Cette vie ou une autre de Dan Chaon

Cette vie ou une autre de Dan ChaonVoici un roman labyrinthique comme savent en écrire les Américains. Labyrinthique dans sa construction narrative qui nous fait passer d’un personnage à l’autre, mais aussi dans les personnages eux-mêmes dont les identités (on ne peut plus complexes) ne se dévoilent que très progressivement. Et « très progressivement » n’est pas un euphémisme, et même le seul défaut qu’on pourrait trouver à ce roman dont les divers éléments finissent par s’imbriquer.

Le lecteur suit trois trames narratives qui ne se rejoignent pas avant deux cents pages. Il n’en demeure pas moins que ces trois histoires sont aussi intéressantes les unes que les autres, construisant des personnages riches et complexes dont on a envie de savoir ce qu’ils nous cachent.
Tout commence avec Ryan que son père Jay emmène à l’hôpital parce qu’il vient d’avoir la main tranchée. On apprend ensuite que Ryan n’a pas été élevé par Jay, pendant des années on lui a même fait croire que Jay était son oncle, ce n’est qu’à quinze ans qu’il a tout plaqué pour le rejoindre, se faisant même passer pour mort. Mais pourquoi Ryan change-t-il si souvent d’identité ? A quel trafic se livre-t-il pour Jay ?
On suit également Lucy, dix-huit ans, qui vient elle aussi de plaquer sa famille pour suivre son petit ami et ancien prof d’histoire, George Orson. Il l’emmène dans un improbable motel désaffecté au bord d’un lac asséché, et s’enferme toute la journée. Pour faire quoi ? Quels sont ses projets ?
Et enfin il y a Miles qui part pour la énième fois à la recherche de son frère jumeau Hayden, schizophrène et paranoïaque, grand amateur et spécialiste du changement de personnalité. S’est-il réfugié tout au nord du monde près de l’océan arctique ? Y a-t-il entrainé la jeune Rachel ?

L’intrigue repose sur les personnages eux-mêmes. Dan Chaon leur construit un passé fait de détails, d’événements, de sensations, d’émotions. Au bout du compte, ils sont tous paradoxalement extrêmement vivants, le lecteur les connaît, les côtoie jusque dans les presque riens qui leur donnent tant d’épaisseur. Les Américains font ça très bien, de même que planter des décors étranges comme ce motel presque fantôme ou une boutique de magie en déroute. Mais ici, l’intérêt est redoublé par le brouillage des pistes, la folie plus ou moins constatée de certains, l’incertitude qui plane sur leurs intentions et le flou chronologique.

Le thème central, c’est l’identité, sa fragilité, la facilité avec laquelle on peut en changer, et l’importance futile qu’elle revêt pour tout un chacun. Ça n’en fait bien sûr pas un roman d’action, mais bien une réflexion sur la manipulation (dont le lecteur est aussi victime) et sur l’invention de soi.

Cette vie ou une autre

Dan Chaon traduit de l’anglais par Hélène Fournier
Albin Michel, 2011
ISBN : 978-2-226-21871-6 – 405 pages – 23 €

Await Your Reply, parution aux États-Unis : 2009

60 Comments

    1. oui moi aussi, c’est ce que j’écris au début… mais c’est surtout parce qu’on est balancé dans le récit sans rien à se raccrocher, sans savoir où on va, ce dont on doit se souvenir, ce qui n’est que détail… c’est touffu et déstabilisant. Mais quand les choses s’emboîtent enfin, c’est un plaisir.

  1. C’est marrant je viens d’en entendre parler sur France Inter ce matin et je tombe sur ton billet ! encore un roman bien tentant !

  2. J’aime ce genre de construction, par contre le thème de la schizophrénie bof. Et les longueurs, je crois en avoir eu ma dose pour un bout de temps là !

  3. J’ai aimé ce livre ! Le seul défaut que j’ai trouvé à ce roman, ce sont quelques longueurs, mais malgré tout je n’ai pas pu lâcher avant de connaître la fin. Et cette fin est complètement inattendue !!!

    1. Ce livre fourmille de détails, de petites précisions sur les personnages, les lieux… ça leur donne une très grande consistance, mais c’est vrai que ça ralentit l’action, surtout quand on est pressé de savoir ce qu’il en est, qui sont tous ces gens !

  4. Je pense que ça pourrait me plaire, j’aime ce genre de construction et j’aime ne pas trop savoir où je m’en vais (c’est assez rare que ça arrive… alors disons que je savoure) alors je note… si les longueurs sont supportables, ça me va.

  5. ça me tente aussi – un jour ! Là je me suis embarquée dans les 666 pages de « Petite soeur mon amour » de Joyce Carol Oates. Je ne suis pas sûre d’aimer le style mais chaque page lue donne envie de lire la suivante.

    1. Oui, la semaine dernière ! Je sens qu’il va me plaire d’ailleurs, ça a l’air assez abominable comme ambiance, bien glauque, limite si le lecteur ne se sent pas coupable d’apprécier ce genre de livre. Cette Joyce Carol Oates, quel talent !

  6. Je m’en veux… La semaine dernière, l’auteur était en conférence à Rennes, j’avais le projet d’y aller. Puis, comme je n’avais lu qu’un billet sur lui, j’ai renoncé à aller écouter cet homme qui n’était illustrement inconnu… J’ai préféré aller faire les soldes. Et depuis ce weekend, c’est partout que je vois fleurir des billets sur ce livre, ce qui, bien sûr, aiguise ma curiosité et me fait dire que je suis passer à côté de quelque chose en tout cas.

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