Franklin, seize ans, vit avec le vieil homme depuis longtemps, depuis toujours. Tous deux hommes de peu de mots, ils travaillent à la ferme. La vie est rude loin de la ville, de la modernité, mais elle leur convient. Parfois, Eldon Starlight, le père de Franklin se manifeste, lui demande de venir le voir. Il se rend donc en ville ce jour-là pour retrouver cet ivrogne invétéré : il veut que Franklin l’emmène sur une haute ligne de crête qu’il connaît, pour y mourir.
Mais, rongé par l’alcool et la maladie, Eldon n’est plus capable de marcher les soixante kilomètres nécessaires. Il monte sur la jument de son fils qui lui marchera. Kilomètre après kilomètre, sa santé se dégrade et Franklin bientôt doit le ligoter à la jument pour qu’il ne s’écroule pas. Becka la solitaire rencontrée dans une cabane leur donne un remède qui soulage un peu la douleur et surtout le manque.
Chemin faisant, le lecteur en apprend plus sur les relations entre le père et le fils. Franklin se souvient des rares fois où son père l’a appelé auprès de lui, depuis ces seize années. Un anniversaire, un pique-nique, un Noël : tous les cadeaux, toutes les rencontres se terminent en désastre, Eldon étant incapable de résister à l’alcool. Petit à petit, les espoirs de l’enfant se fracassent les uns après les autres et son cœur s’endurcit.
Puis le père commence à parler, à confier à son fils ce qu’il n’a jamais confié à personne : son propre père mort durant la Seconde Guerre mondiale, sa mère restée seule, le travail très jeune, l’amitié avec Jimmy, la mère battue par son amant, la guerre de Corée… La vie n’a pas épargné ce sang-mêlé qui, comme son fils, ne trouve de place ni parmi les Indiens, ni parmi les Blancs.
Puis à la fin, à la toute fin, il racontera à son fils qui était sa mère.
Les étoiles s’éteignent à l’aube est un roman très âpre. Il raconte des relations très difficiles entre des hommes endurcis par la vie. Aucun n’exprime ce qu’il ressent, ce dont il souffre et se perd dans le silence, ou dans l’alcool pour Eldon. A la racine de leur souffrance : l’absence de racines. Ils n’ont pas d’histoire, ne sont de nulle part. Ce que Franklin a vu de son père est terrible, mais ce que le père dévoile peu à peu à son fils est pire encore. Il n’est pas un héros de roman, juste un homme faible qui n’a pas la force d’affronter le malheur. Faire naître la compassion pour cet alcoolique répugnant n’est pas l’un des moindres tours de force de Richard Wagamese.
Face à la complexité de ces relations, la grandiose simplicité de la nature. Franklin la connaît, la maîtrise et la respecte. Eldon la retrouve en dernier refuge et elle est l’écrin privilégié d’une relation qui se noue tout en s’achevant.
Les étoiles s’éteignent à l’aube saisit par le dépouillement de son écriture et son humanisme. Des phrases simples pour décrire les gestes du quotidien et de belles évocations de la nature environnante qui peut s’avérer dangereuse. Eldon a perdu tout lien avec la nature et Frank n’a eu qu’un Blanc pour lui enseigner des « trucs d’Indiens ». Ce peuple, à force de métissage et d’alcool a perdu ses racines et Richard Wagamese semble dire que c’est par la nature qu’il les retrouvera. Mais aussi que les Indiens ne sont pas les seuls à pouvoir l’écouter, la respecter, l’honorer : Franklin a été élevé par le vieil homme qui a su la lui enseigner, comme il a su créer envers lui un lien quasi paternel.
Il n’y a pas de manichéisme dans ce roman, pas d’hommes bons et d’hommes mauvais mais des êtres complexes, humains et saisissants, de ceux dont on se souvient longtemps.
