Les Magiciens de Lev Grossman

Difficile d’oublier qu’on a vu les épisodes d’une série quand on se plonge dans les romans qui l’ont inspirée. On souligne ce qui manque, on attend certains événements, on compare les personnages de papier avec ceux de l’écran. Et avec Les Magiciens, premier volume de la série qui en compte désormais trois, les différences sont nombreuses. Disons que la série a synthétisé parfois et fait durer à d’autres. Mais commençons par une présentation commune aux deux.

Quentin, seize ans, pur new yorkais a deux centres d’intérêt : les tours de magie et Les Chroniques de Fillory de Christopher Plover. Personne ne les partage avec lui : ses amis branchés se fichent de ses tours et Les Chroniques ont disparu dans les limbes de leurs souvenirs littéraires d’enfance, s’il en est. Il est également secrètement amoureux de Julia, sa meilleure amie.

Quentin arrive dans un vieil immeuble où il doit passer un examen d’entrée en école supérieure. Pas de problèmes pour lui, c’est une tête qui réussit tout. Mais sur place, il ne trouve qu’un cadavre. L’infirmière appelée lui remet un livre (le tome 6 des Chroniques de Fillory, jamais publié !) et une feuille pliée… qui s’envole au vent. Et qu’il poursuit jusqu’à un mystérieux jardin qui est celui, toujours estival, de l’université de Brakebills. Il y passe un examen d’admission, qu’il réussit bien sûr. Et le voilà qui intègre cette école de magie : nouvelle vie, nouveaux amis, fini l’ennui new yorkais !

On suit donc Quentin dans son apprentissage de la magie. Brakebills est le cadre principal de la série. Il est donc étonnant que sa scolarité s’achève après trois cents pages et cinq années passées à l’université. Déjà ! Mais tant d’événements n’ont pas eu lieu ! Eh bien ils auront lieu après. Par exemple, dans la série et dans le livre, Quentin rencontre Julia au cours d’un bref retour à New York : elle lui avoue qu’elle a elle aussi passé les épreuves, été recalée, mais que contrairement à tous les recalés, le sort d’amnésie n’a pas fonctionné sur elle et elle se souvient donc de tout. Et elle veut intégrer Brakebills car elle se sait magicienne comme lui. Et c’est tout pour le roman. Ce qui est bien sûr décevant vu que Julia a dans la série intégré une autre coterie de magiciens, opposée à celle de Quentin.

Quand Quentin et ses amis se rendent à Fillory, ils ne sont plus étudiants (et ne visitent pas la bibliothèque). Par contre, on s’étonne que les scénaristes aient choisi de conserver l’épisode antarctique, aussi ridicule et malvenu dans le roman que dans la série.

Les romans de Lev Grossman sont présentés comme un Harry Potter pour adultes. Les jeunes protagonistes passent beaucoup de temps à boire, apprécient la drogue et le sexe. Ça n’en fait pas des adolescents lambda, encore moins des adultes (oui, il se peut que j’aie des tendances conservatrices après tout…) et tout ce monde-là reste terriblement américain, suffisant et égoïste. En particulier Quentin qui ne pense qu’à lui et passe son temps à se lamenter sur son sort. Je me demande bien en quoi cette déprime adolescente pourrait particulièrement intéresser des lecteurs adultes ?

Si la première partie calque Harry Potter, la seconde fonctionne explicitement comme Les Chroniques de Narnia : Quentin et ses amis partent à la recherche des enfants Chatwin qui se rendaient à Fillory en passant par une horloge magique… On trouve de multiples autres allusions : Le seigneur des Anneaux, Alice au pays des merveilles, Merlin…  On peut s’en agacer ou apprécier les sources comme un évident hommage voire bien souvent une parodie.

Lev Grossman aborde le thème de l’après école de magie : que font tous ces jeunes gens talentueux et magiciens une fois diplômés ? Ils s’ennuient, boivent, s’ennuient, et se demandent que faire. Le lecteur s’ennuie aussi, évidemment… La plongée dans Fillory s’avère salvatrice. Au départ. Parce que finalement, la réalité de la fiction n’a rien d’un grand parc d’attraction. S’ils découvrent effectivement l’univers découvert dans la série de roman, ils découvrent également que celui-ci n’est pas entièrement imaginaire. Christopher Plover, l’écrivain, s’est servi de son expérience, qu’il a transcrite de façon symbolique et idéalisée. Les faits sont beaucoup plus sombres et dangereux.

Au final, les passages assez obscurs de la série télé (le scénario procède par raccourcis parfois déconcertants) ne s’expliquent pas dans ce premier tome. Les Magiciens, version roman, déçoit le téléspectateur qui attend Julia et sa bande, et tout ce qui concerne Christopher Plover. Certains éléments sont sous-exploités. Par exemple : pourquoi ne pas attribuer de « discipline » (disons de spécialisation magique) à Quentin quand tous ses amis en choisissent une, et ne rien faire ensuite de cette indétermination ?

Chronique un peu foutraque au ressenti indéterminé tant ce premier tome, tout comme les premiers épisodes, me laisse mitigée : continuer, s’arrêter ?

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Les Magiciens (The Magicians, 2009), Lev Grossman traduit de l’anglais (américain) par Jean-Daniel Brèque, L’Atalante, mars 2016, 508 pages, 23€