Compagnie K de William March est un des rares romans américains sur la Première Guerre mondiale traduits en français. Publié en 1933 aux Etats-Unis et devenu un classique de la littérature de guerre, il ne nous parvient qu’aujourd’hui, à la faveur des commémorations. Le jeune William March fut présent sur le front dès février 1918, participa à plusieurs batailles très meurtrières, reçut ensuite de nombreuses distinctions pour sa bravoure. Mais ce n’est pas son expérience personnelle qu’il met en œuvre dans Compagnie K, même si elle lui a servi de matériau : il choisit de donner la parole aux autres, sous forme de très nombreux fragments de discours.
Il s’agit donc d’un roman choral où interviennent tour à tour les différents membres de la compagnie K : soldats, capitaines, sergents, lieutenants… Le temps d’une ou deux pages, ils sont saisis en pleine action, certains s’exprimant au moment même de mourir, d’autres à travers une anecdote.
La polyphonie permet à William March de balayer une palette très vaste de sentiments : peur, colère, révolte, mais aussi joie d’être vivant, d’être amputé ou aveugle plutôt que mort. En choisissant une multiplicité de points de vue internes, William March peut rendre compte d’un même fait sous plusieurs angles, selon que l’on est le sergent qui ordonne un assaut meurtrier ou le soldat qui y laisse la vie.
C’est la guerre vue du soldat, depuis celui qui obéit, subit et meurt. Pas d’analyse de la situation, pas de résumé des grandes manœuvres ni de vision globale de ce qui se passe en dehors de la compagnie. D’où certaines situations presque comiques : le soldat Peter Stafford vient de se faire couper la jambe, il est dans le coaltar quand il voit une brave vieille qui se penche sur lui. Il trouve qu’elle ressemble à sa voisine et le lui dit. Il apprend peu après que la brave vieille n’est autre que la reine d’Angleterre. C’est tout ce qu’on saura de cette royale visite aux troupes.
Ce que dénoncent parfois les soldats de la compagnie K, ce ne sont pas les Allemands mais l’injustice, le vol, le manque de scrupule de certains qui détroussent les morts, les ordres injustes qui obligent à exécuter les prisonniers. Les planqués fiers de l’être dénoncent seuls leur cynisme à l’image du soldat Howard Bartow qui en un an de guerre n’a pas vu un soldat allemand ni utilisé son fusil une seule fois.
Il apparait clairement dans ce roman qu’il n’y a pas un soldat, celui qu’on fantasme ou qu’on glorifie, mais autant de soldats qu’il y a d’hommes : des courageux et des lâches, des naïfs et des cyniques, des bellicistes et des pacifistes. Tous resteront marqués par ces mois de guerre, dans leur corps ou dans leur tête. Car William March, lui-même hanté par la mort d’un soldat allemand qu’il a tué dans un bois, consacre plusieurs chapitres au retour des soldats : les discours, les belles promesses, la précarité et le souvenir de certaines scènes qui rend fou. Les soldats sont longtemps victimes de la guerre, bien après la démobilisation. Les écrivains combattants en ont témoigné mieux que personne.
Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
Compagnie K
William March traduit de l’anglais par Stéphanie Levet
Gallmeister, 2013
ISBN : 978-2-35178-068-8
Company K, parution aux Etats-Unis : 1933
Je ne l’avais pas repéré celui-là. Il a l’air bien et en plus sur un thème qui m’intéresse.
Les témoignages de soldats américains de la Grande Guerre ne sont pas si fréquemment traduits en français, raison de plus pour s’intéresser à celui-ci.
Tiens, Gallmeister a envoyé un mail en parlant, juste pour information, et cela me tentait. Je sens que ma bibli fera là aussi son travail…
Ton billet est le premier à ma connaissance!
C’est étonnant que ce livre sorte chez eux, pas vraiment leur ligne, mais c’est tant mieux.
Après avoir lu Au revoir là-haut de P. Lemaitre, celui-ci me tente aussi ! Mais ma biblio a du retard pour les achats de la RL !
Ah je me souviens quand j’étais bibliothécaire, les gens voulaient lire les livres dont ils entendaient parler à la télé ou la radio…et tout de suite ! Pas facile de faire son boulot 😉
Je l’ai feuilleté hier en librairie, mais j’attendrai qu’il arrive en bibliothèque. Il a mis du temps à nous parvenir !
Oui et je trouve ça assez étonnant car il semble bien que ce soit un classique de la littérature de guerre aux Etats-Unis.
