« Son domaine, c’était les nuages » et Alexeï Féodossiévitch Vangengheim aurait bien passé sa vie de bon citoyen soviétique à s’occuper de cirrus, de cumulonimbus et autres courants d’air. Mais Staline en a décidé autrement et il finira comme des milliers de ses compatriotes au fond d’une forêt, une balle dans la tête.
Au début des années 30, notre homme doit s’occuper d’un tout nouveau service d’hydro-météorologie unifiée. S’occuper d’unifier quoi que ce soit sur un territoire de vingt-deux millions de kilomètres carrés n’est pas une mince affaire, mais armé de sa conscience soviétique toute neuve il ne doute pas de pouvoir aider à la construction du socialisme en améliorant les performances de l’agriculture. Il va pourtant être dénoncé pour sabotage contre-révolutionnaire et arrêté le 8 janvier 1934. Il aurait fabriqué de fausses prévisions météo…
Interrogé à la Loubianka, il finit bien sûr par avouer tout ce qu’on veut lui faire avouer, puis est déporté aux îles Solovki, un des premiers goulags de l’Union soviétique, pour dix ans de travaux forcés. Il n’en reviendra jamais. Le plus étonnant, c’est que rien n’altère sa confiance en Staline et la Révolution. Il écrit lettres sur lettres pour demander la révision de son dossier et ne perd pas espoir. C’est que lui, ex-propriétaire terrien, ex-noble, a renié sa classe et ses origines pour embrasser la cause soviétique. Il n’imagine pas qu’elle puisse être injuste.
C’est à travers les lettres écrites à sa femme, principales sources d’Olivier Rolin, que perce la personnalité d’Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, un « type moyen » comme le décrit l’auteur, pas un héros, mais bien une victime parmi tant d’autres d’un système criminel. Limite neurasthénique (mais qui ne le serait pas), il se sent inutile dans ce camp où il s’occupe pourtant d’une bibliothèque de plusieurs milliers de livres, apportés là par les prisonniers successifs. Olivier Rolin s’est d’ailleurs lancé à la recherche de ces ouvrages, ce qui a donné lieu à un reportage diffusé l’été dernier sur Arte. On y voyait les îles Solovski, et ces grands paysages russes qui fascinent tant l’auteur. Il explique d’ailleurs sa fascination dans une dernière partie très intéressante qui explicite ce que fut l’échec de la Révolution.
Olivier Rolin ne s’embarrasse pas de fioritures dans son récit. « J’ai raconté aussi scrupuleusement que j’ai pu, sans romancer, en essayant de m’en tenir à ce que je savais, l’histoire d’Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, le météorologue », dit-il. Et pourtant, en racontant sobrement (mais non sans ironie) l’histoire d’un homme comme les autres, c’est le destin de tout un peuple brisé qui s’écrit. Le météorologue a la simplicité tragique des vies qui ne comptent pas aux yeux des bourreaux sanguinaires qui trop souvent font l’Histoire. Alexeï Féodossiévitch Vangengheim aurait voulu mener la vie simple d’un père qui apprend le monde à sa fille, la vie exemplaire d’un citoyen soviétique confiant en l’avenir radieux de son pays.
Le météorologue
Olivier Rolin
Le Seuil, 2014
ISNB : 978-2-02-116888-4 – 205 pages – 18 €
Jean ou Olivier Rolin? 😉 De lui, j’ai encore Un chasseur de lions dans ma PAL qui si je me rappelle bien avait eu des avis un peu contrastés. Je verrai pour la suite.
Je me demande parfois comment j’arrive à faire ça… je me désespère moi-même…
un livre que j’ai particulièrement aimé
Je l’ai lu dans le cadre du comité de sélection pour le jury du prix du roman historique des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois. J’ai évoqué ce roman en même temps que Charlotte de David Foenkinos et Le voyant de Jérôme Garin. Tous trois sont des biographies romancées mais il ne fait aucun doute pour moi que le Rolin est largement au-dessus des deux autres, très largement. J’ai particulièrement apprécié son style, si sobre et précis à côté des deux autres qui en font beaucoup trop, ainsi que sa démarche de choisir un personnage sans grande envergure, un type moyen comme il dit. Je n’en peux plus de ces biographies romancée de déportés et de résistants (aveugle de surcroit pour Garcin, pour qu’il soit encore plus grandiose et héroïque).
