Absolution de Patrick Flanery

AbsolutionSam, spécialiste de l’œuvre de sa compatriote sud africaine Clare Wald, est choisi pour écrire sa biographie. Alors qu’elle vit en recluse, elle accepte une série d’entretiens chez elle. Elle réserve pourtant un accueil plus que frais à son biographe de retour au pays après plusieurs années passées aux États-Unis. Elle se montre très vaniteuse, parfois méchante. Mais il en faut plus pour décourager Sam qui, on le comprendra petit à petit, a d’autres motifs qu’universitaires pour interroger la vieille dame.

Ces autres motifs, le lecteur ne les perçoit pas d’abord clairement. Tout simplement parce que l’auteur garde pour lui nombre d’indications qui permettraient de savoir trop vite qui sont les protagonistes d’Absolution. Ce n’est que progressivement que les liens se dévoilent, d’où une chronique volontairement évasive sur l’intrigue elle-même : il serait dommage d’en dire trop.

Ce qu’on sait, c’est que Laura, la fille de Clare a disparu longtemps auparavant et que sa sœur Nora a été assassinée. On sait que Laura était une activiste politique au temps de l’apartheid. Qu’elle a disparu du jour au lendemain sans qu’on n’entende plus jamais parler d’elle : est-elle morte ? Dans sa fuite, sa route a croisé celle d’un certain Bernard et de son neveu : elle faisait du stop, il s’est arrêté. Elle est montée dans son camion. Bernard s’est avéré être une brute qui maltraitait l’enfant, et Bernard est mort, écrasé par son propre camion. Qui conduisait ? L’enfant s’est retrouvé chez sa tante : comment, pourquoi ?

Le lecteur lit deux versions de la mort de Bernard : l’une où l’enfant conduit le camion, l’autre où Laura le conduit avec lui. Pourquoi deux versions et qui croire ? Le lecteur ne sait pas toujours ce qu’il lit : le récit de Sam ? Celui de Clare ? L’autobiographie que Clare avoue écrire ensuite ? Les carnets de Laura ? Qui parle et qui dit « je » ? Comme le souligne Clare, s’affirmer autobiographe ou biographe n’est pas gage de sincérité puisqu’elle-même sous-titre son autobiographie « roman ».

Le flou narratif, l’hésitation quant à la crédibilité du narrateur, la fiabilité du souvenir sont autant de procédés utilisés par Patrick Flanery pour entretenir le doute. Car le doute autour de la narration induit le doute autour de son contexte et donc de l’Histoire elle-même.

L’apartheid est au coeur d’Absolution et pourtant, il n’y est fait allusion que de façon détournée. On comprend que Clare était une opposante, que Laura a pris part à la lutte armée, mais quasi rien d’autre. Pas de noms, pas d’événements historiques. Dans la période post apartheid, celle de l’interview, il n’en est pas question non plus ouvertement, on ne devine des Noirs que dans le rôles de domestiques.

Ce qui mine ces Blancs libéraux, ouvertement non racistes et égalitaires depuis toujours, c’est la peur. Ils vivent enfermés dans des bunkers de luxe, derrière des codes de sécurité et des murs. Même le frigo possède son verrou pour que la bonne ne vole pas la nourriture. Les mendiants sont partout, les vols et agressions monnaie courante. Clare elle-même est victime d’un cambriolage nocturne alors qu’elle se trouve chez elle.

La subtile construction d’Absolution requiert toute l’attention du lecteur et suscite son admiration. L’extrême tension entre les personnages va croissant au fur et à mesure des dévoilements successifs qui suggèrent le mystère de chaque personnalité. Variant les points de vue, entretenant le flou narratif, Patrick Flanery fait œuvre littéraire de la part de mystère de chacun. Qui est l’autre et que sait-on de lui ? La parole, les souvenirs, les déclarations d’intention font-ils une personne ? Dès lors, comment accéder à la Vérité ? L’Afrique du Sud a cherché à accéder à cette vérité à travers la Commission Vérité et Réconciliation, mais comment se fonder sur des témoignages dès lors que les témoins ne sont qu’hommes et femmes donc faillibles, corruptibles et intéressés ? L’individu a-t-il lui besoin de vérité ? Est-il toujours apte à l’affronter ?

Patrick Flanery parvient à peindre des personnages qui sont à la fois des individus complexes et uniques et les symboles éludés d’un pays tourmenté par ses contradictions. On se situe ici du côté des Blancs progressistes dont certains se sont battus contre l’apartheid, jusqu’à donner leur vie. Pourtant, aucun protagoniste noir dans Absolution

… mais un grand nombre de coquilles très déplaisantes…

Absolution

Patrick Flanery traduit de l’anglais par Michel Marny
Robert Laffont (Pavillons), 2013
ISBN : 978-2-221-12634-9 – 453 pages – 22 €

Absolution, parution aux États-Unis : 2012

18 Comments

  1. Un livre qui m’a marquée, lu en plus on situ lors de notre dernier voyage en AdS. Je t’explique pas les rêves que j’ai fait certaine nuit 😉
    Ça fait des mois que j’attends le paperback de Fallen Land car pour moi c’est vraiment un auteur à suivre…

      1. Il a reçu pas mal d’attention dans les médias anglophones mais c’est vrai qu’ici… Mystère !
        Et oulala les fautes dans mon commentaire précédent. J’étais fatiguée hier soir

  2. Ce que tu dis de la construction narrative me tente bien, j’aime bien quand on me met le doute … Je suis en train de finir Inishowen de Joseph O’Connor et dans un contexte bien différent, cela m’y fait penser, tu passes d’une vision du personnage à une autre, sans savoir laquelle est « la bonne » ….

    1. Je rentre de la bibliothèque où j’ai emprunté Maintenant où jamais, son dernier. Je devrais donc le lire sous peu, malgré mes nombreuses envies estivales (l’été devrait durer 6 mois…).

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