Vous ouvrez un roman, vous pensez qu’il va vous raconter une histoire. Celle par exemple de Paul Renard et Camélia Mélondas, tous deux psychanalystes, lui parisien, elle luzarchoise. Des gens qui connaissent la vie et même au-delà, se dit-on avant de constater que leur relation a quelque chose d’immature. Il se dit amoureux mais elle s’éloigne, il s’accroche, la chicane sur des détails.
On tomberait facilement dans l’ennuyeux mélo, le mauvais film roman sentimental, si une certaine Émilie Levert, détective privée, ne les contactait l’un et l’autre à propos d’un patient qu’ils ont en commun à leur insu. Le jeune Pierre Érazi a disparu, juste après l’incendie de la maison d’un de ses camarades de lycée. Un troisième psychanalyste découvre bientôt qu’il détient un manuscrit du disparu, signé Émir Sulter.
Et voici que cet Émir raconte sa vie, ou ce qui lui en tient lieu. Avec deux amis, Ingrid et Antoine, il gère une salle de cinéma expérimental à Setrou. Setrou, c’est le nom de la ville où tout ce beau monde est venu s’enterrer après des parcours plus ou moins chaotiques. Il n’y a pas d’arbres à Setrou, pour que personne ne se pende… On vient de la capitale pour assister à des projections, au point que les trois amis ont affrété un bus reliant Setrou à la place Saint-Michel. Il n’est pas question pour eux de donner dans le blockbuster.
Nous ne nous retrouvions pas – nous ne retrouvions pas ce qui faisait l’absolue singularité de nos existences – dans le cinéma commercial, dont l’hypocrisie, à force de fréquentation, avait fini par nous écœurer, et que nous désignions sous le terme de « propagande ».
Pas de cinéma réaliste donc, celui qui singe la vie, un peu comme la littérature du même nom. Et peu à peu, Antoine Mouton dévie de cette imitation de la vie. La comédie sentimentale morose qui ouvrait le roman a laissé place à une probable autobiographie d’Émir Sulter qui lentement s’éloigne des canons du genre. Vers le suspens peut-être puisque des gens commencent à disparaître à Setrou… puis non, car on apprend que les disparus sont absorbés par des pièces-en-plus qui apparaissent tout à coup dans les maisons tandis que les rues de la ville enflent…
Imitation de la vie aurait pu être tout autre chose, comme la vie d’Émir aurait pu être autre s’il ne s’était laissé guider par une terrible apathie : il se laisse épouser par Mélissa, nymphomane caractérielle, laisse sa mère s’installer dans son appartement et sa femme coucher avec d’autres hommes dans son lit. Surtout, il a laissé jadis son ami Thierry se suicider. Cette mort hante le narrateur et devient le point de convergence de son mal-être qui s’écrit enfin dans ces feuillets.
On voit probablement se dessiner un roman triste et morose alors qu’il s’agit d’un roman foisonnant, souvent drôle, poétique et un peu fou. Surprenant. Un livre….
…qui en contient cent, qui s’engage dans la fiction avant de redevenir documentaire, qui passe du quotidien au merveilleux et de l’élégie à la blague comme autant de sautes d’humeur, qui n’a pas d’unité, pas de centre, sinon le désir de créer une forme invraisemblable, composée de portraits et de paysages ayant la même valeur, où l’on enterre un clown sous la pluie et où on inscrit le mot « fin » au milieu, où les images sont libres, où le temps est notre condition et non notre appui…
De nombreux portraits dans Imitation de la vie, souvent tendres même si les personnages ne sont pas tous bienveillants. Le plus réussi est sans doute celui de la mère d’Émir, qui aurait dû s’appeler Rémi mais la malheureuse a été rattrapée par la dyslexie jusqu’au bureau de l’État civil. Toujours en décalage, une belle poésie se dégage de ses messages sibyllins.
Il paraît que tu t’es marié (les murs ont des orteils). Es-tu certain d’avoir fait le bon choix ? Je me fais un sourcil fou à ton sujet. Si tu doutes, n’hésite pas à revenir vers moi : la morte sera toujours grande ouverte.
L’histoire se dérobe ainsi que la réalité ; les coïncidences s’accumulent et les scènes improbables se multiplient (lisez celle de Kiki le chien de la mère qui mange le poisson de l’épouse, lequel s’appelle Rémi, comme Émir finalement) ; les personnages ne sont peut-être pas ce que le narrateur prétend. Quel narrateur d’ailleurs ? Qui donc écrit ? Qu’attend-on d’un roman ? D’autres horizons s’ouvrent à vous amis lecteurs si vous aimez la légèreté subtile d’une littérature libérée des conventions romanesques traditionnelles.
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Imitation de la vie
Antoine Mouton
Bourgois, 2017
ISBN : 978-2-267-03032-7 – 171 pages – 12 €
Voilà qui m’intrigue, dis donc…
(un saut sur le site de la bibli, ah voilà Le metteur en scène polonais, si prometteur, non?)
Oui, tout à fait, il doit être au moins aussi étrange…
Très intriguée moi aussi, et très tentée ! Rien que « il n’y a pas d’arbres à Setrou pour que personne se pende », ça me fait rire !
Une lecture libérée des conventions romanesques ? Tu me fais peur !
Il faut oser !
Alors là tu aiguises ma curiosité !! D’autant qu’il m’attend celui là, chic !
je ne suis pas certaine de le lire mais j’aime bien ce billet et les commentaires qu’il provoque. Je vois que les adeptes du « original » se laisse tenter je vais attendre leurs billets.
Complexe !
j’aime bien être bousculée (en littérature) alors pourquoi pas?
Cet auteur est très apprécié des deux jeunes libraires lilloises de La Lison. Il me semble que j’ai acheté un de ses premiers bouquins, mais où se cache-t-il ?? 😉