Bienvenue à Oakland d’Eric Miles Williamson

Bienvenue à Oakland d'Eric Miles WilliamsonPas sûr que vous ayez envie de mettre les pieds en Californie après la lecture de Bienvenue à Oakland. T-Bird Murphy, écrivain et narrateur énervé, entreprend de raconter sa vie et celle de ses potes du quart-monde américain. Derrière les belles baraques et les grosses bagnoles, il y a T-Bird qui crie sa rage, et ça décoiffe.

Pas d’histoire ni d’intrigue au sens propre, mais un long récit fait d’anecdotes glauques et de digressions sur la vie qu’on mène quand on est né d’une mère qui s’est fait tringler par tous les Hell’s Angel à la fois, élevé par un Bud Murphy qui en chie dans son garage, entouré de paumés qui se font larguer par des pétasses auxquelles ils doivent payer une pension alimentaire. T-Bird lui n’a pas de femme, il bosse depuis son plus jeune âge pour arriver à dormir dans sa voiture, au mieux dans son camion-poubelle. Issu d’Irlandais, tabassé autant pas les Noirs que par les Mexicains, T-Bird grandit bien à l’ombre du rêve américain, sans en récupérer ne serait-ce qu’une miette.

Mais il a des choses à dire sur la société, et même sur la littérature. Énervé à souhait, mais pas inculte, il connait ses classiques et déteste ce qui ne sort pas des tripes. La littérature c’est la vie, pas du jus de crâne, que Pynchon et Updike (paix à son âme) se le disent.

Ce dont on a besoin, c’est d’une littérature imparfaite, d’une littérature qui ne tente pas de donner de l’ordre au chaos de l’existence, mais qui, au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l’anarchie, apporte de l’anarchie, qui encourage, nourrit et révèle la folie qu’est véritablement l’existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n’a pas d’assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n’avait pas de quoi se payer une bonne équipe d’avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble, comme ces transformateurs électriques sur lesquels on pisse dans la nuit noir d’Oakland. La prose de John Steinbeck n’est peut-être pas la plus élaborée du monde, mais au moins Steinbeck avait quelque chose d’important à dire.

La déclaration d’intention est explicite, et même si elle n’arrive qu’à la page 190, le lecteur de Bienvenue à Oakland a compris depuis longtemps qu’il est l’otage d’une parole qui ne souffre aucune contestation. Pour être vivant, il faut être pauvre et désespéré… pour être écrivain aussi, le reste n’a même pas lieu d’être imprimé… Pour T-Bird Murphy, il n’y a de littérature que dans l’hyper réalisme et la contestation… légèrement extrémiste comme point de vue. D’autant plus que le lecteur doit supporter les vociférations du narrateur qui tout au long du roman l’apostrophe et vitupère, allant au-delà des critiques :

Bordel, quel dommage – tu veux dire qu’il est possible que quelqu’un ne soit pas d’accord avec moi ? De toute façon, il y a tellement peu de gens qui vont lire mon livre que cela ne me dérangerait vraiment pas de taper sur les nerfs des lecteurs. Bon Dieu, ça me plairait de taper sur les nerfs d’un paquet de monde. Parce que je ferais ressentir à tous ces trous du cul un petit quelque chose.

Il n’est pas certain que c’est en l’énervant, et en étant le plus vulgaire possible que l’écrivain touche le lecteur. Ça n’est pas en alignant le plus grand nombre « salope », « enculé », « bite » et « cul » qu’il donne le mieux à percevoir la réalité d’Oakland. Personnellement, j’ai l’impression d’être l’otage d’une langue qui se veut vraie et qui sous prétexte de réalisme linguistique se croit autorisée à être constamment vulgaire. Et pour reprendre Steinbeck qui avait des choses à dire, il ne les disait pas sur ce mode-là et tout le monde le comprenait.

Eric Miles Williamson choisit la provocation, comme beaucoup avant lui. Je ne le tiens malheureusement pas pour un grand styliste (d’où l’utilisation incessante de l’italique pour souligner l’importance de certains mots), sa prose finit par lasser et oblitérer les atouts du roman. Car les personnages de Bienvenue à Oakland bénéficient de cet excès de réalisme qui nuit à la langue et s’incarnent quasi sous nos yeux. Il y a certes la tristesse, la puanteur, et la misère, mais aussi la solidarité et l’amitié, la conscience aiguë de partager un commun destin au fond du gouffre social. On arrive même à sourire quand enfant, T-Bird se venge de FatDaddy qui le fait trimer un mois dans son jardin pour soixante-quinze cents.

Quand on prend à ce point le lecteur à partie, on en laisse forcément sur la touche, les sourds aux vociférations dont je suis.

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Bienvenue à Oakland

Eric Miles Williamson traduit de l’anglais par Alexandre Thiltges
Fayard, 2011
ISBN : 978-2-213-65425-6 – 411 pages – 22 €

Welcome to Oakland, parution aux États-Unis : 2009

28 Comments

  1. Belle chronique. Perso, j’ai vraiment eu assez difficile à m’accrocher.
    Je suis vraiment d’accord avec ce que tu décris ici.
    Ok, c’est bien de se révolter contre la société et décrier que tout est tordu… mais je trouve ça lassant parfois.
    C’est beau de crier, mais parfois il faut bouger pour faire changer les choses.

  2. Tu m’avais dit que tu lirais volontiers le James Frey Le dernier testament de Ben Zion Avrohom; je l’ai mis en livre voyageur. Pas sûre que le bouquin te plairait parce qu’il est, lui aussi, du style provocateur et il peut choquer si j’en juge par des réactions autres que la mienne. Mais si cela te tente, inscris-toi dans les commentaires!

  3. J’ai du mal aussi avec les grossièretés tous les trois mots. Comme tu le dis, ce n’est pas nécessaire pour faire passer un message. De toute façon, ce pauvre chien sur la couverture était déjà rédhibitoire pour moi.

  4. Je conçois aisément qu’on puisse détester, on dirait presque que l’auteur à tout fait pour !
    Personnellement, j’ai voulu percevoir le personnage de T-Bird au travers de tout cela, derrière cette « façade » et c’est là que je suis arrivée à accrocher (en m’accrochant par moment, je le reconnais 😉 )
    Sans doute faut-il une disposition d’esprit particulière, à un moment particulier…peut-être qu’une semaine avant ou un mois après, je n’aurais pas réussi, j’aurais été exaspérée… Qui sait ?
    En tout cas, ce n’est pas mon style habituel de lecture et si l’auteur écrit toujours de cette manière agressive, je ne suis pas certaine de réitérer ! Malgré tout, je n’en garde pas un mauvais souvenir, avant tout parce que l’ambiance générale est bien rendue.

    1. Il y a tout de même de bons passages, en particulier le « manifeste » littéraire dont j’ai transcris un extrait. C’est très intéressant cette façon d’envisager la littérature, c’est valable pour bien des auteurs avant lui, mais c’est ici exposé clairement.

  5. Bon, bon ! On me l’a conseillé et je l’ai pris … On verra lors de sa lecture ! J’étais un peu réticente au vu de la 4ème de couverture, mais ton billet me confirme (un peu) sur mes doutes et a priori ! C’est le côté misère sociale et la vision du rêve américain brisée qui m’ont fait passer de l’autre outres mes craintes. Je vais lire les avis positifs pour me faire une opinion générale, et le lire pour confirmer ou infirmer tes réticences.

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