Figurec de Fabrice Caro

figurecQuel talent quand même ! Certes, le personnage de trentenaire loser n’est pas une nouveauté mais parvenir à faire de l’humour avec un type tellement seul comme un chien que sa seule joie dans la vie est d’assister à des enterrements, c’est du grand art. Figurec, premier roman de Fabrice Caro, ou Fabcaro, laissait déjà présager du meilleur comme Le Discours l’a dernièrement confirmé.

Le type en question est l’aîné d’un frère beaucoup trop tout : trop beau, trop brillant, trop gentil qui a bien sûr une petite amie charmante que leurs parents adorent. Et lui rien. Dramaturge raté, il ne cesse de réécrire la première scène d’une hypothétique pièce de théâtre, dont tout le monde lui demande des nouvelles. Plus exactement les deux premières répliques de la première scène. Pourtant, s’il bloque sur la traditionnelle scène de couple, il a trouvé des prénoms vraiment originaux qui devraient le propulser au firmament dramaturgique : Épitaphine et Jean-Certain…  Par miracle, il s’est dégoté un couple d’amis qui le nourrit cinq jours par semaine, des potes vraiment sympas, même si la passion de Julien est de dénicher des 45 tours des années quatre-vingt dans les brocantes.

Notre narrateur se rend un jour compte qu’il n’est pas le seul à fréquenter assidûment les enterrements : un gros type rougeaud est quasi tout le temps là lui aussi. Il s’imagine surveillé voire harcelé par le gros type qui lui fait des clins d’oeil, et qui un jour l’aborde et lui glisse : « Figurec ? ». Il découvre alors l’existence d’une vaste organisation chargée de combler les vides de nos existences modernes.

Figurec est une société secrète qui propose des figurants pour faire nombre en toute occasion : mariages, enterrements, concerts, manifestations… tout pour ne pas avoir l’air d’un minable solitaire. Un peu comme des amis Facebook en chair et en os. Le narrateur ne tarde d’ailleurs pas à engager une Tania qui passe pour sa petite amie aux yeux de ses parents et de son frère, tous sous le charme. Mais la belle coûte cher à notre artiste maudit qui de surcroît tombe amoureux… Il faut dire qu’elle est bonne actrice et que notre gars était en manque :

Je suis tétanisé par son aura. J’ai du mal à rester naturel. La dernière femme avec qui j’ai eu une conversation en tête à tête – si j’exclus ma mère et ma boulangère – est la professeur d’anglais qui m’a fait passer l’oral du bac.

Figurec s’illustre aussi dans le monde du travail. Cette société invente postes et fonctions dans lesquels les gens ne font rien que de la figuration :

Ingénieur en simulation informatique, et autres tâcherons dans les boîtes d’informatique, gérants de discothèque, fan de C. Jérôme (d’ailleurs C. Jérôme lui-même était une création de Figurec), agent artistique, inspecteur de l’Éducation nationale, psychologue pour enfants, conseiller d’orientation, attaché de mairie aux projets ruraux, contrôleur de bus de ville, intervenant nihiliste dans les débats de cafés philos, ornithologue, hôtesse d’accueil à l’hôtel des impôts, la plupart des boulots dans la production de disques, ministre de la jeunesse et des sports, quatre-vingts pour cent des trucs pour la télévision (c’est d’ailleurs là qu’il y a eu le plus de créations de postes), sénateur, académicien…

Vision pas si délirante que ça d’un monde qui veut éradiquer la solitude apparente. Désormais, le mensonge et le virtuel servent à combler les vides. Car faute de correspondre à un modèle familial et social, vous passez vite pour un original, voire un artiste. Pour avoir l’air normal, il faut être toujours en mouvement, occupé ou sur le point de l’être. Et surtout avoir des amis, au moins des copains.

Comme dans ses BD ou dans son deuxième roman, Fabrice Caro souligne l’absurdité de nos existences, notre capacité à nous enfermer nous-mêmes dans le non sens sous la pression sociale. Il dit aussi combien est grand notre besoin d’amour, ou seulement de reconnaissance : être aimé, compter pour quelqu’un… On est prêt à tout pour ça, même à préférer l’illusion de l’amour à pas d’amour du tout.

Ce premier roman de Fabrice Caro a déjà été adapté en BD par Christian de Metter. Après une première annonce d’adaptation au cinéma par Fabrice du Welz, il semblerait qu’un autre projet ait vu le jour.

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Figurec

Fabrice Caro
Gallimard, 2006
ISBN : 978-2-07-077702-2 – 231 pages – 16 € (existe en poche)

11 Comments

    1. Oui, c’est ce que j’ai écrit à la fin de l’article, vilaine ! Ici, la bibliothèque est fermée pendant 15 jours (après la fermeture du confinement et du déconfinement, ça craint….)

  1. Oui, la bibli fermée. Étonnant, pour moi. Ailleurs, il y a un planning de vacances, je suppose. Et avec la canicule, sans doute des horaires adaptés?
    (rien à voir, mais j’ai testé Le bibliovore, endroit ‘dangereux’)

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