La Religion, un titre pas glamour du tout, comme son poids : 630 pages grand format, 950 en poche. Le genre de pavé qui se déguste l’été. Et quelle religion d’abord ?
Eh bien la Religion, la majuscule désignant l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, autrement connus sous le nom d’Hospitaliers. De ces moines-soldats à l’origine chargés de défendre les pèlerins sur la route de Jérusalem. Quand commence La Religion, en mai 1565, ils forment un ordre encore financièrement et commercialement puissant, mais pour l’heure acculé par les armées de Soliman le Magnifique. Les chevaliers ont perdu Rhodes, ils se battront pour Malte jusqu’au dernier. Mais le rapport de force est disproportionné : quelques centaines de chevaliers, avec esclaves et habitants, contre des dizaines de milliers de Turcs conduit par le pacha Mustapha.
La guerre, racontée par Tim Willocks, peut devenir passionnante. C’est que l’écrivain britannique n’épargne rien à son lecteur, décrivant par le menu quatre mois de siège sanguinaire. Pas d’économie de narration, pas d’égards : du sang, du pus, des tripes, des têtes coupées qu’on s’envoie d’un camp à l’autre et de la pestilence… vous saurez tout car le récit est mené par le saxon Mattias Tannhauser aussi à l’aise dans le camp chrétien que chez les Turcs.
Mattias est un devshirmé : à douze ans, il a assisté au massacre de son village des marches de Hongrie, mère et soeurs comprises ; il doit la vie au capitaine Abbas bin Murad qui le sauve, fait de lui un mahométan puis un janissaire, soldat d’Allah. Quand le roman commence, il a renoncé à ce passé-là et tient une auberge en Sicile. Il a l’intention de partir en Egypte pour son commerce, alors que les troupes turques affluent pour entreprendre le siège de l’île de Malte. C’est contre son envie première que Mattias rejoint l’île accompagné de la belle Carla et de son amie Amparo, venues de France. Carla lui a demandé de lui ramener son fils, né douze ans auparavant et qu’elle n’a jamais vu. L’enfant illégitime, né d’un moine, lui a été arraché à la naissance et elle a été contrainte de quitter l’île. Au plus mauvais moment, Mattias part donc à la recherche de l’enfant dont il ne sait même pas le nom. S’il le sort de là, il épousera Carla et deviendra comte.
Bien sûr, l’enfant lui échappe. Et il est fils d’un moine devenu depuis un puissant inquisiteur de retour sur l’île pour manigancer au nom de Rome. Et bien sûr, Carla et Amporo céderont au charme animal de Mattias. L’intrigue elle-même est ténue, classique (enfant perdu, mère éplorée, un homme pour deux femmes, méchant inquisiteur, amis fidèle), pour tout dire prétexte à une formidable fresque d’hommes et de sang. Un grand roman sur la guerre, celle du XVIe siècle, la guerre moderne comme on disait alors avec armes à feu. Mais surtout avec souffrance, perfidie, iniquité. Et sang, viscères, membres arrachés, têtes coupées. Car les pertes sont considérables et les Turcs innombrables montent à l’assaut encore et encore, s’emparant du fort Saint-Elbe puis s’attaquant ensuite au fort Saint-ange qui ploie peu à peu sous le nombre malgré la vaillance des chevaliers.
Mais il est aussi ici question de la religion en général, de ces croyances pour lesquelles on se bat, pour lesquelles on meurt au nom du Christ ou d’Allah. Pour les chrétiens, les musulmans ne sont pas des hommes mais des créatures du Diable, et vice-versa. Ainsi ces croyants fervents soulagent-ils leur pointilleuse conscience. Tout est possible quand la cause est sainte, même la torture et la trahison. Grâce à la verve passionnée de Tim Willocks, on parvient à comprendre cette mentalité qui nous semble aberrante. On comprend ce qui anime ces hommes, ce qu’ils craignent. En plus de l’épopée héroïque, ce sont les mentalités religieuses et donc sociales que dévoile cet étonnant roman.
