L’homme squelette de Tony Hillerman

homme squeletteA l’inverse de bien des écrivains américains qui choisissent de raconter la vie passée ou présente des Amérindiens, Tony Hillerman n’avait pas de racines indiennes. C’est après ses études et après la guerre que, devenu journaliste, il se rend sur la réserve navajo de l’état d’Arizona, s’immerge et se passionne pour cette culture qu’il mettra au premier plan de ses romans policiers bien des années plus tard. Ce n’est en effet qu’à l’âge de quarante-cinq ans que Tony Hillerman se met à écrire et invente son célèbre lieutenant Joe Leaphorn, puis Jim Chee, son collègue de Shiprock, tous deux navajos.

Le roman par lequel j’ai commencé ma découverte de cet auteur est le dix-septième et avant-dernier de la série, prêté par un ami admirateur et amateur de livres sur la culture indienne. Peu importe que Leaphorn soit à la retraite et que ce soient désormais ses anciens subordonnés qui mènent l’enquête : l’intérêt est dans l’ambiance et dans la vaste culture que mine de rien Hillerman fait passer dans ses romans. Un polar ethnologique donc, genre initié par Arthur Upfield avec le bush australien, fait d’humanisme et d’attention portée aux cultures ancestrales en voie de disparition.

Le jeune et un peu simplet Billy Tuve, Indien hopi, vient d’être arrêté alors qu’il essayait de refourguer un diamant au mont de piété. Comment un pauvre type comme lui a-t-il pu mettre la main sur une telle fortune ? En le volant très certainement lors d’un cambriolage dans la réserve fédérale qui couta la vie du gérant d’un magasin. Mais, se demande Leaphorn qui a la mémoire longue, ne serait-ce pas le diamant qu’on a volé au comptoir d’échanges de McGinnis il y a bien des années de ça ? Interrogés sur la façon dont ils se sont procuré leur diamant, Tuve et Mc Ginnis répondent de la même façon : les pierres précieuses ont été données par un très vieil homme vivant dans le Grand Canyon en échange d’outils. Il est plus que probable que ce vieil homme soit l’homme squelette de la légende hopi :

Il y en a qui l’appellent l’Homme Squelette. Ils disent que c’est le Gardien du Monde des Profondeurs, et l’esprit qui a accueilli les premiers Hopis au moment de l’émergence du monde des ténèbres dans lequel ils vivaient. C’est cet esprit qui leur a enseigné comment ils devaient effectuer leurs migrations religieuses et où ils devaient vivre quand ils les auraient achevées. Et le plus important en ce qui le concerne, pour les Hopis, c’est qu’il leur a appris à ne pas craindre la mort.

Jim Chee, de la police tribale navajo et Cowboy Dashee, adjoint du shérif vont donc entreprendre de mettre la main sur le vieil homme et devront pour cela descendre dans le Grand Canyon. Mais ils ne seront pas les seuls. En effet, ces inestimables diamants sont tombés dans le Grand Canyon en raison d’un crash aérien en juin 1956. A bord d’un des deux avions, John Clarke portait cadenassée à sa main une valise remplie de diamants. Il est mort sans qu’on retrouve son corps (ni les diamants).  Joanna Craig, la fille que John Clarke n’a pas eu le temps de reconnaître parce qu’elle n’était pas encore née et qu’il était sur le point d’épouser sa mère, s’est vue écarter de la formidable succession de son père par le cynique Plymale. Informée de la réapparition des diamants, elle n’a qu’un but : retrouver le bras de son père pour lui faire subir des tests ADN qui la restituent dans ses droits d’héritière. Mais Plymale n’est pas d’accord, il veut empêcher cette réhabilitation qui le ruinerait et récupérer les diamants. Il envoie donc un homme de main dans la réserve.

Une intrigue croisée, complexe, qui tire ses racines du passé et sent la vengeance. La trame policière n’est donc en rien négligée à la faveur d’un message humanitaire ou du portrait des mœurs et coutumes dans la Grande Réserve. Ici tout se tient, tout est imbriqué et équilibré. L’intrigue naît des paysages et des croyances, la modernité se mêle aux rites ancestraux et le lecteur suit ces personnages (qui ont aussi une histoire personnelle intéressante) non pas à un rythme trépidant (l’Indien n’est jamais pressé…) mais avec le plaisir de l’immersion véritable. Un incontournable écrivain de la culture amérindienne.

