Le chant de la mission de John Le Carré

Le chant de la missionJ’entendais il y a peu d’une oreille étonnée l’engouement de critiques littéraires pour le dernier roman de John Le Carré, quatre-vingts ans au compteur, Un traître à notre goût. Pour moi John Le Carré c’était le roman d’espionnage, la guerre froide, le scénario recyclé mille fois, le roman confortable et sans surprise pour les adeptes du genre. Eh bien Le chant de la mission n’a rien à voir avec ça, c’est une réelle découverte pour moi, et vraiment bonne.

Dès les premières pages de ce roman de John Le Carré, le lecteur est saisi par le ton très alerte, le rythme enlevé et une narration très réjouissante qui conte entre humour et sarcasme la conception et la jeunesse de Salvo, né d’un père missionnaire irlandais et d’une Congolaise…

Tous les jeunes auteurs qui veulent se lancer dans le roman (ou qui malheureusement s’y sont déjà lancés sans prendre de précautions) doivent lire John Le Carré et en tirer des leçons d’écriture. C’est radical comme conclusion et pourtant, salutaire. Car l’octogénaire britannique tire les ficelles d’une intrigue complexe mais maîtrisée, qui n’a pas pour seul but de faire plaisir au lecteur. L’ancien maître du roman d’espionnage s’indigne ici du sort réservé à l’Afrique, des combines et complots occidentaux toujours à l’œuvre pour la dépouiller de ses richesses, et ce avec la complicité d’acteurs locaux qui pour quelques dollars oublient le peuple d’où ils viennent. L’attrait romanesque se double d’une prise de position évidente pour ce pays meurtri.

Le Congo, risée de l’Afrique, violé, pillé, ravagé, ruiné, corrompu, sanguinaire, dupé, ridiculisé, réputé sur tout le continent pour son incompétence, sa corruption, son anarchie.

Et parce qu’il est avant tout romancier, John Le Carré n’écrit pas un pamphlet ou une thèse sur le sujet, mais bien un roman. Pour un bon roman il faut de bons personnages, et Salvo en est indubitablement un. C’est un éminent interprète en langues africaines, parlant tous les dialectes de son Congo natal. C’est pourquoi, il est parfois requis officieusement dans le cadre de missions gouvernementales. Les services secrets britanniques, en clair. Un mystérieux syndicat philanthrope l’envoie cette fois traduire les propos de chefs de guerre africains et autres hommes d’affaires et dirigeants, qu’il doit aussi espionner. Le but avoué est de sortir le peuple congolais de la spirale de la guerre et de lui donner enfin les moyens de gérer le pays. Mais Salvo va comprendre qu’il n’en est rien. Parce qu’il est intelligent Salvo, même si d’une extrême naïveté. Il est du genre confiant et obéissant, c’est aussi pour ça qu’il a été choisi.

La première partie, menée tambour battant, est ébouriffante. La deuxième, qui concerne la réunion en elle-même s’avère plus complexe car elle entre dans les détails politiques, économiques et historiques du Congo et de sa région : c’est très documenté mais forcément moins palpitant. Mais quand ensuite Salvo quitte la réunion et commence à agir, on retrouve le rythme et la verve de départ et tout s’enchaîne.

Etant ignare en matière de politique africaine, je ne saurais dire si le complot mis sur pied dans le livre est vraisemblable. Comme Le Carré ne vient pas de tomber de l’arbre, j’aurais tendance à dire oui. En tout cas, rien ne m’a semblé incompréhensible et s’il y a une part de rocambolesque dans cette histoire, elle est la bienvenue et fait partie de l’aventure.

 

Le chant de la mission

John Le Carré traduit de l’anglais par Mimi et Isabelle Perrin
Seuil, 2007
ISBN : 978-2-02-089822-5 – 345 pages – 21.80 €

The Mission Song, parution en Grande-Bretagne : 2006

40 commentaires sur “Le chant de la mission de John Le Carré

  1. Bonjour Ys,
    Je n’ai jamais été capable de terminer un roman d,espionnage de John Le Carré. Ta chronique « ébranle » mes convictions ! Je me disais que jamais plus je n’essaierais de lire cet auteur …
    Je note !
    Merci !

  2. Il y a pas mal de temps j’avais lu ses romans « guerre froide » tels La taupe, Un espion venu du froid, etc, de sacrés romans en effet, et pas que d’espionnage. So british aussi. Eh oui ^_^
    J’ai lu ce chant de la mission aussi et récemment son dernier (billet un jour, un jour) qui tient drôlement bien la route, l’auteur n’a pas pris une ride (son talent en tout cas)
    J’espère que tu lui accorderas assez d’attention pour te lancer dans d’autres romans! Et même si la guerre froide est terminée, sache que ses anciens romans demeurent intéressants, à mon avis, les êtres humains n’ont pas changé…

  3. D’accord avec keisha, La Carré est un sacré « client », pas drôle mais très pro, un peu comme les thrillers de la BBC qui sont tellement proches de l’actualité que ça fait froid dans le dos, et c’est ce que j’aime, bien sûr…
    Merci pour ce post.

  4. Merci pour la découverte de ce titre que je ne connaissais pas du tout. Mon dernier Le Carré doit remonter à « La constance du jardinier » très bon roman sur les magouilles (et plus si affinités) des industries pharmaceutiques en Afrique. Sinon, j’ai lu aussi quelques bons gros pavés du temps de la guerre froide, épatants aussi.

  5. L’Ogre est fan de cet auteur, j’ai donc deja plusieurs titres a me mettre sous la dent. J’avais aussi des a priori sur cet auteur (litterature plutot masculine, formatage, cliches sur l’espionnage, etc) mais je suis ravie de lire que ce n’est pas du tout le cas.

  6. Je comprends ton plaisir, je n’ai pas encore lui cet opus là mais j’ai beaucoup aimé à peu près tous les romans de Le Carré, diable d’auteur qui a su prendre le virage de la chute du mur, de la fin de la guerre froide et mette au premier plan les peurs et les interrogations d’aujourd’hui et transformer tout ça en romans haletants, j’ai l’impression que celui là ne déroge pas à la règle

    1. Ça part dès le début avec une pétulance incroyable, pas dans l’action d’ailleurs, mais dans le ton, c’est ça qui est assez étonnant. Comme quoi la jeunesse est aussi dans la tête.

  7. Moi aussi je l’ai lu plus jeune, il me semble et il ne m’a guère laissé de souvenir impérissable ! J’étais plus polar qu’espionnage il faut dire à cette époque et je préférais Ludlum dans le genre ! Mais c’est bon à savoir cette volte-face, comme quoi, il lui a aussi fallu trouver un autre créneau et quand on a du talent, c’est faisable !! Je note, tentatrice !! 😉

  8. Pourquoi étions-nous réticentes à ce point à l’idée de lire cet auteur? Je le suis beaucoup moins après avoir lu ton billet. Ceci dit, même les films d’espionnage je ne les ai jamais aimés!

  9. J’ai été emballé par le dernier livre de cet auteur. Il y a longtemps que je ne l’avais lu et je trouve qu’il maîtrise totalement ses personnages, ses intrigues. Du grand art mâtiné de trait d’humour, d’ironie.

  10. N’étant pas une adepte des polars et autres romans du genre, je n’ai jamais lu cet auteur … mais pour le coup, ton article me donne vraiment envie de découvrir le maître !!

  11. De John Le Carré, je n’ai lu que La constance du jardinier… bizarrement, je n’ai jamais eu envie de recommencer, même si j’avais aimé en général. Bon, peut-être que celui-ci… pourquoi pas!

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