Voici un roman atypique, très étrange, qu’on ne sait pas bien par quel bout attraper. Par la queue peut-être, la queue du cochon ? Allez savoir… Le procès du cochon n’aurait-il de cochon que le titre et une quatrième de couverture surprenante, après coup. Lecteurs curieux, suivez-moi dans ma lecture de ce roman d’Oscar Coop-Phane, lecture qui tient de l’interrogation permanente.
D’abord, la quatrième de couverture qui semble orienter clairement le lecteur :
Dans un village et en un temps reculé, un cochon croque la joue et l’épaule d’un bébé laissé quelques instants sans surveillance, avant de repartir tranquillement vers la forêt. Traqué, il est jeté en prison puis sur la scène du tribunal où toute la société attend de comparaître pour accuser la bête. Alors commence la grande mascarade de la justice. De la famille éplorée au juge en passant par les avocats et les témoins, de la salle d’audience à la potence, l’auteur invite au théâtre de l’absurde.
Du XIIe au XVIIIe siècle, en Europe, les hommes jugeaient des animaux. Une truie infanticide, un cheval obscène, des sauterelles saccageant les récoltes, et un procès s’organise… Mais comment produit-on un animal devant la cour ? Comment pourrait-il se défendre ? Comment dire sans mots ?
Il sera donc question ici de ces absurdes procès que l’Église a pu jadis intenter contre les animaux. On ouvre, on lit : il est question d’un « il » qui marche, seul depuis longtemps, sale, auquel on lance des pierres, qui dort dehors, et un jour croque la joue et l’épaule d’un bébé endormi dans son couffin. Dès lors le narrateur le désigne comme « le croqueur » ou encore « le suspect » ou « le prisonnier » puisqu’il va être arrêté et emprisonné.
Pas de cochon en vue dans le roman d’Oscar Coop-Phane après plusieurs dizaines de pages.
On est loin de l’époque historique citée par la quatrième de couverture puisqu’en prison, « le suspect » croise le fameux Pierre celui-là même dont Michel Foucault écrivit l’histoire. Michel Foucault, celui de Surveiller et punir… La citation vaut référence cependant, et non ancrage historique puisque plus loin, à travers l’évocation des supplices infligés aux condamnés, on n’est clairement plus au XIXe siècle. L’atemporalité rapproche Le procès du cochon de la fable et la référence à Michel Foucault de la critique sociale et institutionnelle. Il est décidément de moins en moins question de cochon au sens propre dans ce roman allégorique…
Puis on lit, page 45 (parce que « le suspect » ne se lave pas et refuse d’utiliser le seau) :
Sa cellule, on l’appelait maintenant la porcherie et le croqueur, le cochon.
Nous voilà donc bien rassurés : rien à voir avec le sus crofa domesticus, sous-espèce du sanglier sauvage, mais bien avec ce que devient un vagabond, un étranger errant et solitaire jeté en prison. D’ailleurs, si nous lisons la quatrième de couverture jusqu’au bout, elle se termine sur ces mots : « Chacun reconnaîtra, dans ce texte allégorique, le porc qu’il voudra ». Voilà, il y a de la place pour toutes les interprétations dans Le procès du cochon. On n’oublie bien sûr pas qu’il est aussi question des procès intentés aux animaux. Qu’un porcus diabolicus, animal impur, coûta la vie à un roi de France (à lire sur le sujet : Le roi tué par un cochon). L’auteur au final installe un tel flou temporel et laisse une telle place à l’interprétation qu’une lecture polysémique est incontournable.
La seconde partie du roman met en scène le procès du suspect. Il est effectivement théâtralisé puisqu’il se présente comme dans une pièce avec didascalies, présentation des personnages et dialogues. Il s’inscrit dans le sillon du théâtre de l’absurde avec ses didascalies proliférantes, ses dialogues souvent attendus et surtout l’inexistence des débats, le vide des discours. Oscar Coop-Phane caricature pour mieux critiquer, il ridiculise pour faire rire de la bêtise.
On rit moins pourtant quand vient l’heure de la sentence qui s’accompagne de tortures. La justice telle que rendue est un spectacle avec ses acteurs et ses spectateurs, une mise en scène sociale qui ne va pas sans superstitions ni rites. Le symbole est partout.
L’épilogue met en scène un « jeu » historiquement avéré : le jeu des aveugles. Nos frères humains, contre lesquels nos coeurs ne doivent pas être endurcis, faisaient se rencontrer dans une arène des aveugles et un cochon. Ces malheureux parias devaient tuer l’animal à force de coups pour se l’approprier. Le spectacle faisait bien rire. Si l’on considère que dans Le procès du cochon ce dernier représente l’asocial qu’il faut châtier et que dans ce « jeu », les aveugles symbolisent la Justice (celle qui a les yeux bandés), on mesure mieux la portée critique et satyrique du roman d’Oscar Coop-Phane.
Sur les procès d’animaux au Moyen Age et en particulier de cochons, on écoutera cette émission sur le procès de Falaise en 1386.

.
Le procès du cochon
Oscar Coop-Phane
Grasset, 2019
ISBN : 978-2-246-81237-1 – 124 pages – 12 €
Drôle de coïncidence, je suis en train de rédiger mon billet sur ce titre, je reviendrai donc lire le tien après ! J’avais aussi lu M^cherla poussière de cet auteur, que j’avais énormément aimé.
Je découvre l’auteur avec ce titre et j’apprécie que rien ne soit donné d’avance. J’irai lire ton billet avec intérêt.
Je viens de lire le tien suite au commentaire que tu as laissé sur mon blog. Notre divergence d’interprétation est en effet très intéressante, et démontre que l’auteur a réussi à provoquer à partir de son texte plusieurs pistes de réflexions (je ne sais plus d’ailleurs si c’est sur la 4e de couverture ou dans un article paru à son sujet que figure la mention « chacun y verra le cochon qu’il veut »?).
Je le relirai, c’est certain, j’ai entendu notamment beaucoup de bien à propos d’Octobre.
Je me demande si c’est intéressant quand on a lu Pastoureau (qui parle déjà longuement de cet épisode).
Je suis en train de le lire : passionnant !
que ça a l’air étrange et absurde! ça a donc tout pour me plaire!
Celui-ci me fait de l’oeil depuis quelques temps
Bon… je pense que je vais passer mon tour. J’étais hyper tentée pourtant. Mais j’ai peur de passer à côté.
Parce qu’en plus, s’est tiré d’une histoire vraie ? Hallucinant !
Tiens donc, voici un texte qui pourrait bien me plaire ! Merci pour la découverte, ça a l’air amusant comme tout ^^
Je l’ai noté pour une commande à la bib, lorsqu’il y sera
Je viens juste m’apercevoir que je l’ai déjà acheté !! Oh pinaise, mes neurones, ma mémoire….
Tu n’as plus qu’à le lire maintenant que tu l’as retrouvé (il est pourtant sorti il y a peu !).