Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx

Caché dans la maison des fousDepuis l’aryanisation de la maison de ses parents, Denise n’a cessé de fuir. Tout quitter pour échapper à l’ennemi, à l’occupant qui s’empare même de la zone dite libre. Quand enfin elle rejoint l’asile de Saint-Alban en Lozère, elle pense avoir trouvé un refuge. Et elle ne sera pas la seule à aller chercher au coeur du Gévaudan un lieu sûr : quelques jours après elle, c’est le poète Paul Eluard qui arrive à Saint-Alban pour vivre quelques mois caché dans la maison des fous. Il doit fuir la police française et la Gestapo après la diffusion massive de son poème Liberté… Les docteurs Tosquelles et Bonnafé ont organisé un réseau qui permet aux Juifs et aux résistants d’échapper aux poursuites.

Si Denise se fait bibliothécaire de l’hôpital puis s’occupe des enfants, Eluard lui continue à faire ce qu’il sait faire : le poète. Il écoute aussi et observe les malades qui à Saint-Alban sont encouragés à s’exprimer et créer. Un certain Auguste Forestier en particulier travaille le bois, sculpte et invente à partir de matériaux de récupération. Eluard est fasciné par cet homme dont les oeuvres sont aujourd’hui exposées dans des musées.

C’est que Saint-Alban n’est pas un asile comme les autres : pas de châtiments corporels ou d’électrochocs, mais bien une proximité avec le patient et une écoute attentive. Denise va elle-même expérimenter ce rapport nouveau avec les patients, les enfants en particulier. Ce sont les prémices de la psychothérapie institutionnelle dont le docteur Tosquelles, un catalan chassé par la dictature, est l’un des inventeurs.

Saint-Alban est lieu de création et havre de pays. Alors que le monde extérieur est un cauchemar, c’est caché dans la maison des fous que l’artiste trouve le calme et la paix, ainsi qu’écoute et générosité. Il n’y est pas jugé. Tout comme Forestier, Eluard est privé de liberté, contraint dans ses déplacements et mouvements. Mais ils sont toujours libres de créer. Avec son habituelle subtilité, Didier Daeninckx donne à percevoir cette liberté contrainte de l’artiste. Eluard n’est vu que par les yeux de Denise, comme Forestier est vu par le poète. Il ne sont qu’esquisser.

Un homme vêtu d’un pardessus croisé, les traits obscurcis par l’ombre portée de son chapeau était apparu. Il s’était légèrement incliné pour allumer une cigarette, et la flamme vacillante avait éclairé un regard curieux, presque inquiet, celui que l’on promène sur ces endroits inconnus où l’on arrive sans les avoir choisis

Ce qui importe en Eluard ce n’est pas le fugitif mais le poète, et ce texte résonne des vers de l’artiste surréaliste.

Résistants, Juifs, fous : tous soustraits aux yeux d’une société qui cherche partout la pureté et l’uniformité.  Mais qui n’a à proposer que la violence et la dénonciation. Saint-Alban apparaît comme une arche, mais le lieu n’est pas idéalisé : il y fait faim et froid en cet hiver 1943, les malades sont nombreux. Mais qu’on se souvienne que des dizaines de milliers de malades mentaux ont été laissés à l’abandon, sont morts de faim ou d’épuisement, et même euthanasiés sous Vichy. La chaleur humaine régnant à Saint-Alban en fait un lieu exceptionnel, un lieu de résistance.

On ne saura pas grand-chose de l’organisation de l’hôpital, si ce n’est à travers quelques brèves allusions et c’est dommage car on imagine que le travail de recherche a dû être considérable. Mais Daeninckx aime les textes courts, préfère l’évocation à la description. Il permet au lecteur de pénétrer discrètement ce lieu méconnu, donne à voir la simple beauté de l’héroïsme au quotidien, celui qui ne s’affirme pas comme tel car il est simple dévouement et attention à autrui.

Didier Daeninckx sur Tête de lecture et pour en savoir plus sur Saint-Alban pendant la guerre : La Marche de l’Histoire.