Un roman historique avec de vrais héros, une vraie guerre et des scènes hallucinantes de violence susceptibles de marquer durablement le lecteur. Le genre est brutalisé, dépouillé des conventions visant à épargner le lecteur. C’est l’Histoire brute et réaliste, parfois lyrique
Tim Willocks sur Tête de lecture
La Religion
Tim Willocks traduit de l’anglais par Benjamin Legrand
Sonatine, 2009
ISBN : 978-2-35584-014-2 – 630 pages – 23 €
The Religion, parution en Grande-Bretagne : 2006
Je l’aurais bien lu… mais les scènes violentes m’impressionnent durablement, je le sais, même des années après…
Il y a des scènes de batailles atroces, où les types marchent sur des cadavres putréfiés pour monter à l’assaut, c’est immonde… âmes sensibles…
Un magnifique roman s’il en est, écrit par un bonhomme qui plus est très attachant pour avoir eu l’occasion de le rencontrer au détours de quelques salons polars !! A lire absolument ! Ça n’a rien à voir mais j’ai eu l’occasion de lire cet été » dog land » , roman qu’il a écrit à destination de la jeunesse c’est aussi un joli roman, un conte initiatique que les plus grands peuvent prendre plaisir à lire aussi.A bientôt
Bien aimé Doglands aussi. Par contre, j’ai eu beaucoup de mal avec Bad City Blues… et c’était le premier roman de lui que je lisais. Heureusement que j’ai persévéré…
J’avoue que les scènes violentes me repoussent un peu …
C’est un roman sur la guerre non Hollywoodien. Alors ça pue, ça gicle, ça éviscère. Je comprends que ça puisse dégoutter…
C’est sûr qu »il y a de la violence, et bien pourrie … Mais on peut se boucher un peu le nez, le livre en vaut la peine, parce qu’il y a des pauses aussi, un érotisme de bon aloi, et comme tu le dis, Sandrine, une verve parfois lyrique qui emporte tout sur son passage. Je l’avais dévoré en quasi apnée …Il semblerait qu’ une suite soit publiée à cette rentrée.
Ah bon, à la rentrée de septembre ? J’ai regardé de quoi causait ce second tome, qui je crois date déjà de 2010 : Mattias et Carla à la Saint-Barthélémy (une variante de Martine à l’école… (humour pourri)) : ça ne peut être que très bien.
un roman comme je les aime, de l’action, de l’histoire, du sang, des larmes et un brin d’amour
je l’ai lu à sa sortie et je l’ai beaucoup aimé nettement plus que les autres romans de l’auteur qui sont nettement plus glauques
disons que dans celui-là, il y a des personnages auxquels on peut s’attacher…
J’avoue craindre les scènes violentes….
Tu vois, tu n’es pas la seule…
Je ne lis que des avis positifs sur ce roman et pourtant à chaque fois que je le vois j’hésite, j’ignore pourquoi. En tout cas, ton avis pourrait bien me décider. Bon je sais ce que je vais faire, je vais l’offrir à mon père ( qui l’aimera à coup sûr, c’est tout à fait son genre ) et je le lui emprunterai ! ^^
Excellente technique que je pratique aussi à l’occasion : un bon moyen de tester.
Un roman que je n’ai pas aimé du tout et qui m’est tombé de mains.
Je comprends qu’il puisse ne pas plaire.
Cet auteur a une dégaine et un look juste improbable – assez impressionnant et décontenançant. Je l’avais vu lors d’une signature dans un Virgin et j’étais déjà intriguée par ses nombreux fans. Un collègue avait beaucoup aimé ce livre aussi et depuis, je me dis qu’il faut absolument que je le lise ! La violence m’inquiète un peu aussi (surtout les tortures, moi, si trop détaillées et scènes longues) mais je suis vraiment curieuse de ce récit…
C’est sûr qu’il ne ressemble ni à un écrivain, ni à un psychiatre… Par contre, il a quasi la même voix que Johnny Depp (j’ai écouté des interviews avec le casque sur les oreilles) : chaleureuse, grave…
Moi c’est le coté pavé qui me refroidit. De cet auteur j’ai lu et beaucoup aimé « La cavale de Billy Micklehurst ». Strictement rien à voir mais j’en garde un très bon souvenir.
Pas de doute, c’est un pavé, il faut du temps devant soi.