Et dire qu’aujourd’hui, beaucoup sont nostalgiques de l’URSS… Je note quand même le roman, même si je sens que l’histoire va m’agacer par ce gâchis humain, parce que tu dis que le style est très bon.
Des nostalgiques du goulag et de Staline ? Ils ne doivent pas être légions quand même, enfin j’espère…
Du goulag non, de Staline, plus que tu ne l’imagines! C’est la « beauté » de la mémoire sélective.
Bon, Jean, je l’ai lu. Là c’est Olivier (moi aussi je dois vérifier)ils sont frères)
Je vois que tu es très sérieuse dans la lecture des sélections. J’aime ton coup de gueule (réponse à Dominique). parfois on fatigue. j’espère que bientôt tu liras des bouquins détente ou complètement sur d’autres sujets!
J’ai ramené de la bibliothèque des livres très légers (j’ai mis une photo sur mon profil FB) dont ma PAL perso ne déborde pas : j’espère bien lire quelques romans d’été, juste pour le plaisir de la lecture. D’autant plus qu’il n’y a pas de festival America cette année, donc pas d’impératifs estivaux de ce côté-là.
Ah tiens voilà qui semble extrêmement intéressant, notons, notons 🙂
Il est sorti l’an dernier, en fin de rentrée littéraire et sans trop de bruit, mais il vaut d’être noté effectivement.
Ah oui, ça pourrait vraiment me plaire. J’avais lu pas mal sur la Russie l’an dernier et sérieusement, c’est un thème qui revient souvent, cette désillusion face au Soviet, qu’ils n’imaginent pas pouvoir commettre es injustices. Du coup, je suis fort tentée.
J’imagine qu’on ne se défait pas rapidement de ce passé-là…
Il faut croire que la propagande était efficace, et grand le besoin d’illusions…
J’ai beaucoup apprécié ce titre, pour en grande partie, les mêmes raisons que toi, dont le choix d’un homme ordinaire, ni héroïque, ni extraordinaire, ni particulièrement lucide … L’auteur crée de la distance, du coup, gentillement ironique, on n’est pas dans la recherche de l’empathie à vous tirer des larmes à tout prix. Et c’est très bien.
Si tu n’as pas vu le documentaire sur Arte issu de la recherche de Rolin des livres de la bibliothèque Solovki, je te le conseille, il est très intéressant et on y voit beaucoup des lieux cités dans le livre.
J’ai vu le documentaire, et il est vraiment à conseiller effectivement. Que l’on aime ou pas le livre, d’ailleurs.
Le frère de, que j’aime tant. Je vais aller rapidement à la découverte d’Olivier. Tu me tentes beaucoup
Je n’ai jamais lu Jean Rolin ; ceci dit, je découvre Olivier avec ce titre : j’ai beaucoup encore à découvrir en littérature française…
un coup de coeur pour moi aussi, j’ai été émue par les dessins qu’il avait adressés à sa fille. Un livre tellement juste sur une horreur du stalinisme raconté du point de vue d’un homme qui y croyait… comme tant d’autres !
Je n’ai en effet pas précisé que le livre était accompagné de reproductions de ces dessins, qui sont très touchantes.
Je viens de m’apercevoir que j’ai port-soudan et Méroé sur mes étagères !
J’ai retenue le météorologue à la bibliothèque
Chez toi, ça a l’air d’être comme chez moi : plein de livres partout sans bien savoir quoi exactement 🙂
Mais, j’ai un logiciel, alors, si j’ai entré le livre…
J’en ai un aussi depuis quelques temps, mais là, j’en suis à la phase ingrate : rentrer tous les livres… j’en suis à la lettre B, faudrait que j’en rentre un peu tous les jours maintenant que j’ai le temps…
Avec Bookin, je peux noter l’ISBN, c’est plus rapide. Mais il est vrai, qu’il faut entrer beaucoup de livres !
j’avais déjà noté je ne sais plus où. Tu confirmes alors, merci.
Un homme qui a cru jusqu’au bout à l’innocence du bon Staline.
Et il furent nombreux…