Volez ce livre d’Abbie Hoffman

Volez ce livreVolez ce livre, oui, car autant être clair dès le titre : Abbie Hoffman est un agitateur, un de ces trublions que les bien-pensants cherchent en vain à faire taire : ils sont là, toujours là et ils s’expriment haut et fort.

Abbie Hoffman est à l’origine du Youth International Party (yippies), mouvement libertaire et contestataire né en 1968. Les jeunes de l’Amérike (comme il l’écrit) de Nixon étouffent et secouent le joug. Volez ce livre se présente comme un guide de survie de l’activiste et plus largement du hippie dans l’Empire des salopards. Un guide pratique grâce auquel il devient possible de vivre à moindre frais et surtout de flanquer la pagaille à tous les niveaux.

Dans une première partie, « Survivre ! », Abbie Hoffman liste toutes ses combines et bons plans. L’essentiel de sa stratégie repose sur le vol et l’arnaque. Aucun scrupule ne le retient puisqu’il part du principe qu’il fait partie des victimes du système. Le voleur, c’est l’État, les institutions, le système capitaliste qui écrase les plus faibles. Notamment ceux qui ont décidé de ne pas travailler et de vivre aux crochets des autres… Hoffman explicite clairement, adresses précises à l’appui, comment voler dans les magasins (vêtements et nourriture), gruger dans les transports, obtenir logement et soins médicaux gratuits et bien sûr, se défoncer à moindre frais. Et même qu’il est bon de se déguiser en ecclésiastique pour bénéficier des surplus alimentaires et mentir comme un arracheur de dents pour obtenir la compassion des services sociaux et donc, des allocations.

L’image que vous voulez leur faire passer est celle d’une personne amicale et sensible, abusée par des parents violents, victime d’une société froide et impitoyable. Dites que c’est parce que vous souhaitiez ne pas perdre votre dignité que vous avez repoussé votre visite pendant des mois, alors même que vous étiez à la rue, sans le sou, affamé. Si vous êtes une femme, dites que vous avez récemment été violée. Dans l’Amérike sexiste, c’est probablement vrai.
Après une heure et quelque à jouer ce mélo, vous serez prêt à recevoir votre premier chèque. A partir de là, ce sera un chèque tous les mois, des soins médicaux complets gratuits et pleins d’autres avantages délirants. […]
Le truc vraiment fort, c’est de réussir à baratiner les services sociaux de plusieurs Etats…

Vous saurez comment cultiver votre marijuana que vous viviez en ville ou à la campagne. Hoffman ne manquant pas d’humour, on rit bien des fois du culot de ce parasite social qui manie aussi l’autodérision.

Hoffman milite pour les droits civiques, la libération de la femme, le droit à l’avortement, contre la guerre du Vietnam. Il ne se contente pas d’écrire des livres ou de prononcer des discours : il casse, selon un principe de « destruction créative ». Vous apprendrez donc quel casque il vaut mieux porter lors d’une manifestation et comment fabriquer une bombe artisanale. Évidemment, le propos est aujourd’hui politiquement incorrect, d’autant plus quand le monde souffre d’attentats terroristes. Il n’est cependant pas question pour lui de tuer qui que ce soit, mais bien de causer des dégâts matériels et plus généralement, de foutre la merde au pays de l’Oncle Sam. Il explique à ses camarades, à ceux qui voleront ce livre, comment ne blesser personne.

Si la recette du cocktail Molotov est toujours valable, bien des conseils sont depuis longtemps obsolètes : il n’y a plus de cabine à pièces et les systèmes de surveillance en ville et dans les magasins se sont considérablement développés. Sa façon de créer un journal, révolutionnaire bien sûr, prête aujourd’hui à sourire. On peut même le trouver gonflé de préconiser la publicité comme moyen de financement : sale capitaliste !

