Nous avons tous des idées préconçues sur la littérature de certains pays. Pour le Mexique, on pense tout de suite aux sombreros, à la tequila et aux mariachis. Aux narcotrafiquants aussi, à la violence. Jorge Volpi est le chef de fil d’un mouvement littéraire mexicain qui par opposition au «boom» latino-américain des années 60-70, s’est humoristiquement appelé le «crack». Rien à voir avec la drogue, le crack revendique une littérature sans racine ni devoir de mémoire, au final, sans couleur locale. Et c’est bien ce qu’il y a de surprenant quand on ouvre La fin de la folie, si peu de mexicanité.
Aníbal Quevedo, psychanalyste et mexicain, se trouve à Paris en mai 1968. C’est sur les barricades qu’il rencontre Claire, patiente et maîtresse de Lacan dont il fait la connaissance grâce à elle. Les deux hommes deviennent assez proches pour que Quevedo se fasse le psychanalyste de Lacan. Le jeune Mexicain ne cessera dès lors de rencontrer le tout Paris de gauche, tout ce qui fait son intelligentsia révolutionnaire : d’Althusser à Roland Barthes, de grands noms par la petite fenêtre.
Amoureux fou de Claire, le héros de Jorge Volpi la suit où qu’elle aille, et même jusqu’à Cuba où il devient pour quelques hilarantes séances le psychanalyste de Castro qui a perdu le sommeil depuis longtemps. Puis la Bolivie et encore Paris. Mais la jeune fille n’a cure de son amoureux transi, elle se donne à tous et à plusieurs, mais surtout pas à lui.
L’intrigue de ce roman de Jorge Volpi est mince, pour ne pas dire inexistante, l’intérêt est dans le parcours intellectuel de Quevedo, qui finira par retourner au Mexique pour y devenir un vieux barbon des lettres, aux dires de certains. Ce personnage est à ce point crédible que j’ai fini par le chercher dans Google. Oui, je me suis fait prendre au jeu de cette création littéraire terriblement vivante, dans laquelle la fiction rejoint si bien la réalité historique qu’elle en devient une version possible. Lacan, Castro, Cohn-Bendit, Foucault : il semblerait que Jorge Volpi les ait côtoyés, lui qui est pourtant né en 1968… Chapeau bas pour la reconstitution, un Français n’aurait pas fait mieux.
De plus, ce roman n’est pas seulement bien documenté (sans être didactique), il est souvent très drôle. La séance de psychanalyse de Castro vaut son pesant de cacahuètes, avec le psy allongé et le patient faisant les cent pas et refusant de raconter sa vie, non mais et puis quoi encore !
« Je vous dis de vous allonger ». Il n’eut pas à me le répéter une troisième fois. Je me levai de la bergère qu’il m’avait destinée en début de séance et allai m’étendre sur l’alignement de sièges en osier. C’est là une variante inédite de la technique psychanalytique : pendant que le patient marche de long en large dans la pièce, l’analyste reste tranquillement couché sur un divan improvisé.
Très drôle aussi la scène de délibérations pour l’attribution d’un prix littéraire et (surtout) révolutionnaire à La Havane à la même époque. Les portraits en creux de Quevedo fournis par diverses voix dans la dernière partie du livre sont également d’un humour grinçant très bienvenu sur le monde des lettres. C’est que Volpi n’est tendre avec personne, n’épargnant ni les révolutionnaires, ni les intellectuels et artistes de gauche dont l’absolutisme tourne parfois au ridicule.
Il est certain que si on ne s’intéresse pas à tous ceux que la gauche française a réuni d’intellectuels au sortir de mai 68, et qu’on n’a pas envie d’en savoir quoique ce soit, ce livre de Jorge Volpi ne plaira pas. Ceux qui tenteront l’aventure en sortiront certainement bluffés par tant d’érudition, de maîtrise narrative et d’humour. Malgré les sujets abordés, le roman se lit d’une traite et sans faiblir. Il y a bien quelques petites longueurs ça et là, mais rien de bien grave compte tenu de la virtuosité de l’ensemble.
Jorge Volpi sur Tête de lecture
La fin de la folie
Jorge Volpi traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli
Points, 2010
ISBN : 978-2-7578-1139-9- 526 pages – 8 €
El fin de la locura, parution en Espagne : 2003
Très intéressant, j’ai connu l’époque où l’on encensait tous ces gens là (ce qui ne fait pas de moi une centenaire hi hi), un étranger qui s’en moque, c’est mieux que si c’était un Français. D’ailleurs, ils n’osent toujours pas.
Si un Français écrivait un tel livre, on en entendrait parler pendant des lustres, limite s’il n’aurait pas droit un procès par intelligentsia !
Tu me tentes, bien entendu ! L’époque, le lieu, l’humour et la crédibilité du tout… Je ne risque rien à le noter, hein ! 😉
Surtout maintenant que tu as des accointances avec la littérature mexicaine 😉
Sûrement délectable malgré ou à cause de l’invraisemblance.
Imaginer que Lacan, avec son ego surdimensionné, se mette dans la peau d’un analysant… idem pour Castro.
Reste une galerie de portraits et des rencontres improbables, c’est un genre assez amusant.
Les grands hommes n’en sont pas moins égratignés et Lacan, tout savant qu’il est, n’en est pas moins parfois ridicule, c’est ça qui fait du bien 🙂
Je note qu’il y a de l’humour, je te fais confiance, 526 pages quand même. Noté pour quand je retournerai (littérairement) dans ce coin là. Est à la bibli de R., c’est tout bon!
Tu as raison, il est gros, mais je n’ai pas vu passer les pages !
Ayant eu du mal à y entrer, je l’avais abandonné, ton billet donne envie d’y retourner !
Ah bon ? Pourtant, ça part bille en tête sur les barricades, rencontre avec la jeune fille, puis Lacan, ça donne bien le ton…
Je note d’autant plus que je suis liée à un projet liée au Mexique – j’en parlerai prochainement sur le blog- et si tu as d’autres auteurs mexicains à me conseiller, je suis preneuse !
j’ai lu beaucoup d’auteurs mexicains ces derniers temps, beaucoup de bons, j’en rends compte pour certains ici (va voir à « Mexique » dans l’index géographique des auteurs)
Pas trop tentée. Je ne connais pas trop ni l’époque, ni ces gens. Puis, je ne suis pas fan de la psychanalyse. Mais la couverture est très belle.
Ça fait pas mal de raison en effet, moi j’aime la période et la psychanalyse, c’est pourquoi j’ai choisi ce titre de cet auteur.
J’ai très envie de le lire même si savoir que c’était finalement une fiction m’a un peu déçue!
Mais beaucoup de faits rapportés ne le sont pas !
pas sûre de tenter l’aventure, même si tu me donnes envie de sortir des sentiers battus et d’essayer la littérature mexicaine.. A voir
J’espère bien qu’un maximum de gens tenteront au moins un écrivain mexicain 😉
ça a l’air sympa!
Roman que je note, étant assez intéressé par le parcours politique de ceux qui ont fait mai 68. Je le note pour de prochaines vacances (je ne lis pas assez vite pour entamer un aussi gros livre quand je travaille !)
Il est bien consistant et devrait te plaire.