L’oiseau du Bon Dieu de James McBride

L'oiseau du bon dieu

Il existe de nombreux textes, romans ou essais, sur la guerre de Sécession, la lutte de l’Union contre la Confédération et contre l’esclavage. De notre côté de l’Atlantique, il est moins évident que le conflit avait débuté bien avant 1861 et que des Nordistes se sont battus contre des Sudistes pour les Noirs. Si l’abolition n’était pas la grande raison du déclenchement de la guerre, quelques abolitionnistes convaincus avaient cependant déjà ouvert les hostilités.

Parmi eux, John Brown, dit le Vieux tant il a l’air rongé par les ans quand commence L’Oiseau du Bon Dieu et que son chemin croise celui d’Henry Shackleford, le narrateur âgé de dix ans. Est-ce parce qu’il est vieux qu’il prend ce pauvre Henry pour une fille ? Il n’a pourtant que de cinquante-cinq ans environ… Toujours est-il que le gosse revêt une robe et un charmant petit bonnet et devient Henrietta pour plusieurs années, Henrietta dite L’Échalote… Il va ainsi vivre au jour le jour le quotidien du Vieux John et de sa bande, essentiellement composée de ses nombreux fils et de quelques antiesclavagistes égarés à la frontière du Kansas et du Missouri. Ils sont les Pottawatomies Rifles, une bande d’affamés qui cherchent la bagarre et vivent dehors.

Cette vie-là est tellement difficile, qu’Henry en vient à regretter le temps où il était esclave et aidait son père à couper des cheveux et tailler des barbes, bien au chaud chez Dutch et le ventre bien plein :

Être libre, ça valait pas un pet de lapin.

Henry essaie bien de se sauver, de retourner chez son maître, mais rien n’est simple. Il est emmené par deux Sudistes à Pikesville où il redevient esclave dans un saloon bordel. Comme il est bien plat et peu attrayant pour une fille, il ne travaille pas couché et se lie d’amitié avec une esclave prostituée. Il rejoindra à nouveau la bande du Vieux pour un coup d’envergure : s’attaquer à un arsenal fédéral.

Si James McBride a choisi l’humour à travers le regard ironique d’Henry, L’Oiseau du Bon Dieu n’en est pas moins un roman historique mettant en scène ce John Brown, illuminé fou de Dieu qui est allé jusqu’au bout de ses convictions chrétiennes. Ce qui fait de lui un fanatique pour les uns, un martyr pour les autres et pour la grande majorité, un terroriste. Car aussi juste que soit sa cause, John Brown n’hésitait pas à tuer des innocents. Le récit qu’Henry fait de son périple avec lui permet au roman de ne pas sombrer dans la tragédie qu’il pourrait être tant l’épopée de Brown est un bain de sang.

James McBride brosse un portrait plus que nuancé de certains abolitionnistes, notamment des Noirs en costume qui, dit le Vieux, tiennent des discours de Blancs. D’ailleurs, tenir des discours, c’est tout ce qu’ils sont capables de faire : personne pour passer à l’action.

–  Oh, ils parlent bien, ils écrivent de belles histoires pour les journaux abolitionnistes et tout ça. Mais écrire des histoires dans le journal et faire des discours, c’est pas la même chose qu’être ici et faire le boulot. Sur le terrain. Sur la ligne de front. La ligne de la liberté. Ils bavardent à n’en plus finir, tous ces prétentieux, à l’air si impeccable qui boivent du thé et se gargarisent, sillonnant la Nouvelle-Angleterre dans leurs belles chemises de soie, laissant les Blancs essuyer leurs larmes et tout. Bow Car Brown. Frederick Douglass. Tu parles ! Je connais un Noir à Chambersburg qui vaut une vingtaine de ces m’as-tu-vu à lui tout seul.

Il est aussi question des maîtres blancs qui ne traitent pas leurs esclaves si mal que ça, des Noirs (souvent domestiques de maison) qui s’arrangent très bien de l’esclavage et n’entendent pas servir la cause abolitionniste, bref : rien de consensuel dans ce roman qui n’hésite pas à bousculer poncifs et bons sentiments sur le sujet.

Roman atypique donc pour un drôle de type, qui avait physiquement quelque chose de Samuel Beckett, non ?

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L’oiseau du Bon Dieu

James McBride traduit de l’anglais par François Happe
Gallmeister, 2015

ISBN : 978-2-35178-097-8 – 441 pages – 24,80 €

The Good Lord Bird, parution aux Etats-Unis : 2013

17 Comments

    1. Là, il s’est fait beau pour la photo, mais d’après ce que j’ai lu et dans le roman, il ressemblait d’abord à un fantôme très barbu et décharné… mais sans la barbe, je trouve la ressemblance saisissante !

  1. Très bon livre. Beaucoup de plaisir à le livre, comme de nombreux ouvrages de cette maison d’édition. A lire absolument, « Homesman » de Glendon Swarthout ou encore « Les douze tribus d’Hattie » de Ayana Mathis.

    1. J’ai lu avec beaucoup de plaisir Homesman, mais voilà bien quatre ou cinq fois qu’on me recommande, parfois des gens qui me connaissent personnellement, Les douze tribus d’Hattie : ça doit être un livre pour moi 😉

    1. Mille mercis Claire-Jeanne : je ne savais plus pour qu’elle bonne raison le livre de Banks était inscrit sur ma liste depuis trop longtemps !

  2. Je trouve qu’il a surtout l’air d’un fanatique illuminé. Ce livre me semble indispensable pour mieux comprendre la guerre civile américaine. Je vais lui mettre une petite place dans une liste qui ne finit pas de grandir.

    1. Beckett, surtout avec son petit sourire, est est beaucoup plus attirant, et surtout moins inquiétant que ce Brown qui en vérité devait faire très peur…

    1. Oui, tout à fait, c’est loin d’être l’histoire d’une gentil abolitionniste avec les méchants Blancs d’un côté et les gentils Noirs de l’autre…

    1. Je ne sais plus ce qui m’a donné à moi l’envie de lire ce livre, mais depuis, j’ai entendu James McBride parler à la radio (« L’humeur vagabonde ») : très intéressant. Il est lui-même très croyant me semble-t-il, il parle d’un voix très douce, c’est un musicien, chanteur (genre gospel) : je crois que j’aurais pu l’écouter pendant des heures.

  3. Quel visage, quel regard… Il fait peur par contre 🙂 et le bouquin me tente bien, je ne connaissais pas le personnage et j’aime bien les livres qui embrassent la complexité des choses 🙂

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