Les cerfs-volants de Kaboul de Khaled Hosseini

Les cerfs-volants de KaboulA qui souhaite découvrir la littérature afghane, Khaled Hosseini est l’auteur qui vient tout de suite à l’esprit tant en quelques romans il a gagné une popularité internationale. Les cerfs-volants de Kaboul est le premier roman de cet auteur réfugié aux États-Unis. Car l’exil est le lot de beaucoup d’intellectuels, d’écrivains qui ont pu quitter un pays en proie au malheur depuis plusieurs décennies.

Ce que vit le jeune Amir, narrateur du roman, est pourtant une enfance privilégiée à Kaboul avant l’invasion soviétique. Bien qu’orphelin de mère (celle-ci est morte en le mettant au monde), il vit heureux avec son père qu’il admire mais qu’il sent distant. Il cherche à gagner son amour et sa fierté. Et jalouse Hassan, fils du serviteur Ali. Ces derniers font pourtant partie de la minorité hazara des musulmans chiites, persécutée par les Pachtounes qui se considèrent comme les seuls vrais Afghans. Mais Amir veut son père pour lui seul et il a honte d’être timide et de ne pas savoir se défendre. Il prend aussi un certain plaisir à tester la dévotion d’Hassan à son égard. Les deux enfants grandissent ensemble et pourtant, Amir ne considère pas Hassan comme son ami mais comme son serviteur, malgré tous les jeux partagés.

Tous deux sont persécutés par un fort en gueule nommé Assef, et sa bande. Un jour, Hassan se dresse contre ce petit chef et évite ainsi à Amir une raclée mémorable. Quand plus tard, Amir pourrait prendre la défense d’Hassan, il ne le fait pas : il reste caché pendant que son ami se fait violer. Plus tard, il contribuera à la déchéance totale du jeune garçon pour conquérir l’amour de son père. Toute sa vie, le remords l’accompagnera.

Le lecteur sait dès les premières pages que devenu adulte et réfugié aux États-Unis, Amir se verra proposer une chance de se rattraper. Marié et écrivain, il retournera à Kaboul occupée par les talibans pour sauver ce qui reste de son enfance.

Les cerfs-volants de Kaboul est indéniablement une dramatique histoire d’amitié et de loyauté. Les thèmes forts ne manquent pas (guerre, exil, amour, piété filiale), au point d’y voir un certain systématisme qui a gêné ma lecture. Bien des aspects sont prévisibles et tournent au démonstratif. La propension d’Amir au regret et sa façon de se peindre en bourreau sont ainsi trop appuyées. Paradoxalement, bien qu’il soit le narrateur, on ne connaît pas Amir si bien que ça sous certains aspects. Par exemple, quand il rencontre celle qui deviendra sa femme, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne décrit pas ses sentiments. Pas plus que ce qu’il ressent de la société américaine, entre autres de la façon dont les femmes y vivent. Il ne dit rien de son statut à l’université, de son intégration. Tous ces aspects passés sous silence contribuent à rendre Amir superficiel. Ajouté au fait qu’il est trop bon fils et trop bon mari et voilà un personnage caricatural. Son obéissance et sa soumission aux coutumes finissent par lasser.

Cette attitude traduit, j’imagine, les relations père-fils en Afghanistan dans la communauté pachtoune. On comprend qu’Amir et son père font partie d’une classe privilégiée, ce qui ne permet pas une vision globale de la société mais aborde les disparités. Ce qui structure les relations entre Amir et Hassan, c’est l’opposition ancestrale entre chiites et sunnites. Elle n’est pas explicitée mais récurrente. Et parce qu’Amir et son père doivent être des personnages positifs et consensuels aux yeux du lecteur, ils ne sont pas pratiquants, le père n’est même pas croyant et critique souvent, bien avant les talibans, l’influence des « barbus ». Il est important que ces Afghans-là apparaissent comme tolérants, à des lieues de l’image véhiculée par les médias (le roman est publié en 2003 aux États-Unis).

Ce que Khaled Hosseini laisse entrevoir de Kaboul et de l’Afghanistan est intéressant. Les relations sociales d’une part mais aussi la ville, ses odeurs, ses bruits, ses habitants. Puis le cauchemar de la guerre, la fuite, et bien des années plus tard le régime des talibans dont la toute puissance et la folie apparaissent à travers deux scènes fortes. L’une très réussie de lapidation à la mi-temps d’un match de foot, l’autre beaucoup moins convaincante car elle cherche à reproduire  une scène précédente sans grande vraisemblance.

