Ben est lycéen dans une ville comme les autres de l’Alabama au début des années 60. Il est amoureux de Kelli, une jeune fille venue du nord s’installer à Choctaw avec sa mère. Elle travaille avec lui pour le journal du lycée ce qui les rapproche et fait comprendre à Ben que c’est une fille vraiment différente. Une fille qui par exemple s’intéresse aux Noirs. A Choctaw, on a bien Negroville, le quartier noir, et même un cimetière exprès pour eux, séparé de celui des Blancs, mais pourquoi s’en préoccuper ?
Pratiquement, Ben ignore tout des Noirs : il n’y en a pas au lycée et on les dit dangereux. Sous la pression de Kelli, il va découvrir que certains d’entre eux manifestent pacifiquement et silencieusement dans une ville voisine. Que Choctaw a un passé esclavagiste et que le mont Crève-Coeur qui la domine tient son nom d’une bien sombre histoire, désormais oubliée. Il faudra à Kelli beaucoup de recherches pour faire ressurgir le passé.
Son adolescence, Ben nous la raconte alors qu’il est un médecin établi : le temps a passé mais il ne peut oublier ce printemps-là, quand Kelli a été retrouvée morte sur les hauteurs du mont Crève-Coeur. Que s’est-il passé ?
Le lecteur le découvre très progressivement au cours d’une narration qui monte en tension. Qui abuse également de formules toutes faites du type « Je ne me serais jamais imaginé que…« , autant de prolepses censées attacher le lecteur à une intrigue qui n’a vraiment pas besoin de procédés aussi primaires. On retrouve là les tics d’écriture de Thomas H. Cook dans les années 90, qu’il ne pratique désormais plus. C’est que ce roman qui paraît en 2016 en France date de 1995 : l’écriture de Cook a évolué mais avec des traductions qui ne respectent pas l’ordre des parutions originales, il n’est pas aisé de l’apprécier.
Maniant le non-dit comme personne, Cook construit une intrigue impeccable. Le suspens est efficace et s’organise par flash-back autour d’un drame lié à l’histoire de Choctaw et plus largement du pays. Comme Kelli, Cook met sous le nez du lecteur américain ce qu’il préfèrerait peut-être enfouir dans le passé. Il revient sur les problèmes raciaux, toujours présents bien que la déségrégation et trente années soient passées. Parce que comme Ben l’a découvert le Mal est toujours présent.
Thomas H. Cook maîtrise parfaitement ses personnages qui sont tout en nuances. Ils ne sont pas prévisibles, jamais caricaturaux. Bouleversés par le crime, ils agissent dans l’urgence, s’interrogent, dans une ambiance de suspicion communautaire. Ils ont beau être des Américains vivant en Alabama dans les années 60, on n’a aucun mal à les comprendre et même à s’identifier à eux. C’est toute la force de Thomas H. Cook qui construit des personnages d’envergure universelle tout en appartenant à leur époque.
Thomas H. Cook sur Tête de lecture
Sur les hauteurs du mont Crève-Coeur
Thomas H. Cook traduit de l’anglais par Philippe Loubat-Delranc
Seuil (Seuil Policiers), 2016
ISBN : 978-2-117667-4 – 315 pages – 22,50 €
Breakheart Hill, parution aux États-Unis : 1995
comme toi je déteste les phrases qui annoncent ce que je vais lire ensuite , merci pour ce mot « prolepse » que j’avais quelque peu oublié , mais je me demande s’il est bien adapté . Car pour moi c’était une façon d »empêcher d’apporter la contradiction au propos énoncé , du style « tu ne pourras pas dire que… ». Ici c’est un effet d’annonce , et je ne lui trouve pas d’autre nom .
« En narratologie, la prolepse désigne le fait de raconter d’avance un événement qui va avoir lieu plus tard dans la narration » (définition tirée de Etudes littéraires) ; et pour le Gradus, après la définition que tu donnes, il en propose une autre : « Anticipation aux divers sens du terme »
ok alors j’adopte le mot prolepse ,sous ton autorité distinguée (par moi !)
Je garde un souvenir fort d’un autre de ses romans, donc pourquoi pas…
Il fait souvent grande impression, et on le relit 😉
Marrant, Dominique parle aujourd’hui (en bien) de deux roman de Cook. A voir avec la bibli.
Si tu ne l’as encore jamais lu, il faut vraiment t’y mettre. Plutôt dans les plus récents à mon goût (les plus récents écrits donc, faut ouvrir le livre pour savoir à quelle date ils sont parus aux USA).
Je n’avais pas compris que c’était un roman ancien pour lui. C’est désagréable ces parutions qui se font dans le désordre. J’avais beaucoup aimé « Mémoire assassine », je le relirai volontiers (et je l’ai trouvé sympathique).
C’est un vrai pro, il fait comme si… Au Seuil, ils alternent j’ai l’impression : un ancien, un nouveau. Le problème c’est que si on en lit beaucoup, on se rend compte de l’évolution. Ceci dit bien sûr, ce n’est pas comme si Thomas Cook était mauvais il y a vingt-cinq ans, loin de là, ce sont juste ces tics qui m’agacent…
Je crois que les tics d’écriture m’auraient agacés.
J’avais beaucoup apprécié ma seule lecture (à ce jour) de T. H. Cook, mais l’intrigue de celui-ci ne me tente pas du tout. Je passe et me rabattrai, à l’occasion, sur un autre de ses romans.
Essais Le dernier message de Sandrine Madison, c’est son dernier paru aux USA, je crois. Et puis : enfin un roman avec une héroïne qui s’appelle Sandrine, et dns le titre en plus ! (je voulais remercier l’auteur pour ça au festival America et puis j’ai oublié…)
ah oui, celui-là a l’air nettement mieux !
J’avais apprécié Les feuilles mortes, et le thème de celui-ci m’intéresse toujours autant donc je pense que je le lirai.
Je ne l’ai pas lu celui-là mais je pense que j’y viendrai.
Comme je n’ai jamais lu l’auteur et que c’est surement mal (merci pour les forêt de Ravel au fait, beaucoup aimé, quelle écriture) , je me dis Sandrine dit que son écriture à évolué, commençons donc par un des plus récents… la liste du wikipédia français ne donnant pas les dates de parution initiales, je vais sur l’anglaise (je suis comme ça moi, le moteur de recherche est mon meilleur ami) et là mouarf quel bazar c’est n’importe quoi l’ordre des trad… enfin… je vais donc commencer par un « vrai récent » et plus si affinité pffff 🙂
Le Wikipedia français ne s’est donc pas collé à la remise en ordre chronologique des parutions de Thomas Cook… Le seul conseil : en librairie, ouvre le livre et regarde la date originale de parution, c’est ce que je fais 😉