Ce que j’aime, sur ton blog, c’est que tu nous présentes toujours des livres originaux et pas forcément les derniers parus; et en plus, les billets sont bien écrits. Mais pour celui-ci, je passe mon tour; pas mal tasse de thé.
C’est gentil, merci. je préfère parler des livres dont on entend pas parler partout. Mais bon au départ, on ne peut pas vraiment le savoir. Le Pierre Lemaitre par exemple, je suis bien contente de l’avoir déjà lu parce que maintenant que je le vois partout je ne suis pas certaine que j’en aurais encore envie…
toujours intéressant les témoignages de la grande guerre en ces temps de « centenaire »
Luocine
Je crois qu’on va en avoir pas mal…
je ne connaissais pas du tout, je retiens… pas pour tout de suite, mais pour un avenir plus ou moins lointain 🙂
Celui-là, je l’avais repéré dans les listes de la rentrée, puisque Grande Guerre il y a…
C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de romans qui témoignent sur l’envers du décor, le soldat est toujours un héros tourmenté mais impeccable (et vertueux) ! 1933, quand même… il a mis le temps à traverser l’Atlantique ! 😉
Il y a des carnets de guerre disponibles, et je crois qu’il va y en avoir beaucoup de réédités à l’occasion du centenaire : ils donnent une vraie vision des conditions de vie du soldat, c’est très intéressant.
Un roman qui rend la guerre plus « humaine » vue du petit bout de la lorgnette.
et qui donne un point de vue inhabituel…
mais dis donc ! c’est la thématique du mois 🙂
Pour ma part, c’est même une thématique à long terme : je lis beaucoup sur le sujet en ce moment…
Je l’ai en ligne de mire, tu penses 😉 Je l’ai même eu dans les mains hier (c’est ainsi que j’ai découvert le côté choral) mais me suis retenue. Pas pour tout de suite 😉
Il est original sur bien des plans, je te le conseille.
Tout pour me plaire celui-là !
Bonne lecture alors !
Le thème me plait !
Eh bien tu vas revenir souvent ici alors, car je ne fais que commencer à chroniquer une montagne de livres sur la Première Guerre mondiale…
Je note que tu vas beaucoup lire sur ce thème de la guerre 14/18. Pour ma part, je m’en suis détachée pour avoir déjà beaucoup lu sur le sujet mais évidemment un récit de 1933 qui sort seulement en France maintenant, c’est quand même très tentant.
J’espère que les commémorations autour du centenaire nous donneront l’occasion de lire d’autres textes de ce genre.
Pas mal comme témoignage. Etonnant qu’il ne nous arrive que maintenant.
Il faut croire qu’on s’intéresse plus à nos soldats qu’aux autres…
Belle critique, il me tente beaucoup.
Tenter les lecteurs, c’est ce que je préfère 😉
Repéré dans les sorties Gallmeister et je suis plutôt tentée. Pour le moment, le Lemaitre me tente plus, mais je garde celui-ci au chaud.
Lis les deux !
Des copains m’en ont parlé. Il paraît que je peux aimer ça. Du coup, c’est noté
Je ne connais pas ton ressenti concernant les romans de guerre…
Je l’avais repéré sur ton blog, et j’ai fini par le trouver à la bibli. Je l’ai donc lu hier soir, et je l’ai trouvé excellent !
Ravie. J’adore provoquer des envies de lectures !
Il remonte dans ma pile. Il faut vraiment que je le lise. En parlant de Première guerre, avez-vous lu Tranchecaille, de Patrick Pécherot? Si ça n’est pas le cas, je vous le conseille.
Je viens justement de l’emprunter à la bibliothèque.
Oui, c’est bien ça! Je ne sais plus si c’était ici que j’avais repéré ce livre, mais votre billet correspond tout à fait à ma lecture du jour. Avec une précision: l’officier ordonne, le sous-officier (sergent) de carrière essaye d’attirer son attention sur le danger ou l’injustice de l’ordre mais ne peut faire autrement que le transmettre si l’officier n’entend pas raison, et le soldat exécute et trinque…
De l’utilité de notre « 11 Novembre » national (je ne suis pas sûr que les Allemands commémorent autant cette date!) pour découvrir, chaque année encore, des pauvres peu connues… La guerre de 14-18 n’a pas fini d’inspirer littérature, films ou BD… et cela a commencé il y a plus d’un siècle désormais.
Merci pour votre commentaire, le lien est rajouté.
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola