Alvin de Dillies et Hautière

Alvin 1Abélard, dans le cycle précédent qui porte son nom, a décidé de partir pour l’Amérique afin d’apprendre à voler : ainsi pourra-t-il peut-être cueillir un bouquet d’étoiles et séduire la belle Epilie. Il quitte donc son marais et ses amis et trace la route avec des compagnons de rencontre. Dont Gaston, l’ours mal léché, toujours à ronchonner.

Gaston arrive seul à New York, il ne reste d’Abelard que son chapeau. Fameux chapeau dont il tirait chaque jour une maxime des plus optimistes pour affronter la vie, « un genre de truc pour te faire réfléchir« . Gaston se fait ironworker : avec d’autres, il construit la ville de tous les défis. Purity aussi aurait bien voulu faire quelque chose de sa vie, mais le père de son enfant l’a abandonnée et elle est devenue prostituée. La préférée de Gaston. Aussi quand elle meurt, tabassée par un client, il promet de prendre soin de son fils, placé chez une nourrice : promis juré, Alvin n’ira pas à l’Assistance publique. Hum, ça va pas être facile pour Gaston…

C’est qu’il a du caractère Alvin, et pas sa langue dans sa poche. Une peste en somme, tout le contraire du tendre et naïf Abélard.

Voilà donc notre Gaston à nouveau en charge d’enfant, lui qui les déteste. Ou prétend les détester. Et parce qu’il ne trouve pas de foyer pour son protégé à New York, il prend à nouveau la route, parce qu’après tout, l’Amérique, c’est grand et qu’en ce début de XXe siècle, il y a encore de la place à prendre. En chemin, Alvin et Gaston rencontrent toute sorte de gens, dont un terrible prédicateur qui convoie des monstres humains dans sa roulotte. L’un d’eux s’appelle Jimmy Pumpkins, ou plutôt c’est comme ça qu’on l’appelle parce que lui n’a pas de bouche.

Si la veine d’Abelard était plutôt poétique et drôle, celle d’Alvin est franchement sombre. On sourit toujours aux échanges entre le vieux bourru et le petit questionneur crampon, mais la tonalité générale n’est pas au rêve. Le rêve américain, c’était avant, en Europe. Sur place, c’est le temps de la rude réalité : la misère et le racisme écrasent les gens de peu qui se laissent gouverner par des prédicateurs illuminés de Dieu. Le destin d’Alvin s’inscrit donc sous le signe de la crise économique et du réalisme social.

Aussi, si Alvin rappelle Abelard sur bien des points (sa curiosité, sa taille), il est surtout bien plus pragmatique. Plus terre à terre et moins porté vers les étoiles, plus insupportable aussi, bref, un personnage au final différent, pas un clone du personnage précédent (et trop tôt disparu, comme on dit…). Une bonne chose donc que les auteurs se soient détachés d’Abelard le tendre rêveur dont le charme a fait succomber tous les lecteurs.

Si une grande partie du charme du cycle d’Abelard comme de celui d’Alvin tient aux rapports humains, le dessin fonctionne aussi comme langage poétique. En témoigne Jimmy, le personnage risqué qui ne parle pas et ne s’exprime qu’à travers son corps. Son corps si différent, a priori handicapant. Un personnage gratuit, qui n’apporte rien à l’intrigue mais participe à la magie de cet univers. De fait, à lui tout seul, il en tempère la noirceur. Il ajoute aussi une touche de folie douce à un réalisme malgré tout assez convenu (le méchant prédicateur, les foules abruties, les capitalistes avides…).

On ne saurait se lasser du dessin de Renaud Dillies, qui traduit l’émotion à travers des corps et des postures bizarres, souvent étrangement proportionnés. Il y a les longs dégingandés, les riquiquis, les massifs… des animaux qu’on a parfois du mal à identifier, Alvin en particulier et qui sont essentiels à l’univers merveilleux mis en place. Le choix de la bande dessinée animalière permet la passerelle entre l’aspect enfantin du conte et le réalisme social de l’époque, dénué de poésie. Alors plongeons, petits et grands !

Régis Hautière et Renaud Dillies sur Tête de lecture

 

Alvin tomes 1 et 2

Régis Hautière (scénario), Renaud Dillies (dessin) et Christophe Bouchard (couleurs)
Dargaud, 2015 et 2016
ISBN : 978-2-5050-6404-6 et 978-2-5050-6416-9 – 56 pages – 13,99 € chacun

10 Comments

  1. J’adore ces deux mini-séries, Régis Hautière est un très bon scénariste que j’ai apprécié dans d’autres albums et le dessin de Dillies est à la fois très original et très tendre.

    1. Le scénario d’Hautière et le dessin très poétique de Dillies font merveille dans ces deux séries : très belle réussite. J’ai quand même une préférence pour Abélard, plus originale.

    1. J’ai été ravie de découvrir Abélard, et Alvin, et Gaston… depuis le temps qu’on me les vantait. J’ai encore beaucoup à découvrir de leurs univers à tous deux.

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