Combien de personnes est-on ? Combien y a-t-il en nous de masques ? Un écrivain en porte-t-il plus que quelqu’un d’autre ? A-t-on besoin d’être plusieurs pour être au monde, pour vivre en société ? Qui peut dire qu’il a bien connu un ami, un proche, un frère ? Autant de questions, et plus encore, que pose Le journal intime de Benjamin Lorca d’Arnaud Cathrine.
Benjamin Lorca était écrivain. Un écrivain reconnu, parisien, doté d’amis et d’une famille proche. Et d’une mélancolie tenace, une difficulté d’être qui se révèlera à eux à sa mort dans toute son abyssale présence. Arnaud Cathrine donne la parole à quatre d’entre eux : deux amis, Edouard et Ronan, une ancienne petite amie, Ninon, peut-être la seule qui ait compté, et son frère Martin. Des gens très proches qui ont vécu avec lui, partagé de très nombreux moments, parfois des périodes entières et qui pourtant ne dessinent par leurs témoignages qu’une facette de sa personnalité.
A sa mort brutale il laisse un journal intime, œuvre inédite, que personne a priori n’a lu, susceptible de révéler à chacun d’entre eux une partie d’eux-mêmes. Le lire ou pas ? Le publier ou pas (contre sa demande expresse) ? Il a demandé à Ninon et Ronan, ses exécuteurs testamentaires, de le détruire. Mais lui ne l’a pas fait. Doivent-ils ou non dévoiler ce que Benjamin Lorca gardait caché depuis des années ? Sortiront-ils intacts de cette lecture ? Ne vaut-il pas mieux garder l’image qu’ils se sont faite de Benjamin ?
Violer l’intimité d’un écrivain en participant au grand déballage médiatique à la mode. Dévoiler aux admirateurs de l’œuvre un texte qui leur permettrait de mieux comprendre l’homme. La frontière entre la dévotion et l’admiration est mince, essentielle pourtant. Au-delà de la querelle qui opposa Proust et Sainte-Beuve, il y a l’insoluble écrivain qui ne peut se réduire à ses textes mais ne survit que par eux à long terme.
Aux autres, Benjamin s’arrangeait pour donner l’impression qu’il se livrait sans compter. Il avait fabriqué un second masque à celui, incompressible, de la pudeur. Il savait que la réserve et la discrétion, paradoxalement, le mettaient à nu ou, tout au moins, ne rendaient que plus visible son absence d’épanchement. Alors il était prolixe, comme pour mieux garder par-devers lui ce qu’il n’aurait souhaité brader sur le trottoir pour rien au monde. De même écrivait-il des fictions qui constituaient le compromis le plus confortable pour se livrer sans se déshabiller ni jeter son intimité en pâture. Je ne pouvais que l’y encourager : il ne faut pas faire confiance à ce que les autres feront de vous.
Arnaud Cathrine dévoile peu à peu un Benjamin Lorca dont on sait au final qu’il restera insaisissable dans son entièreté. Le chagrin, la culpabilité et les souvenirs des quatre protagonistes construisent successivement un portrait sobre et pudique, peu à peu envoûtant. Car un témoignage s’ajoute à un autre et densifie l’absent mais l’éloigne aussi de toute compréhension pleine et entière. L’auteur tourne autour de son personnage principal absent dans une ronde discrète, pudique, sensible. On s’étonne au final de la force émotive d’un tel texte.
Le journal intime de Benjamin Lorca
Arnaud Cathrine
Verticales, 2010
ISBN : 978-2-07-012824-2 – 195 pages – 16 €
Un roman qui pourrait tout à fait me plaire. Je ne connaissais pas du tout cet auteur, Arnaud Cathrine.
Ravie de te le faire découvrir.
J’ai découvert cet auteur sur Web TV Culture, le sujet de ce livre me tente plutôt.
J’aime bien web TV culture, son mag et ses interviews d’écrivains (même si très souvent, ce ne sont pas des écrivains que je lis, j’apprécie de les entendre parler de la vie éditoriale, de leurs livres). J’apprécie aussi beaucoup Philippe Chauveau : clair, discret, professionnel et idem pour celui qui présente l’actu numérique (dont je peine à me rappeler le nom).
à travers ton billet je n’arrive pas à me faire une idée du roman , je ne sais pas s’il t’a plu ou non, je crois que je vais le laisser de côté ..
Bon réveillon
Luocine
Pourtant, j’ai mis un gros coeur pour montrer qu’il me plaisait beaucoup 😉
Zut, j’ai complètement oublié cette date anniversaire que j’avais prévu de fêter en ta compagnie. Le journal intime de Benjamin Lorca est le premier (et seul à ce jour) roman d’A.Cathrine que j’aie lu à ce jour (grâce à Yohann qui me l’avait prêté). J’avais bien aimé son univers et sa plume au point d’acheter peu après Nos vies romancées que j’avais prévu de sortir de mes étagères à l’occasion de ce rendez-vous.
L’an prochain, peut-être…
Je m’attendais en effet à ta participation 😦 J’ai pris soin de rappeler sur Facebook la liste des auteurs à fêter en décembre, mais je ne peux pas te reprocher de ne pas être coller à ce maudit réseau bouffeur de temps. L’an prochain, je ne reprends pas les mêmes vu que je me fixe sur les dizaines, mais il y en a plein d’autres !
Encore une fois, ta chronique me tente beaucoup ! Je ne connais pas ce livre …
Ravie car ce livre me permet de découvrir cet auteur et c’est une très belle découverte.
bon ben, je suis cuite. Tout, absolument tout est tentant.
Oui n’est-ce pas, à lire cette année !
Je pensais que nous serions plus nombreux à fêter les 40 ans de M. Cathrine, qui mérite vraiment d’être découvert…
J’espère que ce billet suscitera la curiosité et surtout, l’envie !!
Ce n’est peut-être pas la bonne période… (ceux qui sont nés entre Noël et le jour de l’An le savent bien…).
Un auteur que je découvre, moi aussi, alors qu’il semble être un incoutournable. Je note donc un titre chez toi et un autre chez Ingannmic, deux références aussi élogieuses, je ne peux pas ne pas trépigner d’impatience : donc deux d’un coup, et un nouvel auteur. L’année commence sous les meilleures envies !
Pour le coup, les livres d’Arnaud Cathrine doivent facilement se trouver en bibliothèque.
J’ai suivi une formation sur la littérature contemporaine et ce titre nous avait été vivement recommandé. Il faudra que je le lise. Bonne année également 😉
Les formateurs sont souvent de bon conseil 🙂