 
L’homme squelette

Tony Hillerman traduit de l’anglais par Danièle et Pierre Bondil
Payot / Rivages, 2006
ISBN : 978-2-7436-1511-7 – 223 pages – 17,50 €

Skeleton Man, parution aux États-Unis : 2004

40 commentaires sur “L’homme squelette de Tony Hillerman

  1. Ah oui, Hillerman! j’en ai lu quelques uns il y a longtemps, je découvre que leaphorn est à la retraite maintenant? Aaah j’ai des romans à rattraper, donc…

    1. Eh oui, le temps passe pour tout le monde, même dans la fiction… c’est rassurant, le temps des James Bond est révolu, les héros sont des êtres de chair et d’os 🙂

  2. Bob, ben, Hillerman ne dépassera pas la pré-sélection…ah, j’étais pourtant toute fière de mon choix qui visiblement était bon ! Je comptais bien en profiter pour le découvrir par la même occasion. Ce que je vais faire 🙂

  3. Hillerman… Un de mes chouchous… Je crois que je les ai tous lus (avant mon blog donc il faudrait que je les relise pour écrire les billets… ehe ehe…) j’ai sa biographie dans ma pal, non lue elle !

    1. Il était grand temps que je les découvre ces romans, le genre de livres dont je n’ai entendu que du bien, presque un incontournable cet écrivain-là…

    1. L’avantage sur Rebus ou Wallander, c’est que ses collègues prennent le relai et que l’aventure a pu continuer… jusqu’au décès de l’auteur, bien sûr, qui a commencé à écrire assez tard.

  4. Je n’ai jamais rien lu de cet auteur, et pourtant il semble avoir de quoi me plaire… Je vais voir ce que je peux trouver à la bibli !

  5. Après avoir lu tout Hillerman, je confirme que pour ceux qui aiment les polars, les amérindiens et particulièrement les Navajos, les histoires un peu ethnologiques, les plongées dans des coutumes qui nous sont étrangères, il ne faut pas hésiter !
    Je lis et je relis quand rien d’autre ne m’intéresse.
    Le Papou

  6. Bonjour,
    Amateur de polars, je n’ai jamais lu Hillerman …
    Je vais donc suivre ton conseil et tous ceux qui en parlent avec enthousiasme.
    Je le mets sur ma liste d’achats.
    Je devrais commencer par lequel ???
    Lire par ordre chronologique ??
    Merci !

  7. Je n’en ai lu qu’un de l’auteur, le premier de la série, je crois et j’en ai gardé un bon souvenir, de dépaysement et, globalement, de qualité.

  8. Je suis un lecteur assidu de Hillerman.A travers ses romans Il nous emmène à la découverte des Navajos. J’aime l’évolution des personnages, qui vieillissent, en même temps que l’auteur. On les redécouvre comme de vieux amis que l’on a un peu perdu de vue mais qui nous sont chers.

  9. Hillerman est un de mes auteurs préférés, je connais tous ses romans par coeur c’est dire (oui mes bizarres manies de relecture en série bref !!!). Bien sûr il y en a de meilleurs que d’autres mais une fois qu’on est attaché aux personnages, ils sont tous bien…
    Pour commencer (j’ai vu que quelqu’un posait la question), je dirais Porteur de peau (vraiment excellent première rencontre de Jim Chee et Joe Leaphorn), ou Là où dansent les morts (un Leaphorn excellent aussi), ou Dieu-qui-parle ou Le voleur de temps… il y en a plein d’autres mais ceux-là m’ont peut être plus marquée 🙂

  10. Je ne peux que vous conseiller de commencer avec ‘Là où dansent les morts’ (le second roman d’Hillerman, le premier est un assez mauvais brouillon) qui est un chef d’œuvre et qui permet de comprendre réellement les enjeux culturels et sociologiques de cette excellente série, puis de dérouler dans l’ordre (car il y a une chronologie qui fait sens dans les romans).

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