La deuxième partie consacrée à la vie aux États-Unis se déroule au sein de la communauté des exilés afghans. Ils ont créé un monde fermé qui reproduit les coutumes du pays. L’un, le père d’Amir, est celui qui n’accepte aucune aide, pas même les bons alimentaires pour se nourrir, l’autre, son futur beau-père, ne daigne pas travailler car le statut qu’il occupait au pays le lui interdit : il ne vit que des aides de l’État. De cette communauté afghane en exil, on ne voit malheureusement pas beaucoup plus car l’auteur s’occupe de poser toujours plus de culpabilité puis de révélations sur les épaules d’Amir.

J’ai trouvé tout ça très convenu et prévisible. La scène finale avec les cerfs-volants est représentative : attendue, elle vise l’émotion à grand renfort d’images fortes et impose l’idée uniquement romanesque de répétition des schémas d’une génération à l’autre.
Ma lecture fut donc assez laborieuse, je crois que ce genre de littérature qui cherche à émouvoir n’est décidément pas ce qui me convient…

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Les cerfs-volants de Kaboul

Khaled Hosseini traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois
Belfond, 2005
ISBN : 2-7144-4026-6 – 383 pages – 20 €

The Kite Runner, parution aux Etats-Unis : 2003

41 Comments

  1. Contrairement à toi, je n’ai pas trouvé que l’auteur en faisait trop pour tirer des larmes au lecteur. Il a, pour moi, conservé un certain équilibre, et si la fin est à peu près telle qu’on l’attend, cela ne m’a pas gâché la lecture.

    1. J’ai trouvé l’émotion un peu facile ici, c’est vrai. Sans vouloir en dire trop sur l’intrigue pour ceux qui ne l’aurait pas lu, cette histoire du prince et du pauvre qui se retrouvent plus proches qu’ils ne sont, j’aurais parié mon diner dessus. Ceci dit, je comprends que cette histoire puisse toucher, je crois juste ne pas être la lectrice qu’il faut pour ça (pas assez de bienveillance même si au départ, j’avais vraiment envie de découvrir cet auteur à propos duquel j’ai lu tant de bien).

    1. Parfois quand je lis, un aspect qui me déplait en début de lecture à tendance à s’imposer Du coup, si je ne trouve pas un autre aspect pour contrebalancer, pour me faire oublier ce défaut, je le vois partout… C’est ce qui s’est passé ici, je pense.

    1. Je partais plutôt confiante, grâce à des billets et chroniques très positifs lus un peu partout, y compris dans les médias traditionnels…

  2. J’ai beaucoup aimé ce roman à sa sortie, mais comme tous les romans écrits trop proches dans le temps de drames , les jugements sont altérés par le fait qu’on apprécie d’avoir une autre vision que celle des médias. Et puis, pour des raisons personnelles , jai un grand attachement aux Hazaras , je trouve qu’on ne parle pas assez de leurs souffrances. Donc aucune de mes raisons ne parle vraiment de littérature.

    1. Oh, mais on peut apprécier un livre pour des raisons autres que littéraires : pour celui ou celle qui nous l’a offert ou conseillé, pour un auteur qui est sympathique et dont on apprécie tout, pour un sujet aussi qui nous tient à coeur pour x ou y raison. C’est un peu pareil pour les films il me semble. Il y a des films que je tiens pour des chefs d’oeuvre et qui ne sont pas, et de très loin, ceux que j’ai vus le plus souvent. Ceux-ci d’ailleurs me feraient presque honte en public 🙂 et pourtant je les reverrai !

    1. Je crois que je comprends aussi pourquoi on peut beaucoup l’aimer, mais ce n’est pas mon genre de livre et à vrai dire, je ne pense pas que c’était un livre qui jouait à ce point sur l’émotion et le démonstratif. Je ne l’aurais pas choisi sinon…

  3. Je n’ai jamais eu envie de le lire et tu ne vas pas me faire changer d’avis. Tu es la plus critique des trois et tes arguments concrétisent mes craintes à l’égard de ce roman.

    1. C’est surprenant qu’on ait choisi toutes les trois le même livre car l’auteur en a écrit plusieurs qui ont tous connu un beau succès. Mais ça permet de croiser les points de vue et de décider effectivement si on se lance ou pas dans cette lecture.

  4. Pour moi, ça a été un vrai plaisir et une vraie découverte. Je me suis laissée porter par les descriptions des paysages et d’une société que je ne connaissais pas du tout. Hosseini est suffisamment doué pour que je ne me soit pas tellement attachée à l’histoire mais plus à l’ambiance.
    Mais j’entends ce que tu dis et je comprends qu’on puisse trouver ça facile. Il n’est pas impossible que, si l’auteur utilise les mêmes ficelles sur un autre de ses romans, cela m’agace.

    1. Moi aussi j’ai aimé l’évocation de ce pays que je ne connais pas du tout. Et en effet, l’auteur est assez fort pour parvenir à nous évoquer des images, une atmosphère sans références au départ. J’apprécie les auteurs qui savent rendre visuels des mots et presque familiers des personnages qui nous sont si différents.

