De cape et de crocs de Ayroles et Masbou

Hardi moussaillon, toi qui ne crains ni aventure ni poésie, il est temps de t’embarquer au long cours pour une série qui vient de s’achever. Débutés en 1995, les voyages en ce monde et plus si affinités, de Don Lope de Villalobos y Sangrin loup espagnol et Armand Raynal de Maupertuis renard gascon se terminent après dix tomes de quêtes et de rebondissements.

Tout commence à Venise au XVIIe siècle, comme dans bien des romans ou films d’aventures maritimes. Manipulés par le vieux et cupide Cénile, Don Lope et Armand  volent une carte  à  Raïs Kader, le « janissaire jadis émissaire aujourd’hui corsaire… » bref, un Turc. Cette carte indique la position des îles Tangerines qui cachent un fabuleux trésor : « un lac de gemmes baignant des plages d’or fin monceaux de saphirs, brassées de rubis », gardé par de hideux démons. Les deux compères ont la carte, mais le texte qui l’accompagne et la pierre de lune qui protège des démons sont toujours en possession du janissaire. Don Lope et Armand, ce dernier amoureux de la pupille de Cénile, la belle Séléné, décident de partir à la recherche de l’île mais se font doubler par le vieux qui les envoie aux galères et demande à son fils Andreo, de partir à la recherche du trésor. Andreo emmène avec lui Hermine, la bohémienne dont il est tombé amoureux mais qui ne l’aime pas (elle est amoureuse de don Lope). Révolte sur la galère où les deux amis rencontrent le lapin Eusèbe : ils se rendent maîtres de la galère et de son capitaine, l’infâme Mendoza, grâce à l’intervention des Turcs.

Nous avons là tous les personnages qui nous feront trembler et rire pendant dix tomes, ainsi que tous les ingrédients qui font de ce plat traditionnel un délice : amour, amitié, trahison, cupidité, soif de puissance et… une belle langue française, étonnamment vivifiée par l’emploi de passés simples et d’imparfaits du subjonctif. De ces accords qu’on croyait poussiéreux jaillit la saveur retrouvée des grands textes qui ont fait la joie de notre littérature : de Molière à Alexandre Dumas, la vitalité explose, l’hommage s’attardant même à des auteurs plus inattendus tels que Hugo ou Baudelaire.

Mais celui qui s’impose, à travers le gascon Armand Raynal de Maupertuis, c’est bien sûr Cyrano, le héros de Rostand, aussi bretteur que poète. Le vrai Cyrano n’est d’ailleurs pas si loin, puisque tel Don Juan qui ne saurait borner ses conquêtes, nos héros poursuivent l’aventure jusque sur la Lune. C’est que le prince Jean, réfugié sur les îles Tangerines, entend bien retourner chez lui grâce à un savant fou naufragé et à la fameuse pierre de lune. Car l’astre nocturne n’est pas la désolation que l’on croit, loin de là, elle abrite au contraire une civilisation raffinée, un modèle social et philosophique, présentement menacé par le retour du prince Jean, ce traître jadis exilé.

Parmi tous ces personnages plus séduisants les uns que les autres, ma préférence va à Eusèbe, le naïf et mignon petit lapin blanc condamné lui aussi aux galères. Et bavard avec ça, à tel point qu’il ne se trouve jamais personne pour écouter son histoire, celle du temps où il était garde du Cardinal. Un lapin, garde du Cardinal ? Mais quel est ce monde ?!

On pourra certainement penser que tout ça part dans tous les sens, jusqu’à l’invraisemblable, certes. Mais l’invraisemblable est réjouissant, inventif et chatoyant. Car oui, non seulement le scénario est plaisant mais en plus, le dessin est superbe. Les couleurs soignées, les multiples détails, les traits expressifs des humains comme des animaux, enchantent le regard. Pour le plaisir de dialogues flamboyants et de références toujours plus présentes, on lit sans dommage un ou deux tomes superflus, certainement dus au grand succès de la série.

