La Grande Guerre de Joe Sacco est une bande dessinée, au sens le plus littéral, qui raconte « le premier jour de la bataille de la Somme reconstitué heure par heure » : le 1er juillet 1916 du point de vue des troupes britanniques.
Une frise chronologique en forme de leporello
Joe Sacco explique sa démarche dans la préface du livret : il s’est inspiré de la tapisserie de Bayeux qui raconte l’invasion de l’Angleterre par les Normands en 1066. La tapisserie mesure soixante-dix mètres ; la bande dessinée de Joe Sacco « seulement » sept. L’une et l’autre parviennent à rendre compte du déroulé chronologique des événements sans rupture. Si la tapisserie comporte des commentaires en latin, le dessin est l’unique mode d’expression de Joe Sacco.
Comme dans la tapisserie de Bayeux, l’artiste choisit de juxtaposer une multitude de scènes qui s’enchaînent les unes aux autres et font progresser l’action, c’est-à-dire les événements dans le cours de la journée.
Le leporello s’accompagne d’un livret composé de deux parties. Dans la première, l’historien Adam Hochschild explicite cette première journée de bataille, bien sûr envisagée comme l’ultime combat qui devait permettre d’emporter définitivement la victoire. La seconde reprend en miniature tout le dessin de Joe Sacco en y adjoignant dessous des explications à l’aide de flèches.
La grande offensive de la Grande Guerre
L’armée britannique a concentré là cinq cents mille hommes dont cent vingt mille mobilisés pour la seule première journée. Cinquante-sept mille seront tués ou blessés en ce 1er juillet 1916, journée la plus meurtrière de toute la guerre pour les Britanniques. Cette incroyable mobilisation, Joe Sacco la traduit par les très nombreux soldats qui semblent en mouvement : comme des fourmis, ils avancent sans cesse en un flot qui semble intarissable. Pendant qu’ils investissent les tranchées, transportent le matériel, au loin le bombardement des lignes ennemies fait rage (il s’est entendu jusqu’à Londres).
Quand ils quittent comme prévu leurs tranchées pour avancer par vagues successives, les barbelés n’ont pas été détruits, pas plus que les positions allemandes et les bunkers : les tirs (tout de même pas moins d’un million et demi d’obus tirés depuis le 24 juin) étaient par trop imprécis et le matériel peu performant. Les Britanniques se font donc déchiqueter, mitrailler, mettre en pièces…
La guerre moderne
Innombrables aussi sont les chevaux, car la cavalerie britannique devait enfoncer les lignes ennemies après percées des fantassins. Ils servent également à tirer les canons et chariots de ravitaillement. Avec son cavalier sabre au clair, le cheval représente la guerre traditionnelle, celle de l’homme qui se bat debout contre l’ennemi debout, cette guerre telle que l’ont vantée un Jünger ou un Drieu La Rochelle. Mais la Première Guerre mondiale est aussi la première guerre mécanique des canons et mitrailleuses qui emportèrent des milliers d’hommes aux premiers jours des combats. Nombreux sont les canons parmi les hommes, chairs contre acier, et l’horizon d’abord bucolique laisse bientôt apparaître des avions avant de laisser place à une suite ininterrompue d’explosions.
L’humanité dans les détails
Il est difficile de contempler cette œuvre de Joe Sacco d’un seul tenant. Le lecteur tourne donc les planches comme celles d’un livre, peut choisir d’en déplier plusieurs à la fois. Où qu’il porte son regard, il est attiré par une multitude de détails qui placent le soldat et donc l’homme au cœur du propos. Hormis le général Douglas Haig, bien tranquille dans son lointain château, aucun n’est reconnaissable : tous font un et un fait tous. Ils chargent et déchargent, marchent sous un poids astronomique de paquetage, se ravitaillent, dorment debout dans la tranchée avant l’offensive, s’alignent face à l’ennemi, tombent ensemble, meurent ou attendent d’être secourus. Et découvrent que l’ennemi qui aurait dû être mort, est bien vivant.