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Caché dans la maison des fous

Didier Daeninckx
Bruno Doucet (Sur le fil), 2015
ISBN : 978-2-36229-084-8 – 118 pages – 14,50 €

25 Comments

    1. C’est toujours à la fois un plaisir et un enrichissement de lire Didier Daeninck, même si je trouve ses romans souvent trop courts…

  1. C’est fou, mais je n’ai encore rien lu de cet auteur… A priori, les romans historiques ne m’attirent plus beaucoup mais une histoire de fous avec un Eluard dedans ne peut que me plaire ! ( Et je ne connais même pas cet éditeur…)

    1. Bruno Doucet édite essentiellement de la poésie. Je l’ai découvert grâce au texte de Raphaël Jerusalmy sur Apollinaire dans cette même collection. Il ne s’agit pas de poésie à proprement parler mais de textes mettant à l’honneur un poète à un moment clé de sa vie, un moment inscrit dans la grande Histoire. Ces deux textes sont très réussis.

    1. Ah, La Fabrique de l’Histoire, quelle excellente émission ! J’affectionne tout particulièrement celle du premier vendredi de chaque mois où il est question de fictions d’Histoire (même si je trouve qu’on y parle trop de spectacles vivants que je ne verrai jamais dans le trou où je vis…).

    1. N’hésite pas à emprunter ce titre q’il y est : l’histoire de ce lieu est étonnante et intéressante, c’est une bonne idée de l’avoir mis au grand jour.

    1. C’est bien dommage car je tiens Didier Daeninckx pour un écrivain important, qui sait très bien mêler littérature et « message ». Tant que je ne l’avais pas lu, j’avais une idée un peu toute faite d’un écrivain de gauche (voire gauchiste) engagé. Eh bien c’était n’importe quoi. Son écriture est bien plus fine et subtile et il aborde toujours des sujets essentiels avec une certaine… douceur (oui, ça n’est pas terrible comme mot pour un style, mais là tout de suite, je n’en trouve pas d’autre…).

  2. Bon, je voudrais pas bouder, mais j’en ai parlé le 15 octobre 2015, un peu d’attention que diable. Didier Daeninckx est vraiment quelqu’un de très très bien. Ayant eu le plaisir de lui tenir compagnie toute une après midi récemment, c’est vraiment un puits d’histoires , d’anecdotes et le tout dans une grande simplicité.Après une journée avec lui ,je me suis senti moins bête. Son dernier chez Rue du monde sur pourquoi les allemands ont voté pour Hitler est très bien fait.

    1. Ah mince oui, c’est impardonnable ça de ne plus me souvenir de tes billets de plus d’un an… Daenninckx par contre, je me souviens bien de lui, notamment grâce à une rencontre animée autour de la Première Guerre mondiale. Depuis, quand nous nous croisons sur des salons, il se souvient de moi et me salue : ça me sidère toujours compte tenu du nombre de personnes qu’il doit croiser. C’est un homme attentif aux autres je crois.

  3. je veux vraiment lire ce témoignage , ton billet m’a donné un peu d’espoir : ainsi dans cette période aussi terrible il y a eu des lieux de résistance douce , cela fait du bien. et comme toi j’écoute cette émission sur France Culture

    1. Quand j’ai pris connaissance du sujet, j’ai cru que le malheureux Eluard avait été victime de traitements de choc avec des fous furieux dans un asile genre mouroir : le film d’horreur. Mais la réalité est pour une fois bien plus apaisante et il est en effet agréable de constater que de tels lieux ont existé, qu’il y a eu de ces havres pour les persécutés.

  4. « Meurtres pour mémoire » reste un de mes meilleurs souvenirs de lecture de cet auteur, avec « le facteur fatal ». Même si cela fait un moment que je ne lui plus cet auteur, je vais noter ce titre rien que parce que il y a de la Lozère dedans, et aussi un peu Eluard …

    1. Ça n’est pas mal qu’un roman donne envie d’en savoir plus sur un sujet. Et puis avec l’épisode de La Marche de l’Histoire (oui, j’écoute beaucoup d’émission d’histoire…).que je mets en lien, tu en sauras beaucoup plus sur ce lieu.

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