La mort vient d’emporter Richard Wagamese, décédé ce 10 mars 2017 à l’âge de 61 ans. C’est grâce aux éditions Zoé qu’on peut lire ce roman aujourd’hui en français, le seul traduit à ce jour. « Ojibwé de la Première Nation de Wabaseemoong, dans le Nord-Ouest de l’Ontario, il a voué son écriture à la culture indienne du Canada, à sa complexité et à ses meurtrissures, et a été récompensé pour cela à de multiples reprises par des prix nationaux« , explique l’éditeur suisse. On espère bien sûr que d’autres traductions suivront.
Richard Wagamese sur Tête de lecture
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Les étoiles s’éteignent à l’aube
Richard Wagamese traduit de l’anglais par Christine Raguet
Zoé (Ecrits d’Ailleurs), 2016
ISBN : 978-2-88927-330-0 – 284 pages – 20 €
Medicine Walk, parution au Canada : 2015
il m’attend, ce livre. Bel article, Sandrine
Quelque chose me dit qu’il va BEAUCOUP te plaire…
Ça fait longtemps qu’il me fait de l’oeil
A négocier avec la dLP, un jour. ^_^
Oui tout à fait : c’est un auteur qu’il faut faire découvrir !
Il me tente bien celui-ci, je le retiens.
Il y a des perles chez Zoé. Je note.
Honte à moi : c’est le premier livre que je lis chez cet éditeur…
Oui il y a des perles chez Zoé…
Tout le monde le savait sauf moi 🙂
Il est dans ma PAL… une de mes libraires en vend des quantités, tellement elle l’a adoré ! 😉
Elle a très bon goût, tu as de la chance. Je suis à Arras en déplacement et j’ai en vain cherché une librairie : j’ai bien trouvé Le Furet du Nord, mais on dirait un France Loisirs…
ce que tu en dis est poignant et malgré cela ou à cause de cela donne très envie d’être lu, si je ne le fais pas c’est qu’il m’arrive de vivre entre deux livres!
Parfois, je n’ai envie de rien faire d’autre que me plonger dans ces superbes livres. D’autres fois, bizarrement, alors que j’ai entamé un livre que je dois lire pour une raison ou une autre, j’ai tout à coup plein de trucs à faire 🙂
Très alléchant, même si je n’ai lu qu’en diagonale pour garder un peu de mystère… mais le tag « à lire absolument » m’aurait de toutes façons suffit ! Une coïncidence veut que je viens de lire un roman paru lui aussi aux éditions Zoé, que je ne connaissais pas.. rien à voir avec ce titre, il s’agit d’un roman autrichien des années 30, que j’ai beaucoup aimé aussi.
Eh bien, c’est un éditeur trop méconnu par chez nous semblerait-il…
je l’ai lu avec bonheur et douleur à la fois, prenant, pregnant un excellent roman
Oui tout à fait, j’ajouterais « sobre », car l’auteur a su ne pas en faire trop, ne pas donner dans le pathos. J’espère avec hâte ses autres romans.
J’ai trouvé ce livre hier par hasard en librairie (le classement des romans y est par ordre alphabétique de maisons d’édition, c’est pas évident, je trouve) et j’ai aussi trouvé un roman de Michel Jean sur les pensionnats où on « enfermait » les autochtones à la Foire du livre. Lectures vérité et émotion en perspective.
J’imagine que le livre de Michel Jean est Le vent en parle encore que j’ai lu l’an passé. C’est un bon livre, un livre fort dans ce qu’il exprime et dévoile, mais j’ai trouvé l’écriture assez faible.
Je te souhaite une bonne lecture de ces deux titres.
Un thème qui me parle. Ce livre a l’air de t’avoir beaucoup émue. Je le note, merci !
C’est émouvant sans être mièvre et c’est ça aussi qui me plaît.
j’ai beaucoup aimé ce livre si sobre et si humain. Frank a eu de la chance d’être élevé par Burki. A la fin, il a des pécisions sur ses origines et peut appréhender le futur avec un peu plus de sérénité. Ode à la nature qu’il faut respecter. Burki a transmis à Frank des valeurs « indiennes », l’ai tellement aimé en souvenir d’Angie. Il a des réflexions d’adulte face au comportement décevant de son père qui ne tient jamais ses promesses.
Et Frank sera là pour accompagner son père vers la mort.