Alors qu’il est Américain, c’est le point de vue d’un Canadien sur la Première Guerre mondiale que nous propose Walter D. Wetherell dans ce roman. Un homme, Charles Marden qui vit sur une île retirée au large de Vancouver, apprend coup sur coup la mort de sa femme de la grippe espagnole et celle de son fils, sur le front, quelque part en Belgique. Nous sommes en octobre 1918 et Marden entreprend le voyage jusqu’en Europe pour retrouver le corps de Billy, son fils unique.
Marden part sans prévoir, sans planifier son voyage. Il va devoir traverser tout le pays, puis la mer jusqu’à la Grande-Bretagne, puis encore la mer, la France, jusqu’à l’improbable village de Gheluvelt dont certains lui assurent qu’il n’existe pas. Ce voyage s’apparente bientôt à un pèlerinage que d’autres personnes font aussi : pères, mères, femmes… tous se dirigent vers les champs de mort, champs de ruine dans l’espoir de se recueillir sur la tombe d’un jeune soldat.
Alors qu’il fait escale en Angleterre, Marden rencontre les parents d’une jeune fille qui a connu Billy juste avant son départ pour la France. Les deux jeunes gens se sont écrits, Marden le sait et voudrait parler avec elle, cette Elaine dont son fils lui a parlé dans ses rares lettres. Mais Elaine l’a devancé : elle est partie vers Gheluvelt, vers la mort à Gheluvelt, elle qui porte en elle tout ce qui reste de Billy.
Quand Marden arrive en France, la guerre s’achève, et lui avance triste dans un pays en liesse. Certaines images de ce père qui cherche son fils dans un paysage de fin du monde sont très fortes. Au son des obus qui explosent seuls, comme s’ils voulaient continuer la guerre, il fouille, il avance, comme son fils il dort dans un trou d’obus dans le froid et la pluie.
Ce roman évoque ce qu’à l’époque on n’appelait pas encore le tourisme mémoriel. L’un de ceux que rencontre Marden travaille pour le guide Michelin : il établit un guide pratique et une histoire à l’intention de ceux qui ont perdu un proche sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Le premier de ces guides parut en fait en 1917. Il voulait éviter à des gens comme Marden d’errer au milieu de rien, de même s’entendre dire que l’endroit qu’ils cherchent n’existe pas. On comprend dans le roman que les familles conçoivent ce voyage comme un pèlerinage. On voit à l’inverse se profiler clairement les profiteurs de guerre.
Alors que les gaz toxiques tiennent encore la place, que les obus oubliés n’ont pas fini d’exploser, les champs de bataille sont déjà la proie de riches touristes qui viennent visiter les lieux de massacre. D’autres ramassent casques, fusils, havresacs, tout ce qui témoigne de la vie du soldat, pour les revendre plus tard. On retape les tranchées pour les faire visiter, on établit des cartes des lieux à ne pas rater. Saisissantes sont les apparitions des profiteurs de guerre qui à peine l’armistice signé mettent en place divers trafics pour tirer bénéfice de la situation. Et parmi ces vautours, la longue procession des pèlerins marche vers ses fantômes. Marden lui tente de retrouver Elaine, la fragile Elaine qui marche vers la mort de son amant.
Un livre simple, émouvant, sans aucun artifice. Avec sensibilité mais sans sensiblerie.
Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
Un siècle de novembre
W.D. Wetherell traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Les Allusifs, 2006
ISBN : 9782922868470 – 202 pages – 15,30 €
A Century of November, parution aux Etats-Unis : 2004
Voilà un roman que je ne connaissais pas du tout, merci pour la découverte. C’est une période de l’histoire qui m’intéresse beaucoup, je le note. Il y a un très beau film de Bertrand Tavernier qui a pour sujet ce tourisme mémoriel tu l’as vu ?
Ah mais non, mais ça m’intéresse beaucoup, je vais chercher ça, merci.
Le film de Tavernier (superbe), c’est La vie et rien d’autre, avec Sabine Azéma et Philippe Noiret. Et ce livre de poche m’intéresse, je l’ajoute à ma wish-list 14-18 !
je comprends mieux ton message chez moi quand tu me disais que tu t’intéressais à la guerre en ce moment 😉 je ne connais pas du tout celui ci ! je le note, qui sait à l’occasion ! amitiés
Et pour bien faire, Les rendez-Vous de l’Histoire de Blois (près de chez moi) auront pour thème « la guerre » cette année…
J’ai lu ce roman il y a quelques années avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, je connaissais très mal cette période, juste à la charnière de la fin de la guerre. Le film de Tavernier c’est « la vie et rien d’autre » avec P. Noiret et S. Azéma. Je l’ai revu récemment, il est très bon.
Merci, il est au catalogue de la bibliothèque et je viens de le réserver.
Tu as de bons livres à proposer sur ce thème. As-tu lu Le tour du malheur de Joseph Kessel.
Sur le même thème je vais aller faire un petit tour à Meaux au Musée de La Grande Guerre avec les enfants.
De Kessel j’ai lu L’équipage et j’en ferai peut-être un billet, je note cet autre titre. J’ai habité 30 ans près de Meaux et ce musée n’existait pas ; aujourd’hui j’en suis loin, mais je ne doute pas qu’il vaille le déplacement.
C’est un thème qui me touche et qui semble en vogue en ce moment. Ce récit semble bien émouvant!
Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce livre c’est qu’il est émouvant mais sans aucun pathos, jamais larmoyant.
Oh pardon, je n’étais pas descendue assez bas, j’ai répété la même info qu’Aifelle. Mais tu comprends que ce film est vraiment à voir !
En attendant l’occasion de lire « Au revoir, là-haut », cela pourrait me plaire !
Le registre est tout à fait différent, loin de tout cynisme ici.
Le registre est tout à fait différent, loin de tout cynisme.
Je fuis aussi les thématiques sur les guerres en ce moment, mais j’avoue que ce livre semble valoir le détour.
Et moi, je suis dans la guerre jusqu’au cou 😉
Tu te prépares sérieusement pour les RV de l’histoire, dis donc!
Pas les Rendez-Vous, non, je n’animerai pas de rencontres autour de la Première Guerre mondiale. Je prépare une formation que je proposerai l’an prochain sur Littérature et Première Guerre mondiale.
Tu es en avance pour la commémoration du centenaire.
à peine
j’avais beaucoup aimé cette lecture. Un roman sensible sans sensiblerie, très juste.
Ce qui est d’autant plus notable car les romans sur cette période tournent facilement au pathos.
Ah voilà ce qu’il me faut, un roman sur l’après grande guerre sans pathod, je note, je note 🙂
Celui-là te plaira : des sentiment très forts y sont exprimés mais de façon subtile.
Je l’avais noté depuis le billet d’Aifelle et je vois que ce roman vaut vraiment le détour.
Oui bien sûr : Aifelle a bon goût !