On a plus affaire à un état de l’Amérique et au portrait d’une jeunesse américaine écrasée de conformisme, écœurée par les magouilles politiques. Bien mieux qu’un traité sociologique, Abbie Hoffman parle pour les siens, de l’intérieur et avec conviction. Il n’est pas le gentil beatnik adepte du Flower Power mais un activiste, recherché par le FBI et qui finira en 1989 très étrangement « suicidé ». Ce texte écrit en pleine guerre du Vietnam a valeur de témoignage. On s’étonne donc qu’aucune maison d’édition ne l’ait publié avant aujourd’hui. Ce qui confirme une tendance de plus en plus évidente : les « petits » éditeurs français publient des textes essentiels qu’on aurait tort d’ignorer.

Alors même si cet Abbie Hoffman vous prend parfois à rebrousse-poil, n’hésitez plus : volez ce livre et lisez-le !

La fiche Wikipedia d’Abbie Hoffman

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Volez ce livre

Abbie Hoffman traduit de l’anglais par Romain Guillou (illustration de Roméo Julien)
Tusitala (Fumées), 2015
ISBN : 979-10-92159-08-0 – 265 pages – 19 €

Steale This Book, parution aux États-Unis : 1971

15 Comments

  1. Pas de com sur FB ! Mais ici, on a la paix, non ? Y a pas un gendarme planqué sous le melon ? Ben oui, il le dit « Volez ce livre ! » mais les libraires vont VENDRE ce livre, et de nos jours, il est bien difficile de voler un livre…Rajoute-je « hélas » ?
    Bien tentant, ce titre, Sandrine ! 😀

    1. Cet Abbie Hoffman n’avait bien sûr pas grand-chose à faire avec la moralité de certains 😉 Il avait publié un livre avant celui-là, sur lequel il avait fait imprimer le slogan « Volez ce livre ». Mais ça n’a pas plu à son éditeur qui l’a fait retirer. Le gaillard ne s’est pas démonté et décidé de donner ce titre à son livre suivant pour qu’il ne soit ainsi pas possible de l’enlever…

    1. Hoffman précise bien que les journaux underground sont les seuls qui ne doivent pas être volés, idem pour tout ce qui vient des communautés : car il faut s’entraider et pas se voler les uns les autres. Ce type a une morale finalement !

  2. Tu l’as volé, ce livre?
    Heu, je ne comprends pas ‘arracheur de temps’, c’est une image ou?
    Sinon, ça m’a l’air délicieusement politiquement incorrect, ce truc là.

    1. Tiens, il faudrait certainement que je m’allonge sur le divan d’un psy pour comprendre ce que j’ai bien pu vouloir dire dans ce lapsus 😉 (billet relu 4 fois, bien sûr…).
      Et non, je ne l’ai pas volé, simplement commandé à mon libraire : je suis terriblement conformiste !

  3. Tout au long de ton billet, je me demandais ce qu’il était devenu. Etrangement suicidé dis-tu, je vais aller chercher un peu plus d’info sur la toile. L’Amérique d’aujourd’hui doit le regarder encore plus de travers que celle d’hier !

    1. Son suicide a semblé d’autant plus étrange qu’il a lui-même dénoncé les « meurtres d’État » déguisés en suicide…

  4. Je me souviens très bien, quand j’avais vu ce livre en librairie, avoir eu la forte impulsion de le voler pour de bon.:-) Mais je dois être fortement conditionnée, je suis finalement partie sans. En revanche, je ne m’attendais pas du tout à son contenu (je ne l’ai pas touché, par crainte de l’embarquer réellement dans une sorte d’étrange folie). Il m’intéresse grandement du coup. Je retournerai en librairie !^^

    1. Je crois que ça lui aurait fait plaisir qu’on arrive à voler ce livre. Il donne de nombreux conseils à l’intérieur pour bien voler, notamment coudre de grandes poches à l’intérieur d’un long manteau ou imper. Ce qui ne tient bien sûr pas compte des techniques antivol actuelles… ni de nos scrupules envers libraires et éditeurs 😉

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