Voici un roman certes historique, mais qui ne nécessite pas d’en savoir beaucoup sur le pays et la période concernés. Il suffit de se souvenir qu’en Argentine, durant le dictature militaire (1976-1983), des milliers de personnes disparurent du jour au lendemain sans que leur famille entende jamais parler d’elles. Ce sont « les disparus », hommes et femmes dont la mémoire est symbolisée par les mères de la place de Mai (la plaza de Mayo) qui hebdomadairement se réunissent en signe d’attente. Ces disparus ont pour la plupart été détenus et torturés, et certaines femmes ont accouché pendant leur détention. Leurs bébés ont été recueillis par des familles proches de la junte miliaire au pouvoir.
Isabelle Condou choisit de raconter le destin parallèle de deux femmes : Ernestina dont le fils a disparu, enlevé la veille de Noël 1976 avec sa jeune épouse enceinte de six mois, et Violetta, stérile, qui verra son rêve d’enfant se réaliser un jour de printemps 1977, grâce à son mari militaire. La vie d’Ernestina ne sera dès lors plus qu’attente et souffrance ; celle de Violetta se transformera en rêve fragile qui se fissurera au fur et à mesure des mensonges. Quand le roman commence, Ernestina attend sa petite-fille pour fêter son dix-huitième anniversaire, ce sera, si elle vient, leur seconde rencontre ; Violetta elle s’angoisse, se demandant si sa fille qui vient de comprendre que ses « parents » lui ont toujours menti, viendra fêter avec elle ses dix-huit ans. Le lecteur sait donc que la jeune fille a retrouvé sa vraie famille et l’intérêt du roman repose sur le récit des vies de ces deux femmes, souffrantes toutes deux. Violetta n’est pas présentée comme un personnage antipathique, et c’est une grande force du roman. C’est une femme qui veut un enfant, qui aime celui qu’on lui a donné de toute son âme, mais qui a eu le tort de ne pas chercher à savoir ce qu’est devenue la mère biologique, dont le visage la hante.
Isabelle Condou n’en fait jamais trop. Elle écrit avec une réelle justesse de ton des faits et des sentiments qui auraient pu très facilement tomber dans le mélodrame et la caricature. Ici, rien de tout ça, les personnages de La Perrita sont sobres malgré leur souffrance, mais ils n’en sont pas moins émouvants, inquiétants, ou drôles. L’auteur traduit très bien leurs forces, leurs aspirations et l’amour qui les guide tous et pourtant en fourvoie certains. Ces deux mères aiment et espèrent. L’une a perdu son fils, l’autre a trouvé une fille ; l’une est victime, l’autre est bourreau parce qu’elle n’a pas voulu savoir. Mais Isabelle Condou ne porte pas de jugement, elle donne à voir et à s’émouvoir avec beaucoup de pudeur et de sensibilité.
La Perrita
Isabelle Condou
Plon, 2009
ISBN : 978-2-259-20765-2 – 293 pages – 20 €
Je l’avais un peu perdu de vue dans la production de la rentrée, je le note, le thème m’intéresse.
Moi aussi, c’était l’an dernier, j’ai bien fait de le ressortir.
C’est un roman que j’avais beaucoup aimé d’autant que le thème est très intéressant. Une partie de l’Histoire que j’avais découverte avec le roman jeunesse de Massenot et j’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver sous une plume adulte.
Thème rarement traité par nos auteurs français, alors d’autant plus intéressant.
Est-ce que ce roman est très centré sur le thème de la maternité ? Ou bien c’est plus vu sous l’angle de la trahison, mensonge et culpabilité ?
Car ça pourrait m’intéresser mais ça dépend de quel aspect est traité.
Je pense que c’est avant tout deux portraits de mères. La culpabilité et le mensonge sont effectivement omniprésents.
Un thème inépuisable qui semble bien exploité ici, cela pourrait être une bonne pièce de théâtre.
Si ces évênements nous paraissent éloignés, n’oublions surtout pas que Buenos Aires est sans doute la ville la plus européenne d’Amérique latine, et que ses tortionnaires ont été très bien formés par les nôtres…
N’oublions jamais ça.
L’Amérique latine a été un repaire de nazis après la Seconde Guerre mondiale et on voit très bien ici qu’ils ont facilement trouvé à se recycler grâce aux dictatures qui sévissaient alors…
Sur un thème légèrement différent mais proche j’avais beaucoup aimé « Luz ou le temps sauvage d’Elsa Osorio, je n’ai pas vu ce roman dans la masse des parutions mais je relève la référence
Luz ou le temps sauvage est dans ma PAL, j’ai hâte de le lire, cette histoire vue par une Argentine sera sans aucun doute très intéressante.
Je partage ton avis sur la sensibilmité de l’auteure. Un roman très fort sur un sujet trop longtemps tabou.
Le sujet est toujours très prégnant là-bas : il y a encore des gens qui attendent, qui espèrent, des mères qui ne savent pas ce que sont devenus leurs enfants…
Lu l’an dernier, je me souviens encore de cette histoire : elle m’a marquée pour un petit bout de temps, signe de réussite du livre (pour moi). 😉
Oh oui, tout à fait, ce livre ne fait pas partie de ceux qu’on oublie rapidement.
Je suis très tentée!
N’hésite donc pas, c’est vraiment une réussite sur un thème aussi difficile, qui aurait pu sombrer dans les grosses ficelles du pathos.
Je m’intéresse à ce sujet depuis plusieurs années (depuis un petit séjour en Argentine où voir ces grand-mères défiler m’avait vraiment émue). J’ai offert ce livre à ma cousine l’année passée vu qu’elle partait justement en Argentine. Elle l’a adoré et il faut que je pense à le lui emprunter à l’occasion … ou alors le poche devrait bientôt sortir… Merci en tous cas pour le rappel!
Il doit être en effet émouvant de voir ces femmes perpétrer le souvenirs de leurs disparus. Lis ce livre, tu ne pourras pas être déçue.
Bonsoir Ys, noté. Les généraux n’en ont pas fini de solder leur compte d’atrocités. J’en profite pour te signaler un livre découvert par hasard et qui s’est révélé être une jolie surprise.
http://moustafette.canalblog.com/archives/2010/10/27/index.html
Merci du conseil !
Ce livre n’a pas l’air facile car cette période de l’Argentine a été particulièrement dure. Pourtant tu me donnes envie de lire ce roman car j’adore ce pays, et l’Amérique du sud en général…
Ça n’est pas un livre difficile à lire, c’est le sujet qui l’est mais l’écriture et le style sont limpides.