  1. Le Secret du janissaire (1995)
  2. Pavillon noir ! (1997)
  3. L’Archipel du danger (1998)
  4. Le Mystère de l’île étrange (2000)
  5. Jean Sans Lune (2002)
  6. Luna incognita (2004)
  7. Chasseurs de chimères (2006)
  8. Le Maître d’armes (2007)
  9. Revers de fortune (2009)
  10. De la Lune à la Terre (2012)

38 Comments

  1. Eusèbe, je t’aime for ever…
    La collègue qui m’a passé les 9 premiers a promis le numéro 10, je sautille d’aise!

    1. Je l’ai ! En fait, c’est le seul que j’ai acheté, les autres, je les ai empruntés à la bib. C’est au moment où je les ai fini que j’ai réalisé que la suite et fin venait de paraître. Et que bien sûr, il était trop tôt pour qu’il soit à la bib. Alors voilà, j’ai le tome 10 d’une série de 10… C’est bien moi !

      1. hi hi, moi j’ai les 11 et 12 d’une série de 12 !
        bon, je vais noter mais…je n’ai jamais accroché avec les histoires où les animaux remplacent les humains dans l’imagerie…je n’y crois pas…

      2. Don Lope, Armand, et Eusèbe sont les seuls animaux et ce n’est pas innocent. Je cède à la tentation de cette si belle tirade d’Armand (tome 10) : « Une queue en panache, un penchant romanesque / J’étais bien le héros d’un roman… mais burlesque ! / Je vous offris mon coeur sans savoir – quel animal ! – / Que le vôtre battait bien fort, pour un rival / Qui, lui, marche debout sans forcer sa nature / Et peut, quand vient l’été, se passer de fourrure / Dans votre choix, hélas ! vous ne vous méprenez : / Sur ma face une truffe… à son profil… un nez ! / Vous ne pouviez aimer, vous si belle, une bête / Me voici sans amour, sans amis, sans planète. » Ah, le charme de l’alexandrin…

  2. Il faudrait que je la relise pour aborder en connaissance le 10e tome que j’ai acheté il y a peu. J’aime beaucoup les dessins. Mais je suis assez d’accord avec toi sur les quelques tomes superflus.
    Enfin, comme tout le monde, je dirais « Vive Eusèbe ! »

    1. C’est sur la Lune qu’à mon avis, ça tire un peu en longueur. Mais c’est quand même beau à regarder quoi qu’il en soit.

  3. Série repérée depuis un moment, et en 15 jours, je lis deux avis élogieux à son sujet (alors que je n’en entendais pas parler sur les blogs) : de quoi me convaincre de me lancer vaillamment dans la quête des différents tomes en bibliothèque !

    1. C’est sûrement parce que le dernier tome vient de sortir. Pour ma part, j’en ai mangé 9 tomes en une journée, et le lendemain, je courais chez mon libraire pour la fin 😉

  4. Ah, je suis contente que cette superbe série t’ait plu ! Je n’ai toujours pas acheté les tomes 9 et 10, mais je ne pense pas pouvoir résister bien longtemps… Il parait que les auteurs vont sortir un spin-off en deux volumes basé sur le personnage d’Eusèbe. Chouette ! 🙂

  5. J’adore cette saga. Vive Eusèbe!!! ^^

    Je n’ai pas encore lu le dernier tome, ce sera fait d’ici peu.
    Et j’attends avec impatience cette préquelle qui explique pourquoi Eusèbe a été envoyé aux galères 😀

    1. Oui, parce que bon, sans vouloir gâcher le plaisir des lecteurs, Ayroles & Masbou ont beau utiliser jusqu’à la 3e de couv’, exprès pour Eusèbe, le mystère reste entier…

      1. oh ça fait longtemps que YS est l’ennemi n°1 des banquiers avec ses tentations à chaque visite de son blog ! ouf, là je résisterai…eh eh

  6. Tout pareil : Eusèbe… ah, Eusèbe !!!
    Ce que je trouve génial, au moins dans les premiers tomes, ce sont toutes les références à des tas de choses, y compris à des jeux vidéos… références cachées dans les textes, les dessins… Il y a, comme souvent en bd, plusieurs niveaux de lecture.
    Va falloir que je m’offre le tome 10, moi !
    Merci pour le « rappel », Ys : mon libraire va t’aimer ! (mais pas mon banquier, effectivement !)

    1. Pour ma part, je préfère entreprendre les séries quand elles sont finies, je ne suis guère patiente. Là, ça a été un hasard…

  7. Aaaah, j’attends le prochain coffret (en espérant qu’il y aura deux prochains tomes pour qu’on sache enfin ce que faisait Eusèbe dans cette galère). J’adore cette série.

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