Une terre d’ombre de Ron Rash

Une terre d'ombre1918, Laurel et son frère Hank vivent dans le vallon, une terre d’ombre oubliée du soleil. Jadis leur père a pensé qu’il serait leur Eden mais il lui a coûté la vie. Tous deux vivent loin du monde, elle surtout que sa tache de naissance condamne à la solitude. Car dans le comté de Madison en ce début de XXème siècle, on croit encore qu’une telle marque est signe de malédiction.

De cette vie ponctuée de malheurs, Laurel n’attend déjà plus grand-chose. Peut-être l’amitié de sa future belle-sœur Carolyn que Hank va bientôt épouser et qui viendra vivre avec eux, dans le vallon. Mais c’est quelqu’un d’autre que le sort lui apporte, un homme qui joue si bien de la flute que Laurel s’éprend de sa musique avant même de le voir. Ce qu’elle ignore et que sait le lecteur, c’est que ce musicien vient de s’échapper d’un endroit où on le retenait prisonnier. Il a dans sa poche un papier qui précise qu’il s’appelle Walter et qu’il est muet. Laurel le ramène à la maison pour le soigner. Il doit bientôt rejoindre son orchestre à New York.

Laurel est sous le charme de cet inconnu, et Hank apprécie son aide, lui qui a perdu une main sur les champs de bataille européens. Alors qu’il s’apprête à quitter Mars Hill, Walter découvre qu’il fait l’objet d’un avis de recherche. Il rentre se terrer au vallon. Laurel pense qu’il revient pour elle, que le bonheur enfin frappe à sa porte.

Une terre d’ombre est une tragédie imparable que le lecteur voit se mettre en place scène après scène. Les aspirations de chaque protagoniste du dénouement sont exposées, les enjeux diffèrent et ne laissent augurer rien de bon. La tension est palpable dès le début, concentrée sur le personnage de Laurel et les superstitions qu’elle suscite. En cette fin de Première Guerre mondiale, le patriotisme exacerbé de certains planqués radicalise les opinions : il est temps de faire preuve de courage avant qu’il ne soit trop tard.

Le bonheur si simple auquel Laurel aspire se heurte d’une part à la population, d’autre part à la terre si ingrate. La nature n’est pas bienveillante au contraire, elle semble s’acharner sur cette famille, sans raison. Une fatalité pèse sur les Shelton qui malgré leurs efforts ne trouveront pas le bonheur ici-bas. Toute la première partie du roman raconte la rencontre entre Laurel et Walter et met en scène le drame à venir. Tout s’accélère au moment où Laurel comprend ce que signifie le mot gravé sur un médaillon que Walter a caché. Le lecteur comprend avec elle et n’envisage dès lors plus qu’une issue fatale. D’autant plus amers sont les rêves de Laurel, si fraîche et naïve.

Un roman noir et implacable qui ne laisse entrevoir aucun espoir.

Ron Rash sur Tête de lecture

 

Une terre d’ombre

Ron Rash traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez
Seuil, 2014
ISBN : 978-2-02-108918-9 – 242 pages – 20 €

The Cove, parution aux Etats-Unis : 2012

41 Comments

    1. Je ne suis pas adepte de nouvelles, quand un univers me plait, j’aime me plonger longtemps dedans, mais peut-être ferai-je une exception pour Ron Rash…

  1. un excellent roman et permettez que je me cite : « Et quelle idée géniale d’avoir fait de Walter, un muet ! Sans en révéler trop, on devine aisément que l’inconnu va troubler la charmante Laurel, toute prête à tâter de la flûte à Walter. Et où tant d’autres se seraient fourvoyés dans une romance mièvre, en privant de parole l’un des protagonistes, Ron Rash nous évite des dialogues nunuches mais qui obligent l’écrivain à nous émouvoir par des moyens plus subtils, ce qu’il réussit parfaitement. Econome de mots et écourtant les situations, Rash nous offre un roman assez court mais assez fort pour séduire tous les publics, en un final tragique mais quasi obligatoire pour que le bouquin tienne ses promesses jusqu’au bout. »

    1. Connaissant Walter (un prisonnier évadé), je ne me suis pourtant douté de rien, dans ma grande naïveté. Sauf à peu près de la fin car dès le début, il est clair que tout ça va mal finir. Votre passage sur la flûte est osé (si je puis me permettre)…

