Un pays plus vaste que la terre de Wiley Cash

Un pays plus vaste que la terreC’est à Marshall, Caroline du Nord, que s’est installé le pasteur Carson Chambliss. Il a su rassembler de nombreux habitants dans son église dont il a pris soin d’obturer toutes les fenêtres. C’est qu’il n’a pas envie qu’on parle en dehors du cercle de ses paroissiens de ses méthodes plutôt discutables, voire musclées, qui vont de l’intimidation à la contrainte. De la part des siens il ne craint rien, puisqu’ils voient en lieu un Messie.

Adelaide Lyle, un des trois narrateurs d’Un pays plus vaste que la terre a décidé depuis longtemps de quitter le navire, emportant les enfants. Parce que Chambliss l’a persuadée qu’elle ne risquait rien si elle avait la foi, Molly Jameson a bercé un serpent dans ses bras au cours d’une célébration. Le serpent l’a mordue, elle en est morte et Chamblis a ensuite largué son cadavre dans son carré de tomates, laissant croire à un accident. Adelaide le sait et se tient loin de cet illuminé qui peut aussi persuader un homme de brûler toute sa récolte de l’année au nom du Seigneur. Mais voilà qu’un autre drame advient dans l’église : le petit Christopher meurt pendant que le pasteur essaie de le guérir.

C’est à travers les yeux de Jess Hall, autre narrateur et frère de Christopher que le lecteur assiste à la cérémonie censée faire sortir le Diable du corps de l’enfant muet et ainsi lui redonner la voix. La scène est violente, très violente et le petit Jess ne comprend pas tout ce qu’il voit. Mais le lecteur lui fait le lien avec ce qu’il a raconte : son frère a vu le pasteur Chambliss au lit avec leur mère Julie Hall.

Il ne se passe que quelques jours entre l’annonce de la mort de Christopher et le dénouement de cette tragédie. L’intrigue se construit autour d’une série de flash-back dont le troisième narrateur est le shérif de Marshall. Chaque voix construit le passé des protagonistes : les parents de Jess et Christopher, mais aussi leur grand-père de retour après de très longues années d’absence. Le portrait du pasteur Chambliss se construit dès lors en creux : personne ne le connaît, personne ne sait vraiment d’où il vient, mais c’est bien le portrait d’un profiteur cynique et manipulateur qui se dessine. D’un homme à l’occasion dangereux.

Le fanatisme et la religion sont au cœur de ce sombre roman, très dense et très américain. Un type surgit de nulle part, et parce qu’il n’a que Dieu à la bouche, il peut manipuler, persuader et contraindre en entretenant une culpabilité de chaque instant.

Pour les gens du coin, la religion c’est comme une drogue : ils sont si accros qu’ils sont capables de se plier à tous les diktats de ces petites Églises de campagne. Au nom de leur foi, ils sont prêts à tout : à s’entretuer, à foutre leurs mômes à la porte, à tromper leurs maris ou leurs femmes et détruire leurs familles par la même occasion.

Pour son premier roman, Wiley Cash parvient à installer une ambiance inquiétante et lourde, à créer une tension terrible autour des événements passés comme avenirs dans cette petite bourgade. Ça se passe probablement dans les années 80, mais reste toujours terrifiant tant on imagine bien que certaines mentalités n’ont guère changé. Ces gens ont renoncé à toute volonté propre au nom d’un homme qui peut faire d’eux ce qu’il veut. Aveuglés par leur foi, ils sont prêts à tout faire, à tout croire. Wiley Cash choisit de donner la parole à l’innocent à travers Jess, et à deux protagonistes qui ne sont pas dupes des manigances de Chambliss. Peut-être un seul aurait-il suffi, un troisième point de vue aurait été bienvenu, celui d’une ouaille de Chambliss, par exemple Julie, la mère de l’enfant.

Avec ses personnages bien campés, son ambiance lourde et le mystère qui plane tout du long, Un pays plus vaste que la terre fonctionne comme une tragédie dont les pièces se mettent peu à peu en place autour d’un enfant fragile. Un roman qui se révèle aussi implacable que révoltant.


Un pays plus vaste que la terre

 

Wiley Cash traduit de l’anglais par Nono Jamet
Belfond, 2013
ISBN : 978-2-7144-5261-0 – 282 pages – 21,50 €

A Land More Kind Than Home, parution aux Etats-Unis : 2012

18 Comments

    1. Le contexte est vraiment très bien rendu, avec une économie de mots, sur en faire trop : un premier roman vraiment très maîtrisé.

  1. Il y a un bout que je suis venue lire tes mots mais, peu importe, tes billets sont toujours aussi accrocheurs et tentants.
    Je note aussi ce titre. Belle journée.

    1. Bien revenue ici 🙂 je suis vraiment ravie quand j’arrive à faire passer mes enthousiasmes, même par delà l’Atlantique !

    1. Je ne sais pas bien pourquoi on n’a pas beaucoup entendu parler de ce roman à sa sortie. Mais c’est bien qu’il soit sorti en poche, ça le rend abordable à plus de bourses.

    1. Moi non plus, le fanatisme religieux ne m’emballe pas 😉 mais à hauteur d’homme, il est vraiment bien traité.

    1. D’autant plus que ce n’est pas un portrait direct du type en question, car il est vu par les autres, ce qui est bien plus subtil et efficace.

    1. Et celui-là, en raison de son sujet, est vraiment très américain. Ceci dit, ce genre de fou qui utilise la religion pour manipuler les gens et parvenir à ses fins doit bien exister ailleurs aujourd’hui encore…

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