
« Les Knox : ils étaient quatre mais n’étaient qu’un. »
Katie la mère, Eric le père, Drew le petit dernier et Devon la star. Tous sont soudés derrière la jeune gymnaste, ils lui ont tout sacrifié : leur temps, leur argent, leurs nerfs, leur affection, eux-mêmes. Rien ne passe avant la réussite de Devon car Devon est extraordinaire, hors-normes, elle n’a peur de rien, elle réussit. Bientôt, la dernière qualification avant les Jeux Olympiques. Rien n’arrêtera Devon car sa famille fait tout pour elle.
Mais voilà qu’un accident vient faire vaciller le bel équilibre du petit monde de la gymnastique : Ryan Beck, le très beau Ryan Beck meurt suite à un accident de la route. Il a été renversé par une voiture dont le conducteur a pris la fuite. Il était le petit ami de la très belle Hailey Belfour, elle-même nièce de l’entraineur de Devon et de son club des BelStars. Ils formaient le couple idéal, jeune et beau, malgré quelques orageuses disputes.
A priori, rien dans la mort du jeune homme ne peut déranger l’organisation de la famille Knox. Sauf que Katie, comme bien d’autres mères, a été troublée par son charme et qu’elle ressent d’autant plus fortement sa mort que sa fille ne semble pas affectée. Devon souhaite reprendre l’entrainement et ne pas perdre son temps en cérémonies et en enterrement. Serait-elle un monstre sans coeur, incapable de la moindre empathie, toute dévouée à la performance ?
Aucun de nous ne connaît ses enfants.
Katie commet donc le crime que toute mère se reproche : lire le journal intime de sa fille. Puis elle va s’interroger sur Hailey, sur Devon, sur Eric son mari qu’elle aime sans faille depuis seize ans, car Devon est un ciment entre eux. La situation se complique quand Hailey est soupçonnée du meurtre de Ryan, au moins par la communauté et quand elle harcèle Devon au téléphone puis l’agresse physiquement. Qui sont ces jeunes filles ? Quelle compétition se livrent-elles ?
Plus on lit et plus on veut lire. Plus on comprend l’ampleur de ce que Katie ignore et plus on veut savoir ce qui s’est passé cette nuit-là sur Ash Road avant que tout se brise. Comme Joyce Carol Oates dans l’excellent Petite soeur mon amour, Megan Abbott nous introduit dans le monde de la compétition et de l’exploitation sportive des enfants. Dès trois ans, Devon débute l’entrainement. Elle modèle son corps, le maltraite et le soumet, enfouissant sa souffrance physique : elle doit être performante et souriante, impeccable. Et de cette souffrance on ne saura presque rien puisque c’est par les yeux de Katie que la jeune fille est envisagée. Katie est fière de sa fille qui est la meilleure, elle-même souffre beaucoup dans sa vie quotidienne de tout ce qu’elle lui sacrifie. De Devon cependant, on ne saura pas grand-chose, elle reste une énigme à l’issue du roman qui fonctionne surtout autour de la famille comme mécanisme de protection.
Et de fait, la discipline sportive de la jeune fille rejaillit sur toute la famille qui vit dans un monde clos, un carcan qui va exploser à la faveur de la mort de Ryan. Ce que le sport de haut niveau implique est proprement effrayant. Non seulement il soumet les corps à une discipline insensée, mais il fait des athlètes des machines insensibles incapables de voir plus loin que la victoire. Aucun prix n’est trop cher à payer pour réussir : tout, les Knox sont prêts à tout pour la réussite de Devon. Et c’est effrayant.
Megan Abbott a ce talent-là : faire jaillir l’inquiétude du quotidien. Katie pense connaître ses enfants, son mari, les autres parents qui comme elle accompagnent leurs filles à l’entrainement. Mais il s’avère que les gens les plus proches sont ceux qu’on connaît le moins, aveuglés que l’on est par nos illusions à leur encontre. Comme Joyce Carol Oates ou Laura Kasischke, Megan Abbott sait décortiquer les psychés complexes des jeunes filles et jeunes femmes américaines. Sous des apparences lisses et des discours rodés, s’agitent de vrais cauchemars formés par l’ambition, la jalousie et la pression sociale.
Megan Abbott sur Tête de lecture
Avant que tout se brise
Megan Abbott traduite de l’anglais par Jean Esch
Le Masque, 2016
ISBN : 978-2-7024-4644-7 – 333 pages – 20,90 €
You Will Know Me, parution aux Etats-Unis : 2016
Salut Sandrine. Je suis fan de Megan Abbott, c’est clair. Je n’ai pas trop aimé Fièvre, son précédent, le trouvant brouillon et dispersé. Mais quand elle s’attache à un cercle tel que la famille Knox, cela donne un régal de suspense familial. Excellent ! Amitiés
Je n’ai pas tout lu, mais celui-là est effectivement vraiment réussi : les dessous de la parfaite famille américaine, quel enfer !
J’ai « Absente » dans ma PAL, j’espère l’en sortir ce mois-ci 😉
Oui, c’est le moment si tu vas au festival America !
Argh! Je n’arrive plus à te suivre. ce sera le festival des frustrations si ça continue! ^_^
Si tu es frustrée c’est que tu as beaucoup d’envies, tant mieux !
tiens, je me demandais justement, dans le cadre du Festival America, ce que valait cette auteure… moi qui aime les histoires de famille bien sombres, je serai servie !
La famille, les adolescentes en particulier, est son sujet de prédilection. Elle devrait te plaire.
Tu m’as donné envie (en même temps, tu as dit les mots magiques: Laura Kassischke et Joyce Carol Oates) ! Je le note sur ma liste.
Elle manie la même noirceur et la tension psychologique qui caractérisent ces auteurs. Il n’y a pas de raison pour qu’elle ne te plaise pas.
je note, je crois bien que je n’ai pas encore lu cette auteure !
Tu vois, il le faut vraiment. Et commencer par ce titre me semble une bonne idée…
Ah oui, il a l’air sympa à lire celui-ci 😉
Le suspens fonctionne très bien et les personnages sont très fouillés : une réussite.
Bienvenue ici 😉