    1. Je ne sais pas si tu as fait un billet dessus mais il me semble que la tendance sur la blogo est de ne pas chroniquer les livres qui n’ont pas plu. Pas pour tout le monde bien sûr mais dans leur majorité, les chroniques sont positives. Quand il s’agit en plus d’expliquer pourquoi on n’a pas apprécié un livre généralement encensé, c’est encore pire. C’est vrai que la tâche peut sembler ardue et qu’on n’a pas forcément le temps pour ça. C’est également souvent le cas pour les nouveautés : chroniques positives en grande majorité et il y a même des éditeurs pour lesquels c’est systématique (rares sont les chroniques négatives de livres de Gallmeister ou Sonatine par exemple…).

  5. Je l’ai lu il y a trop longtemps (en 2005) pour avoir encore bien les détails en mémoire, bien que tu en rendes compte assez précisément, mais j’en garde le souvenir d’une lecture forte en émotion et éprouvante, donc a priori, ça a bien fonctionné sur moi.:-)

  6. oh zut, j’avais été transportée avec ce roman. Après je comprends ton point de vue. Je l’ai lu jeune et à cette époque j’ai en effet privilégié la forme et non le fond.

    1. Je trouve que plus on vieillit, plus on est exigeant. Dans mon cas, il y a des ficelles qui passent de plus en plus mal…

  7. Trop entendu parler de ce livre. Je l’ai noté dans ma LAL. Peut-être que s’il croise un jour mon chemin…
    Je n’aime pas que l’on fasse pleurer le chaland à tout prix

  8. Je garde, à la différence de toi, un bon souvenir de ce roman qui offre une vision différente de la société afghane de celle que les médias réduisent souvent aux Talibans. Ceci dit, il est vrai que les romans de Khaled Hosseini visent des fresques romanesques…

    1. Il y a certains points positifs, c’est certain, comme la découverte de ce pays de l’intérieur avec une vision plus personnelle tu as raison. j’espère que ce seront les points que je retiendrai au final.

  9. Personnellement, je te trouve aussi assez sévère avec l’auteur.
    Je pense que Khaled Hosseini écrit surtout pour les lectrices entre, disons, 20-35 ans, et c’est le moment où je l’ai lu, à sa sortie en Allemagne. J’ai été beaucoup touchée et vraiment transportée par ses descriptions.
    Néanmoins, j’étais un peu déçue par Mille soleils splendides qui utilise le même schéma. D’où mon idée, que nous avons peut-être dépassé l’âge de Khaled Hosseini 🙂

    PS: de plus je suis persuadée que la traduction y joue beaucoup – la version allemande est bien meilleure.

    1. C’est possible oui que j’aie passé l’âge du lectorat cible. Cependant, j’ai tendance à penser que quand un livre est bon, il est lisible à tout âge. Je me rappelle avoir piqué des fous rires avec mes enfants quand je leur lisais des albums (Mon chat le plus bêtes du monde et La Petite poule rousse version Paul Galdone font par exemple partie de nos excellents souvenirs communs et inoubliables). Et je lis aujourd’hui encore de temps en temps et avec plaisir les romans de Michael Morpurgo.
      Je crois donc qu’en plus de ne pas voir l’âge cible, je ne suis pas réceptive à ce genre de littérature à grosses ficelles…

  10. Je n’ai pas du tout eu cette impression, de vouloir émouvoir à tout prix. Je trouve que c’est un livre fort sur la culpabilité. En fait je crois que l’impression donnée par un roman dépend beaucoup de notre état d’esprit au moment de la lecture. Quand j’ai lu ce roman j’avais du mal à me concentrer et là c’est passé « comme une lettre à la poste » d’ailleurs j’ai enchaîné aussitôt sur Mille soleils splendides. Et j’ai aussi « dépassé l’âge cible » 🙂
    Je suis de ton avis ce n’est pas une histoire d’âge, mais plus de moment favorable ou pas.

    1. Oui c’est vrai. Ça dépend aussi pas mal des attentes. J’avais lu beaucoup de bonnes choses sur cet auteur, je ne savais même pas quel roman choisir à la bibliothèque tant les lecteurs sont dithyrambiques. J’avais donc placé la barre assez haut, trop haut de fait.

  11. Ah j’avais beaucoup aimé, moi. C’est vrai qu’il y a des ficelles mais ça ne m’a pas gêné plus que ça. Une très bonne lecture, qui remonte d’ailleurs à un paquet d’années!

    1. Peut-être ai-je lu trop de critiques très positives qui m’ont fait placer la barre de mes attentes trop haut…

      1. Oui c’est très possible, ça m’arrive souvent d’être déçu après avoir lu beaucoup de critiques très positives. Du coup on en attend trop et on se met à chercher la petite bête par esprit de contradiction. Peut-être que moi aussi j’aurais moins apprécié si j’en avais beaucoup attendu.

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