Le gardien invisible de Dolores Redondo

Le gardien invisibleOn a en France une vision du roman policier espagnol essentiellement barcelonaise. Quelques éditeurs choisissent aujourd’hui de s’aventurer en-dehors de la capitale catalane pour nous faire découvrir certaines provinces qui ne manquent ni de charmes ni de crimes. Après par exemple Domingo Villar en Galice chez Liana Levi (à quand les tomes suivants ?) et la province d’Eugenio Fuentes, voici le pays basque de Dolores Redondo, auteur qui inaugure la collection « Cosmopolite noire » chez Stock.

Dans le village d’Elizondo, chef-lieu de la vallée de Baztán (en Navarre), les corps de plusieurs jeunes filles sont retrouvés. Tous ont été mis en scène, le meurtrier se plaisant à placer un gâteau sur leur corps nu et à disposer les chaussures de ses victimes le long de la route. Amaia Salazar, exilée à cinquante kilomètres de là, à Pampelune, est chargée de l’enquête car originaire de ce village. Y vivent encore sa tante et ses sœurs. Flora, l’aînée, dirige d’une main de fer l’entreprise familiale de pâtisserie traditionnelle. Son mariage avec Victor, un alcoolique, bat de l’aile, de même que celui de Ros, sa sœur.

Amaia Salazar s’installe au village avec son américain de mari modèle. Ce retour sur les lieux de son enfance va faire affluer des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier : petite fille détestée par sa mère, elle n’avait que son père et sa tante pour l’aimer. Elle est assaillie de cauchemars, auxquels se mêlent des visions sordides du tueur en série.

Dolores Redondo travaille sur le folklore propre à cette région de l’Espagne. Ainsi, il ne fait aucun doute pour les villageois que le meurtrier est le basajaun, mythique homme des bois que d’aucuns racontent avoir vu. Mais Amaia penche pour une mise en scène car le basajaun est « une entité protectrice. D’après la légende, il veille à maintenir intact l’équilibre de la forêt. Et même s’il ne se montre guère, il est généralement amical envers les humains ».

La jeune enquêtrice est elle-même fortement ancrée dans ce terroir. « C’était son village, l’endroit où elle avait vécu le plus grand nombre d’années de sa vie. Il faisait partie d’elle au même titre qu’une empreinte génétique, c’était là qu’elle revenait en rêve, quand son esprit n’était pas encombré de morts, d’agresseurs, d’assassins et de suicidés qui envahissaient ses cauchemars de façon obscène… Un lieu qu’elle n’était pas sûre d’aimer. » Comme Fred Vargas a pu le faire avec son inspecteur Adamsberg qui doit se coltiner certaines légendes locales, Dolores Redondo invente une héroïne fortement impliquée dans un territoire rural riche en croyances.

La vie personnelle de l’héroïne est ici au moins aussi importante que son enquête. De retour sur les lieux de son enfance, elle retrouve sa famille et en particulier sa venimeuse sœur Flora qui n’a que le reproche à la bouche et l’accuse de dénigrer leur mère. En plus de son enquête Amaia doit donc débrouiller un certain nombre de rancœurs familiales, attisées par l’atmosphère de suspicion créée par les meurtres. Elle doit aussi faire avec le mépris de certains de ses collègues masculins qui n’apprécient pas d’être dirigés par une femme.

Sur le rythme tranquille d’une enquête de province, Dolores Redondo construit une intrigue traditionnelle et une héroïne au caractère fort mais non dénuée de failles. Le lecteur suit pas à pas les progrès de l’enquête, ses tâtonnements, ses impasses et même si Amaia a été formée aux techniques du FBI, le rythme n’est pas celui d’un thriller, mais bien d’une investigation à hauteur d’homme, très réaliste. A hauteur de femme serait l’expression la plus appropriée car il est beaucoup question de femmes, de matriarches, de maternité et de désirs d’enfant dans ce roman, premier d’une trilogie. Le gardien invisible reste dans le domaine du crédible même s’il a recourt à des légendes fantastiques, de ces histoires qu’on se racontait jadis au coin du feu et qui ont quasiment disparu de nos campagnes.

Le gardien invisible

Dolores Redondo traduite de l’espagnol par Marianne Million
Stock (La Cosmopolite noire), 2013
ISBN : 978-2-234-07194-0 – 452 pages – 22.50 €

El guardián invisible, parution en Espagne : 2012

12 Comments

  1. J ai du mal avec la littérature espagnole , et je ne suis pas fan des polars , alors je ne mets pas celui-ci dans ma liste , mais j’ai bien aimé lire ce que tu en dis!
    Luocine

    1. Le dernier Javier Marias partage les critiques (voir la dernier émission de « La dispute » consacrée à la littérature). Je ne suis pas adepte de cet auteur alors je ne sais pas si je vais le tenter…

  2. Le polar espagnol essentiellement barcelonais (du moins à l’exportation), c’est un peu comme le roman français contemporain essentiellement parisien.:-) Du coup ce polar-ci a des airs de littérature du terroir un peu, non ?

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