Belle chronique qui reflète bien toute la complexité et la longueur du bouquin. Il ne faut pas être effrayé devant la répétition des carnages ni devant les 950 pages ! Avant d’attaquer ce pavé, mieux vaut être bien disposé à cet effort sinon il y a risque d’indigestion. Mais cet effort vaut le coup, c’est une lecture magnifique. J’ai moi aussi aimé.
Sages conseils que j’approuve : j’ai moi-même attendu d’être arrivée sur mon lieu de vacances, avec plein de temps pour lire.
Ca donne envie, et ton avis et les commentaires laissent supposer que la lecture est prenante, et le style de l’auteur agréable. Ca compte pour les romans historiques …
Celui-là est vraiment un roman historique tout à fait atypique et surprenant. Ça peut aussi dérouter.
Bonjour,
Je lis régulièrement vos billets et survole les commentaires de vos ami.e.s. Mais là, la cocasserie de la situation est que je venais juste à 30 mn près de terminer cette odyssée campée au XVI° entre les complots des pouvoirs de l’oligarchie religieuse (l’inquisition, la curie et son pape, les puissants vénitiens etc), des modes de fanatismes religieux (les fondamentalismes étaient partout et les paradis respectifs invoqués et les pillages assurés = prenons un proche exemple de la guerre en ex-yougoslavie dans les années 85/90, pour ne pas évoquer l’actualité terrible), et ce dans un lieu limité de l’île de malte. La substance de nos héros sont l’amour et la mort, la filiation, la transmission, l’amitié et des modes d’honneur supposée attachée à l’époque et aux élites soldatesques, à travers les massacres entre hommes d’oriflammes et de signe religieux opposés. Nos héros sont très attachants et décidemment ce caMatthias est dotés de « pouvoirs surnaturels »
(je poursuis)
ce capitaine Matthias est doté de pouvoirs surnaturels ou protégé de tous les dieux pour mener ces multiples vies entre les deux grandes civilisations méditerranéennes. Cela est justement celka qui est passionnant, les entyre-deux du personnage, sacré aventurier. Les personnages féminins, entre la terrestre et libre Ampora et Carla, femm)e et mère « tragique » et d’esprit entreprenant à ce temps des nobles
Je l’ai lu en 3 à 5 mois, tranquillement : et ne peux que vous le conseiller
L’écriture est très bien travaillée et les scénarii parfois surprenant, avec du suspens dans les derniers paragraphes.
N’hésitez pas (les détails de la barbarie humaine, vous pouvez les survoler)
Pour celles/ceux qui préfèrent la « vraie » aventure, pensez à la biographie de Patrice FRANCESCHI » Avant la dernière ligne droite » (entrer 1970 et 1995) = voir la collection « aventure » du Point
Merci pour ces commentaires. Oui c’est vrai, Mattias est terriblement héroïque, toujours. Au point qu’on ne doute pas un instant à la fin, qu’il va refuser le marché de ce salopard de Ludovico. Mais, pour être tatillonne, je dirais qu’il est trop monolithique ce Mattias, trop d’un bloc. Au final, je lui préfère Ludovico, capable de nous étonner. C’est pourquoi ce livre n’est pas un total coup de coeur : les personnages sont grands, forts, réussis, mais je les aurais encore plus aimés faibles, faillibles, bref, plus humains.
Ce roman t’as donc réconciliée avec Willocks (si je me souviens bien, ton avis sur ses autres titres était mitigé). Il faut dire que celui-ci est vraiment à part dans son œuvre.
On y retrouve, certes, sa propension à développer l’aspect violent et barbare de son récit, mais on y trouve aussi ce souffle épique et romanesque qui fait que l’on est emporté, tout simplement..
C’était Bad City Blues qui ne m’avait pas bien plu, trop de violence gratuite…
Je suis en train de le lire dans le cadre de mon club de lecture. J’ai un avis mitigé sur ce livre à cause des longueurs des scènes de bataille. Néanmoins, mon avis positif l’emporte. Avais-tu des connaissances sur l’histoire de cette époque ? Je me pose la question de savoir si cela peut gêner les personnes qui n’ont pas connaissance du contexte historique.
Je l’ai lu cet été, j’avais tout mon temps pour apprécier cette superbe fresque. Et non, je ne connaissais pas grand chose sur cet épisode historique et ça n’a pas gêné ma lecture. J’espère que tu l’apprécieras jusqu’au bout.