Les bijoux indiscrets de Denis Diderot

Les bijoux indiscretsLes bijoux indiscrets font partie de ces livres qui végètent depuis longtemps dans ma bibliothèque personnelle. Mon édition date de 1994, ma première tentative pour le lire de 96 ou 97. Il s’agit du second tome  des œuvres (presque) complètes de Diderot, regroupant ses contes. On y trouve ainsi entre autres perles : La religieuse, Supplément au voyage de Bougainville et le célèbre Jacques.

Comme beaucoup d’écrivains contemporains, Diderot le philosophe s’est adonné à la littérature licencieuse. En lisant aujourd’hui Les bijoux indiscrets, je me souviens des circonstances de ma lecture passée et les mêmes réticences se font jour. Si j’ai tenté il y a une quinzaine d’années la lecture de ce « conte » c’est parce que j’étais alors sous le charme d’un autre écrivain libertin, Crébillon fils, et en particulier de son chef d’œuvre, Les égarements du cœur et de l’esprit. Force m’est à nouveau de constater qu’en la matière, Diderot peut sans regret… aller se rhabiller.

Car à mes yeux, le plus profond écueil de la littérature érotique, celui qui engendre à coup sûr l’ennui, c’est la monotonie. Les bijoux indiscrets n’y échappe pas, et se double de surcroit d’un certain nombre de clés. Le lecteur actuel, dépourvu du trousseau tout entier, reste parfois à la porte.

Diderot transporte le lecteur à la cour du sultan Mangogul (Louis XV). Voilà déjà quatre ans que Mirzoza (Mme de Pompadour) est sa favorite et les soirées sont parfois longues. De plus en plus longues en fait. Pour se désennuyer, ce prince demande à son génie Cucufa de lui procurer quelques plaisirs aux dépens des femmes de sa cour. L’infâme lui procure une bague aux capacités étonnantes : « toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible. Mais n’allez pas croire au moins que c’est par la bouche qu’elles parleront ». Toute l’originalité du récit tient donc à ceci : les femmes parleront par où elles ont péché, c’est-à-dire par leur sexe. Le sultan, on s’en doute, ne s’intéresse qu’aux dames de la cour, ce sont donc elles qui seront prises au piège de la bague maléfique et raconteront, bien malgré elles et par des voies (voix…) inusitées leurs multiples frasques. Car tout est là : Diderot raconte avec délectation les aventures galantes de nobles dames passant pour vertueuses, qui tout haut condamnent des plaisirs auxquels elles s’adonnent effectivement tout bas.

C’est plaisant, mais un peu répétitif. Certaines aventures, plus salaces que d’autres, sont grinçantes, comme celle de la vieille Haria dont les chiennes et chiens la cajolent si bien qu’il n’y a plus de place pour son mari dans son lit… Le pouvoir de la bague permet aussi au sultan de résoudre certaines erreurs et de relever certaines fausses accusations. On sourit et puis enfin, on s’ennuie. A mes yeux, Diderot dans ce petit conte libertin daté de 1748 n’a pas le génie littéraire de Crébillon fils avant lui, ou de Laclos plus tard. La langue n’est pas aussi éblouissante, ni aussi subtile que celle du Neveu de Rameau, et on regrette la verve de Jacques malgré sa construction décousue. Fort heureusement, Diderot n’emprunte pas à la veine pornographique de Sade que je n’ai jamais appréciée.

Relirai-je Les bijoux indiscrets dans quinze ans ? Rien n’est moins sûr…

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Les bijoux indiscrets

Denis Diderot
Robert Laffont (Bouquins), 1994
ISBN : 2-221-05722-8 – p. 25 à 216

Première publication : 1748

30 Comments

  1. et voici mon billet sur cette lecture commune. Elle ne fera pas date dans les récits érotiques mais finalement je me demande s’il faut vraiment le prendre comme ça. J’y vois plutôt une autre occasion pour Diderot de faire passer ses idées. il s’est prêté au jeu mais ne peut rivaliser comme tu le dis ( tiens nous avons les mêmes références !hihi) avec un Crébillon fils par exemple. Donc agréable sans plus mais tout de même intéressant pour moi

    1. Je crois pour ma part, excuse l’anachronisme, Diderot écrit ici « à la manière de… », sans grande conviction et pas vraiment d’idées. Un peu d’érotisme, d’orientalisme et de critique de la cour, et voilà un conte vite troussé, vite oublié…

  2. La littérature érotique effectivement est l’une des plus compliquée (je trouve). Peut-être les femmes sotn elles plus douées que les hommes? J’ai lu « Menottes et radiateurs » et j’en ai aimé la subtilité. Effectivement, je te rejoins avec Sade, répétitif, mal écrit et… vraiment, ça va très très loin. Je pense que les hommes qui écrivent d ela littérature érotique écrivent pour les hommes, de même que les films de cette même veine ne sont pas du tout pareil s’ils sont tournée par des femme sou par des hommes!

