Il était une fois en France de Nury et Vallée

Il était une fois en France couv 1Il était une fois en France n’est pas une belle histoire, malgré son titre. Il s’agit plutôt de raconter sur six volumes l’histoire d’un sale type, un de ceux qui s’en sortent toujours parce qu’ils sont plus retors que les autres et n’ont aucune conscience. Encore qu’avec Joseph Joanovici, l’immonde portrait laisse passer quelques touches de couleurs, bien ternes cependant.

Joseph Joanovici n’est pas né sous une bonne étoile : juif roumain, il voit sa famille se faire exterminer au nom du tsar alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Il arrive en France en 1925 avec sa femme Eva. Il travaille chez l’oncle ferrailleur à Clichy, parle mal le français, ne sait ni lire ni écrire. Il pique dans la caisse et économise, si bien qu’il est à même de racheter le commerce de son oncle quand celui-ci est trop endetté. Il se retrouve bientôt à la tête d’une entreprise de dix-sept personnes, se fait des amis dans la police et des ennemis parmi les truands locaux.

Alors qu’il a œuvré pour la ligne Maginot, il met sa femme et ses filles à l’abri quand les Allemands débarquent en France. Il obtient de faux papiers pour lui et ses employés, leur sauvant ainsi la vie. Il finit même par obtenir un certificat d’aryanité et plus tard, un laissez-passer de la Gestapo. C’est que monsieur Joseph fournit les Allemands depuis bien avant la guerre et que l’Occupation fait de lui, le petit Juif roumain, un homme riche et influent. Ce qui ne l’empêche pas d’être assez intelligent pour sentir le vent tourner. Il décide donc de s’engager dans la Résistance pour se construire une moralité et pouvoir prouver après la guerre qu’il a été bon patriote. Grâce à son immense fortune, il sauve ainsi certains Juifs promis à la déportation.

Mais Joseph Joanovici s’enferre dans ses combines, ses secrets : pour cacher sa propre trahison, il accuse le jeune Robert Scaffa et l’exécute.

A la Libération, on cherche à l’arrêter comme collabo. Pour prouver sa bonne foi, il permet à la police française d’arrêter Bonny (ancien inspecteur) et Henri Chamberlain dit Laffont, les deux chefs de la Gestapo française qui se planquent chez lui en Seine-et-Marne avec leur famille. Il devient un héros ; mais bientôt, il est arrêté en possession de sa carte de membre de la Gestapo. L’opinion publique est dès lors partagée car de nombreuses personnes qu’il a fait libérer plaident en sa faveur.

Mais le juge Legentil a décidé d’avoir la peau de Joanovici, pour madame Scaffa : il réunit les preuves et entend bien le faire tomber pour meurtre et trahison. Mais Joanovici est toujours puissant : il fait violer la femme du juge qui voit sa vie privée partir en morceaux. Legentil muté, desavoué, décide de continuer le combat avec les mêmes armes que Joanovici…

Il était une fois en France est une très vaste fresque historique qui couvre donc la guerre et l’après-guerre. Il ne s’agit pas de la grande histoire ni de héros qui ont fait la France mais bien de la face sombre de l’Occupation, des profiteurs de guerre et du trafic jusqu’aux plus hautes structures de la police et de la justice.

Le récit n’est pas linéaire comme raconté ici mais alterne les différentes périodes créant ainsi un dynamisme dans la narration : certains faits exposés dans les premiers volumes ne trouvent leur explication que dans les derniers.

Joseph Joanovici a effectivement existé et son histoire ainsi rapportée permet de comprendre comment de tels vautours ont pu prospérer avant et pendant la Seconde Guerre mondiale et surtout s’en sortir ensuite avec les honneurs (Joanovici a été décoré pour faits de résistance). Au cœur de l’intrigue se joue l’affrontement entre le profiteur et Legentil, dit « le petit juge de Melun », un homme à la ténacité qui tourne à l’obsession et qui perd tout dans cette lutte.

Joanovici n’a pourtant pas l’air d’un salaud, il a même plutôt un air jovial.  Sylvain Vallée le dessine souvent en proie au doute, ce qui souligne sa part d’humanité : il cherche à tout prix à protéger sa femme et ses deux filles et il veille comme un père sur ses employés. Le meurtre de Scaffa n’est pas non plus sans l’émouvoir… s’il n’avait été riche, Joanovici aurait peut-être été un type sensible. Fabien Nury et Sylvain Vallée font merveilles de cette ambiguïté.

Il était une fois en France

Fabien Nury (scénario) & Sylvain Vallée (dessin)
Glénat, 2007-2012 : 6 volumes

10 Comments

  1. Dans ces périodes troubles de l’Histoire, il est délicat de juger des personnages manipulateurs qui jouaient sur diverses tableaux. Je trouve que ton article met bien en évidence cette ambivalence.

    1. C’est que la BD elle-même prend bien garde de ne rien schématiser. Ce serait bien sûr facile de faire de cet homme un ignoble personnage carrément infecte. Mais c’est au moins un bon père de famille, qui aime ses enfants, et je pense qu’il a un réel souci de ses employés. Le portrait est fin, nuancé, et c’est un exercice bien plus difficile que la stigmatisation radicale.

    1. C’est vrai que cette époque est un réservoir à scénarios. Après, il faut les traiter correctement, sans manichéisme ni bons sentiments comme c’est le cas ici.

  2. Les auteurs ont réussi à se faire inscrire sur les lectures recommandées par l’éducation nationale qui d’habitude attend les morts. C’est vraiment une superbe série, mais je pense que tu n’insiste pas assez sur le fait que le juge dans son obsession se comporte lui même comme un salaud.Une BD qui met bien au centre du débat le questionnement sur qu’est ce qui fait un héros ? Et vous, qu’auriez vous été ?

Répondre à jerome Annuler la réponse.