Carte du labyrinthe d’Alberto Torres-Blandina

Carte du labyrinthe d'Alberto Torres-BlandinaTrois voix pour une histoire : Jaime, Elisa, Alberto. Ce dernier accumule les femmes et aime photographier ses conquêtes dans des poses suggestives. Jaime, photographe, développe les clichés d’Alberto, en fait même des copies pour son usage personnel. Il est pourtant heureux en mariage, son épouse ne lui refuse rien, et il est fou de sa petite fille. Bientôt, Alberto ne prend plus de photos coquines mais des prises de vue romantiques, toujours avec la même femme que Jaime surnomme la femme du quai. Un jour il la croise et la suit. Quand il ose l’aborder, il dit s’appeler Pedro, du nom de son cousin suicidé qui n’était pas aussi insignifiant que lui.

L’histoire racontée par trois voix est loin d’être aussi linéaire que ce résumé. Ce n’est que peu à peu que le lecteur retrace le parcours de ces trois protagonistes, qu’il apprend à connaître leurs espoirs et leurs blessures. C’est autour du couple et de l’amour que s’articule tout le roman, construit comme un labyrinthe où il faut accepter de se perdre pour comprendre ces trois destins. Et qui dit amour dit sexe, dont il est aussi beaucoup question dans des termes souvent crus.

Je pourrais dire que l’amour ne se réduit pas à la possession de l’autre, surtout du sexe de l’autre, comme notre éducation chrétienne nous l’a appris. On peut aller au cinéma, dîner ou jouer aux cartes avec d’autres mais pas coucher avec. On peut penser à eux jour et nuit, mais pas tirer un coup de cinq minutes. Pourquoi est-ce qu’on accorde une telle importance au sexe, un petit organe que possède tous les animaux ? Est-ce que l’amour se concentre exclusivement là ? Ne devrait-il pas être dans le coeur ou dans l’âme ?

Ainsi pense Elisa, à contre-courant du modèle dominant sur lequel est bâtie la société occidentale (un couple, un foyer, des enfants). L’infidélité d’Alberto ne lui pose donc aucun problème, elle l’aime trop pour l’empêcher de faire ce qu’il veut. Séduire pour lui est une façon de se sentir vivant à laquelle il ne peut renoncer. Mais le drame s’installe dans le couple quand Elisa se fait violer. Dès lors, Alberto ne supporte plus le sexe, le sien plus que les autres.

L’amour d’Elisa et Alberto change brusquement, par surgissement de violence, mais Jaime lui connait l’amour qui se délite :

Aujourd’hui est identique à hier. Et demain promet de ne pas être différent. Cela m’effraie et me paralyse. Il n’y a rien qui aille mal dans ma vie, voilà le problème : mon travail ne me déplaît pas, j’aime ma femme et je mourrai pour ma fille. Pour ma femme aussi. Ma maison est grande, jolie et ensoleillée, ma voiture est neuve et j’ai quelques économies à dépenser en voyage, pour un appartement en bord de mer ou ce qui me plaira. Rien ne va mal et c’est ce qui transforme ma vie en prison.

Ne jamais interroger le bonheur quotidien reste le meilleur moyen de conserver la fadeur d’un amour, comme un chewing-gum qu’on garde en bouche pour le plaisir après qu’il a donné tout son goût, par habitude. Elisa en décide autrement pour conserver l’amour de Jaime, pour ne pas mâcher toute sa vie.

Nous ne pouvions pas permettre ça : se regarder sans se voir, se toucher sans frissonner, s’embrasser par habitude, se déshabiller et ne pas désirer se déchiqueter à coups de dents, se posséder au point de s’ignorer, sentir jusqu’à l’insensibilité. S’aimer jusqu’à la tendresse.

C’est beau, fort, dérangeant, très peu conventionnel et un poil déprimant.

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Carte du labyrinthe

Alberto Torres-Blandina traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse
Métailié, 2011
ISNB : 978-2-86424-77068 – 200 pages – 18 €

Mapa desplegable del laberinto, parution en Espagne : 2010

23 commentaires sur “Carte du labyrinthe d’Alberto Torres-Blandina

  1. Déjà repéré chez Yv, mais j’hésite, si en plus c’est un poil déprimant… La pluie devrait suffire pour l’atmosphère!

    1. Comme je le dis à Keisha, je ne connais pas beaucoup de livres drôles sur le couple, le grand amour à l’épreuve du temps… mais je suis preneuse pour les suggestions !

  2. J’ai beaucoup aimé les deux livres de cet auteur Le Japon n’existe pas, dans un registre moins tendu et plus drôle et celui-ci que j’ai trouvé très fort, dérangeant comme tu le dis très bien. Une histoire et des personnages qui m’ont touché. Chacun des trois peut représenter une partie de nous-mêmes, même s chacun, dans sa « réalité » littéraire est très différent l’un e l’autre et du lecteur. Je ne suis pas sûr d’être bien clair sur cette dernière phrase, mais je la laisse au cas où…

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