    1. Comme le précédent que j’ai lu, c’est sombre, très sombre. Tellement implacable que ça donnerait bien le bourdon tous ces personnages qui pensent qu’ils vont se sortir de ce vallon de malheur…

    1. Je constate que Ron Rash a plus d’admirateurs que je ne pensais. N’y a-t-il personne pour trouver ça vraiment très sombre. C’est très réussi bien sûr, mais parfois je me demande s’il ne prend pas un certain plaisir à égrener les rêves de cette pauvre Laurel pour mieux tout anéantir… C’est frissonnant ce livre…

  2. Je suis une inconditionnelle de Ron Rash !J’aime tout ses livres et j’attends avec impatience le prochain. »Une terre d’ombre » est beau comme une tragédie grecque .

    1. Tout à fait d’accord : j’ai vraiment pensé aussi à une tragédie, avec ses personnages irrémédiablement sous le joug d’un destin auquel ils n’échapperont pas. Même si eux, et peut-être parfois le lecteur, l’espèrent. Et le vallon est la scène où tout se joue. Je crois que cet auteur-là a travaillé ses auteurs grecs…

  3. Evidemment, j’ai adoré le mécanisme implacable du tragique ! Presque aussi balèze que « Un pied au paradis » du même auteur … Avec un rien de sensibilité subtile dans le personnage de Laurel dont aurait tant aimé qu’elle garde ses illusions !

    1. Qu’est-ce qu’on a envie de lui murmurer : « garde la tête froide ma grande, tu vois bien que tout ça n’est pas pour toi »… pour qu’elle arrête de s’illusionner… C’est un beau personnage, sensible, naïve oui, façon rêveuse et touchante. Juste son bizarre prénom qui m’a chiffonnée tout du long : les Américains sont très imaginatifs en la matière.

      1. Quand on comprend que son frère ne va pas …. (je ne dis rien pour les autres, mais tu vois …), mon petit coeur s’est fendu ! Pour le nouvelles, tu peux y aller, on y retrouve le vallon, c’est du même tonneau. Et moi aussi, j’ai fait une exception pour cet auteur. Séréna, j’ai moins aimé, l’intrigue est plus lisse, j’ai trouvé (mais c’est tout noir aussi !)

      2. Ah oui, le coup du frère, c’est à pleurer. Je vais donc attendre un peu pour retrouver Ron Rash parce que je ne vais pas enchainer sur des lectures du même tonneau sous peine de grave déprime !

  4. j’hésite depuis quelques mois à l’acheter car je n’ai pas du tout accroché avec Serena du même auteur. Mais ta critique me tente vraiment donc prochain achat poche.

    1. Serena est dans ma PAL et j’ai en mémoire une ou deux chroniques qui ont dû me refroidir un peu. Si j’ai choisi Une terre d’ombre, c’est en raison d’une chronique de blog récente (mais je ne sais plus où…) et de sa disponibilité à la bibliothèque : fais pareil, avec la bibliothèque on regrette moins de se tromper, même si je doute que ce soit le cas ici.

  5. je ne connais pas cet auteur que bien d’autres connaissent et apprécient, dois-je avouer que je n’ai pas trop envie de dureté en ce moment , mais il faut que je me secoue!

    1. Alors oublie-le pour l’instant parce que ses romans sont d’un noir de nuit : la moindre lueur n’est allumée que pour mieux l’éteindre et nous rappeler que nous ne sommes que des marionnettes sur le grand théâtre du destin…

    1. Nous sommes le 4 décembre et parmi mes résolutions pour 2016 il y a celle de ne pas acheter de livres avant d’avoir lu ceux de 2015, hum…

  6. J’ai beaucoup aimé ce roman! Très joli billet pour en parler 🙂 je les ai tous aimés, les romans de Ron Rash, et il me tarde de lire les deux qu’il me reste à découvrir : Le monde à l’endroit et Serena.

  7. Bonjour Sandrine, ton billet donne envie. Concernant Ron Rash, j’avais apprécié Serena et Un pied au paradis mais nettement moins Le monde à l’endroit donc je verrais. Bonne journée.

Répondre à Alex-Mot-à-Mots Annuler la réponse.