La horde du contrevent d’Alain Damasio

Alain DamasioVoici un des livres les plus originaux qu’il m’ait été donné de lire ces derniers temps. Tant sur le plan formel que sur le fond, Alain Damasio nous propose un livre qui va à l’encontre des codes traditionnels des littératures de l’Imaginaire, et de la littérature tout court, à ce point original qu’il a fallu créer une maison d’édition pour le publier…

La forme d’abord. Sur le rabat de la couverture se trouve la liste des protagonistes avec leur fonction au sein de la horde et le symbole qui les caractérise… ils sont vingt-trois. Quand l’un d’eux prend la parole, il est identifié par son symbole. Autre particularité, les pages sont numérotées à l’envers de 521 à 1. Et enfin le livre est accompagné d’un disque, bande originale du livre.
L’histoire à présent. Les vingt-trois protagonistes composent la trente-quatrième horde partie de l’Extrême-Aval vingt-sept ans auparavant et remontant le vent inlassablement vers l’Extrême-Amont. Nul ne sait ce qui s’y trouve, mais chacun pense qu’il y trouvera au moins la source du vent, si ce n’est celle de la vie elle-même. C’est qu’il souffle beaucoup de sortes de vents dans cette contrée, neuf exactement et ceux qui les remontent doivent apprendre à tous les connaître pour espérer survivre en Extrême-Amont. Jusqu’à présent aucune horde n’est parvenue jusque là. L’Extrême-Amont est un mythe que quelques élus s’efforcent de dévoiler. D’autres habitants ont choisi de vivre dans des villages régulièrement détruits par les tempêtes, d’autres mettent au point machines et voiliers pour remonter le vent mécaniquement. Ils croiseront la route de la Horde qui elle ne doit remonter le vent, tracer, qu’en comptant sur ses forces physiques, c’est la loi de l’Horde depuis toujours. Formés depuis l’enfance à une discipline extrêmement exigeante, voire cruelle, les hordiers remontent le vent, puis l’eau et enfin la montagne glacée à la poursuite de leur(s) rêve(s).

Grâce aux multiples points de vue, le lecteur vit la horde et ses efforts surhumains pour résister, avancer encore. Chaque hordier a une voix particulière, des aspirations diverses et parvient cependant à faire groupe, condition indispensable à la trace. Sous les cris du neuvième Golgoth, la horde sue, tremble, hurle et se rebelle mais elle continue à contrer, malgré la fatigue, le vent, la boue, le froid et la mort.

Il est certain que ce livre n’est pas de lecture facile et qu’il demande une participation active du lecteur que ce soit simplement pour repérer les personnages ou encore pour décoder le vocabulaire damasien dont le glossaire n’est pas fourni. L’auteur prend un plaisir évident à inventer des mots pour coller au plus près des sensations, des idées et concepts qu’il souhaite développer, et il y en a beaucoup. S’il accepte ce contrat de lecture, le lecteur parle alors de verbe poétique, sinon de jargon. Nous avons quoi qu’il en soit affaire à une prouesse stylistique qui pour être parfois déroutante n’en reste pas moins rare de nos jours à l’étal des librairies. Et il y a de quoi se réjouir puisque qu’elle est au service d’une réflexion sur l’Homme en ce qu’il a de plus profond. Le dépassement est bien sûr au centre de l’effort surhumain de cette horde de loqueteux, mais aussi l’inconnu, l’au-delà fantasmé en avenir radieux, en terre promise et depuis toujours inaccessible. Et l’amitié, l’amour, le respect, la colère qui sont le ciment de la Horde.

A l’image des personnages, le lecteur souffre, en tout cas l’habitué à l’actuelle production de fantasy au kilomètre. Pour atteindre la page 1 et l’Extrême-Amont, il faudra parfois s’ennuyer, parfois se révolter contre des néologismes inutiles, parfois sauter des pages… mais partager l’humanité de vingt-trois gus qu’il n’est pas prêt d’oublier tant chacun est une voix, un individu, une part du Grand-tout. Il méritera alors de connaître les neuf formes du vent et de découvrir ce qu’il y a au bout, tout au bout du rêve.

Grand Prix de l’Imaginaire 2006, catégorie roman français

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La horde du contrevent, Alain Damasio, La Volte, septembre 2004, 521 pages, 28€

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