Un jeune Américain d’Edmund White

un jeune américainUn jeune Américain est le premier volume de la tétralogie autobiographique d’Edmund White. Il y est question de son enfance et de son adolescence, alors qu’il découvre son homosexualité et tente de se soigner. Car il pense alors qu’il s’agit d’une maladie, d’autres parlent de péché et très rares sont ceux qui s’affichent. Dans son coin d’Amérique des années cinquante, il se sent surtout très seul.

Le roman s’ouvre sur des vacances d’été, sorties en bateau et amicale promiscuité. Le narrateur fait l’amour avec Kevin, de trois ans son cadet. On pourrait même dire qu’ils baisent tant la scène est dépourvue de sentiments. Kevin agit avec un détachement glaçant, comme une machine. Pour le narrateur, c’est à prendre ou à laisser.

Il revient ensuite plus avant dans son enfance, mais cette scène de sodomie alors qu’il est âgé de quinze ans est symbolique de ses premières années : s’estimant malade, fondamentalement différent, il enchaîne les expériences sinistres. Il essaie les filles et les prostituées, sans plus de joie que de plaisir. Il voudrait vivre à sa façon ce qu’il considère alors comme son « destin homosexuel » : aimer un homme et être hétérosexuel. Et surtout être aimé, désiré. Pour plaire, il n’est jamais lui-même.

Il est clair pour moi aujourd’hui que ce que je voulais c’était être aimé par des hommes et les aimer, et non pas devenir homosexuel. Car j’étais dévoré par un désir de rencontrer des hommes, de les voir, de les toucher, de les sentir et rien ne me paralysait autant que la vue d’un homme en train de se raser et de s’habiller, rites absolument somptueux. C’étaient les hommes et non pas les femmes qui me paraissaient être des personnages étranges et désirables, et je me déguisais en enfant ou en homme ou avec l’apparence requise pour pénétrer dans leur monde hiératique et silencieux, mon déguisement étant si parfait que je ne cessais jamais de mettre en question mon identité.

On ne peut pas dire que la société le rejette puisqu’il n’existe pas socialement. Personne ne parle d’homosexualité et le psy qui le suit, censé le guérir, ne l’aide en rien. Il n’est alors question que de réussite sociale et économique, symbolisée par ce père gros et gras qui mange et boit toujours plus. La religion sert de paravent à une société hypocrite qui cache ses turpitudes et fustige les pécheurs.

Malgré son ton apaisé, on sent dans Un jeune Américain toute la détresse du jeune Edmund White. Il n’a aucun repère si ce n’est ceux qu’il trouve dans les livres et la littérature. Ils embellissent son monde, le tirent de la médiocrité qui le cerne.

Le dîner m’avait mis hors de moi. Quelque chose (les livres, sans doute) m’avait donné une conception bien différente des manières que l’on devait utiliser pour parler et se nourrir. J’avais des idées extravagantes sur l’élégance, la gastronomie et l’amitié. Une fois adulte, je serai toujours franc, aimable et généreux. On boirait avec délectation des jus de raisin glacés et du vin. Nous parlerions d’affaire de coeur jusqu’à l’aube en écoutant de la musique.

La très belle écriture d’Edmund White transporte immédiatement le lecteur. Il s’exprime avec beaucoup de délicatesse, même quand il décrit des épisodes sordides. Il n’est jamais glauque, toujours fin et précis : la légèreté poétique de son style transcende le mal être dont il est question et permet au lecteur de lire sans être voyeur. Il touche par l’humanité des tourments décrits, qu’on soit ou non homosexuel car il est avant tout question de désirs. Et de frustrations aussi tant les fantasmes du jeune homme ne se concrétisent pas.

Enfin, au-delà d’une histoire personnelle, c’est aussi un portrait de l’Amérique que peint Edmund White, ici celle triomphante de l’après Seconde Guerre mondiale et d’avant le Vietnam. Si infaillible qu’elle nie l’existence de ceux qui pourraient apporter une ombre au glorieux tableau.

Lire l’interview d’Edmund White parue dans Les Inrocks en 2013.

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Un jeune Américain

Edmund White traduit de l’anglais par Gilles Barbedette
10/18, 1992
ISBN : 2-264-01750 – 301 pages

A Boy’s Own Story, parution aux États-Unis : 1982

14 Comments

  1. Un témoignage intéressant, visiblement, à la fois intime et jetant un regard sur la société américaine. Sûrement le genre de livre qui me plairait. Que n’ai-je plus de temps pour lire tout ce qui m’intéresserait !

    1. J’ai changé les meubles de place chez moi et mon fauteuil de lecture se trouve désormais à côté de W. J’étais en train d’entamer tout autre chose de beaucoup plus récent quand mon oeil est tombé sur trois volumes d’Edmund Whte. J’ai posé ma nouveauté, ouvert le premier et ai été saisie par le superbe style de l’auteur. Je ne regrette pas une minute d’avoir laissé ma nouveauté, que je reprendrai. Peut-être.

  2. Il y a très très longtemps j’ai lu un livre de l’auteur, était-ce celui -ci? (je m’interroge toute seule, t’inquiète) Possible, puisque c’est paru il y a des années.

    1. C’est avec ce titre que je découvre l’auteur et comme pour beaucoup de bons romans découverts bien après leur publication je me dis : mais pourquoi ne pas l’avoir lu plus tôt ? (tu vois, moi aussi je m’interroge toute seule 🙂 )

    1. Je regarde la couverture car j’ai laissé le livre sur mon bureau. Elle correspond très bien au contenu : on comprend de quoi il est question sans qu’il soit besoin de montrer. C’est très beau et ça me convient, il est possible que ça te convienne aussi.

    1. J’espère lire la suite. Je ne sais pas par quel hasard je n’ai pas le tome juste suivant, La Tendresse sur la peau (le titre me plaît beaucoup), mais bien les deux après. Je vais m’occuper de ça…

    1. Eh bien je te conseille de le découvrir. Il a écrit bien d’autres romans en plus ou moins autobiographiques, qui me tentent aussi.

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