Le lecteur se fait observateur, il scrute. Et il pense à La Grande Guerre de Charlie, cette grande série britannique, la plus grande peut-être sur la Première Guerre mondiale. Noir et blanc aussi, bataille de la Somme entre autres (avec ses terribles charges de cavalerie), et humour malgré tout. La Grande Guerre de Charlie est actuellement en cours de réédition chez Délirium, il ne faut surtout pas rater ça : déjà six tomes parus, dix de prévus.
La thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
La Grande Guerre. Le premier jour de la bataille de la Somme
Joe Sacco
Futuropolis, 2014
ISBN : 978-2-7548-1029-6 – 25 €
The Great War, parution originale : 2013
Une présentation originale et un dessin qui a l’air dense.
Oh oui : on peut passer très longtemps à scruter tous les détails.
J’ai appris un mot : leporello ! 😉
On ne l’emploie pas souvent tant les livres de ce format son rares… ça vient de la liste des maîtresses de Don Giovanni… il en avait beaucoup…
Waouw ! J’ai lu le roman de Xavier Hanotte (je sais, je me répète) sur cette bataille de la Somme, « Derrière la colline » et j’ai même visité les lieux, roman en main ou presque. Cette BD doit être impressionnante !
ça doit être une expérience étrange de se trouver sur place, livre en main aujourd’hui… difficile d’imaginer le fracas de la bataille j’imagine…
De Péronne à Albert dans la Somme, il y a le mémorial (immense) de Thiepval où sont gravés les noms de 75000 soldats portés disparus, des traces de cratères, des « traces » plus ou moins conservées de tranchées à Beaumont-Hamel et bien sûr des cimetières (dont un allemand) et le Mémorial de la Gande Guerre à Péronne. Livre en main, j’ai été à la recherche de petits cimetières du Comonwealth, dans de petits villages où un des personnages entretient les cimetières après la guerre.
J’ai de plus en plus envie d’y aller. De même qu’à Gand où il y a une exposition sur les traumas de guerre qui m’intéresse beaucoup.
Si tu vas à Gand, pousse jusqu’à Ypres et visite au moins le Flanders Fields Museum ! Musée interactif sur les batailles autour du « saillant d’Ypres » Et va écouter le soir,à 20h je crois, la sonnerie du Last Post, à la Porte de Menin, la porte par laquelle passaient les troupes britanniques pour aller en première ligne, et où sont aussi gravés les noms des disparus (le prince Philip est venu cette année solennellement emporter 80 sacs de terre d’Ypres pour les emmener en Angleterre pour qu’un peu de cette terre soit dans leur pays, dans les lieux importants d’où étaient partis les soldats anglais, je crois) Et tous les soirs, encore aujourd’hui, on interrompt la circulation et on sonne l’hommage au soldats morts de 1914 à 1918…
Merci, merci pour tous ces précieux conseils. Rien n’est décidé encore, mais j’ai vraiment de plus en plus envie d’aller y voir de mes yeux, après toutes mes lectures. Une journée n’y suffira pas, il faudra prévoir au moins un week-end. Pas certaine cependant d’emporter l’adhésion des miens avec un week-end sur les champs de bataille de la Grande Guerre…
7 mètres? Un format original.
Pour leporello, j’ai forcément pensé à Leporello et sa liste (mille et tre, et rien qu’en Espagne…)
oui, ça vient de là. Je ne sais pas combien mesurait celui de Don Giovanni…
Si tu viens en Belgique, tu peux faire signe si tu veux !
Suite à ton billet, j’ai manipulé l’objet samedi, c’est effectivement impressionnant !!!
Pas facile de faire ça discrètement en librairie 🙂
Oh ! Je signe aussi ! Je le note pour un futur cadeau!
Je conseille de l’offrir à quelqu’un de très proche afin de pouvoir le lire ensuite 😉