livre est également racontée à travers son regard. Je vais voir si je peux trouver ton histoire en film.

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