    1. A mon avis, la bonne littérature érotique doit plaire à tout le monde, non ? Pareil pour les films, à mon humble avis. Où je te rejoins, c’est que l’auteur ou réalisateur pense à lui et aux hommes qui regarderont, pas aux femmes, donc, nous autres lectrices ou spectatrices ne nous sentons pas concernées dans ces cas-là.
      Menottes et radiateurs, rien que le titre m’intrigue… 🙂

  3. Je n’ai pas encore lu Sade (cap à franchir, un jour peut-être). Pour Diderot, dont je ne connais pas l’œuvre, je ne dis pas non, mais je dois reconnaître que ton avis n’encourage pas mon enthousiasme (déjà faible).

  4. Toi non plus tu n’es pas adepte de sade… j’ai tenté « l’aventure » (entendons-nous : = la lecture) de sade le moi dernier, et j’ai connu La panne… La littérature érotique est un domaine difficile, et pour l’heure je n’ai pas trouvé un seul livre convaincant dans ce domaine. mais je continue à chercher… Je ne tenterai pas Diderot avec qui j’ai de toute façon généralement peu d’accointances…

    1. Je ne voudrais pas entamer un débat déjà bien vieux, mais : érotique, Sade ? Je me fais, tout à fait personnellement, une autre idée de l’érotisme, Sade étant bien souvent répugnant. En tout cas moi, les nombre des pratiques qu’il décrit ne me font pas envie, tant pis si je passe pour prude…

  5. je dois aussi avoir un ou deux Diderot qui végète dans ma bibliothèque… ce n’est pas mon auteur favori, loin de là, et tu ne fais que confirmer mes a priori!

  6. Ce livre est quelque part dans la maison, le prof de français de ma grande leur avait conseillé comme lecture cursive en 1ere je crois… j’ai bien l’intention de le lire un de ces jours et je note Crebillon fils que je ne connais pas 🙂

  7. Moi aussi j’aime beaucoup Crébillon fils et j’ai un peu de mal avec Diderot. Pour Sade, si j’ai du mal avec ses oeuvres les plus célèbres, j’avais bien aimé La marquise de Gange et j’avais trouvé ses récits de voyage en Italie très joliment écrits. La prison n’a pas dû lui réussir!

    1. Je ne connais de Sade que ses textes pornographiques, mais il est vrai que pour me faire une idée plus honnête de son écriture, je devrais en essayer d’autres…

  8. Il y des auteurs, comme Diderot, qui végètent dans nos bibliothèques depuis les temps scolaires ou celui de nos enfants.
    Bon, ça ne m’encourage pas. Il restera sur les rayons pour le moment.

  9. Bonjour,
    Je me souviens avoir bien aimé ce petit conte, à l’écart de l’image scolaire donnée de cet auteur. Et Crébillon fils … un petit bonheur de lecture croustillante ! Dans le genre érotique, mais contemporain (ou presque) je me souviens aussi d’avoir apprécié « Lourdes lentes … » de André Hardellet, peut-être plus poètique que les précédents. Je note « Menottes et radiateurs » et laisse Sade à mes tentatives écoeurées.
    Athalie

  10. C’est un diderot qui me tente pas trop alors que j’ai beaucoup aimé les entretiens d’un père avec ses enfants… La littérature érotique, j’ai pas dû en lire beaucoup, même pas Sade. Un qui m’a beaucoup plu, c’est Ovide l’art d’aimer, très drôle !!!!

  11. Si j’avais beaucoup aimé l’idée de ce roman (ah, cette terrible bague), je me suis vite ennuyée. Et le pire, c’est que j’ai eu cette impression avec beaucoup de Diderot : j’aime bien ses postulats de départ mais je trouve qu’il ne les exploite pas toujours bien.

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