Le Bon coeur de Michel Bernard

Le bon coeurTroisième lecture d’un roman de Michel Bernard et me voilà encore sous le charme. Pourtant, je me suis d’abord interrogée sur l’originalité du sujet : qu’est-ce qu’on peut bien écrire aujourd’hui encore sur Jeanne d’Arc qui n’ait déjà été écrit ? Peut-elle être encore un sujet de roman ? Pire : pourrai-je m’intéresser au sort de cette bergère illuminée rattrapée sur le tard par l’Eglise ? Si vous aussi vous doutez, n’hésitez donc pas à lire Le Bon coeur, pour Jeanne qui n’est pas ici une bergère illuminée, mais aussi pour la plume de Michel Bernard qui me charmerait même s’il me racontait le bottin…

On connaît le contexte : le royaume de France aux mains des Anglais, l’armée française aboulique depuis Azincourt, le Dauphin impuissant, terré en son château. On connaît la donzelle, cette Jeanne aux voix divines, la simple bergère soi-disant élue par Dieu. Les croyants ont certainement plus de facilités et de penchants à comprendre ce destin hors normes, la foi pallie l’incompréhension. Rationalistes et athées prônent la folie, l’hystérie ou quelque autre désordre mental bienvenu.

C’est que Jeanne reste un mystère. Comment cette gamine a-t-elle convaincu le roi de France de la suivre ? Comment a-t-elle pu gagner la confiance de l’armée française, de ces Jean de Metz, Baudricourt, Bertrand de Poulengy, Jean d’Aulon, Jean d’Alençon, Gilles de Rais (!)… la liste est longue de ces hommes de guerre, pas un ramassis de femmelettes, qui font confiance à la bergère… Pourquoi ? Ils ne sont pas les seuls et avant même sa première entrevue avec le gentil dauphin, le peuple l’acclame et la soutient. Elle soulève tous les enthousiasmes.

L’époque a besoin de croire, elle a besoin que quelqu’un se lève, quelqu’un d’exceptionnel puisque la situation l’est et que la guerre traditionnelle n’y fait rien. Peut-être le destin de Jeanne s’est-il écrit aux confins de ce besoin, d’une personnalité charismatique et d’un contexte désespéré. D’autres gens de peu avant elle se sont levés et ont été suivi incompréhensiblement. Un certain Jésus par exemple…

Michel Bernard n’apporte pas de solution au mystère Jeanne d’Arc. Dans Le Bon coeur, il dresse un portrait à travers des faits. Ce que la bergère devenue femme de guerre a accompli, personne ne peut le nier. Grâce à la fiction, il dépasse cependant les seuls événements pour dessiner une probable personnalité : il nous fait partager les pensées de la jeune fille, sa foi, sa joie, ses peurs. Pas d’exaltation ni de grandiloquence mais une conviction enthousiaste et simple.

Tout comme la plume de Michel Bernard qui ne convoque pas l’artillerie romanesque, le bruit et la fureur qui tonnent dans certains romans historiques. La guerre est bien là, mais plus encore les hommes et surtout les paysages. Ceux du Barrois et de Lorraine, ceux de la vallée de la Loire qui émerveillent Jeanne et les siens. Et le lecteur, saisi par le verbe.

En avant d’Auxerre, l’hiver avait perdu de son aigreur. Au-delà, dans un coup de vent, avec autorité il reprit les voyageurs en haut de la première côte. En Puisaye, le paysage redevenait sombre. Collines tassées couronnées de bois, veinées de haies grisonnantes, marbrées de neiges anciennes, d’où, comme un drame, s’élevait la gesticulation d’un noyer. Le froid montait du sol et des eaux stagnantes.

L’histoire de Jeanne d’Arc est aussi celle d’un long périple dans le royaume de France. Des cartes ponctuent le roman de cette guerrière qui ne s’arrête qu’en prison.

Le simple récit des faits, dépouillé d’idéologie, et la fulgurance des descriptions donnent vie à une jeune fille, à des hommes de guerre, à une époque. Car une fois encore, Michel Bernard n’a pas recours aux dialogues : jamais il ne fait parler ses personnages qu’on entend pourtant crier, prier, se battre et souffrir. Sans doute cette absence de discours direct confère-t-elle au roman son étrange douceur. Elle participe à l’apparente simplicité du récit construit sur des faits mais traversé par des voix. Celle de Jeanne qui galvanise les foules, et peut-être celle de Dieu qu’elle seule a entendue.

Le bon coeur a remporté le prix du roman historique des Rendez-Vous de l’Histoire 2018 et j’aurai le plaisir d’interviewer son auteur le vendredi 12 octobre.

Michel Bernard sur Tête de lecture

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Le bon coeur

Michel Bernard
La Table ronde, 2018
ISBN : 978-2-7103-8320-8 – 233 pages – 20 €

13 Comments

    1. Le côté religieux de l’affaire est secondaire, même s’il est présent puisque c’est ce qui la motive. Mais il n’y a ni idéologie ni récupération dans ce roman qui n’est au final que le destin d’une jeune fille.

  1. Comme toi, je lirais Michel Bernard sur n’importe quel sujet .. en plus Jeanne d’Arc, à Rouen, on est un peu concernés. Donc tôt ou tard, je vais le lire.

    1. J’attendais un peu l’épisode Cauchon, le gros méchant de l’histoire quand même, mais pour ça comme pour tout, Michel Bernard ne donne pas dans l’excès.

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