Un roman policier historique qui se déroule dans l’Espagne de Philippe II, le roi bigot, voilà qui n’est pas fréquent et forcément intéressant. Édité chez Sonatine et traduit pas Claro : pas de raison d’hésiter avant d’ouvrir Les Diables de Cardona, premier roman de Matthew Carr.
En 1584, un prêtre catholique est assassiné dans son église. Profanation supplémentaire : son assassin a laissé des inscriptions en arabe sur les murs. En très haut lieu, on décide d’envoyer un enquêteur mais quelques précautions s’imposent : Belamar se trouve en Aragon où la justice de la couronne d’Espagne ne s’applique pas partout dans les mêmes termes. Il n’est pas question que l’Inquisition empiète sur les privilèges encore en cours. C’est Bernardo de Mendoza, avocat et ancien soldat qui s’y colle. C’est une bonne chose que cet homme tolérant mène l’enquête qui met rapidement en cause les morisques locaux.
Il s’agit de la population musulmane d’Espagne récemment convertie au catholicisme et soupçonnée, à tort ou à raison, de continuer à pratiquer secrètement leur religion. Et d’assassiner les prêtres catholiques, de violer les religieuses et de fomenter la rébellion d’un certain Rédempteur. Ils sont encore nombreux en Aragon (avant l’expulsion générale de 1609) et la comtesse de Belamar semble les protéger. Pourquoi cette magnifique jeune veuve si pieuse tient-elle tant à ses moricaux ? Son très méchant voisin le baron Vallcarca l’épouserait bien pour mettre la main sur ses terres.
Dès lors, on voit bien où va en venir Matthew Carr : d’un côté l’Inquisition catholique bornée et sadique, torturant à tour de bras, de l’autre les opprimés, coupables tout désignés car différents. A quoi s’ajoute un enquêteur ouvert d’esprit, non exempt de quelques tares au regard de la religion, son apprenti dévoué, innocent et admiratif et son cousin bon vivant et beau parleur. A saupoudrer de catholiques dévoyés et de morisques vertueux. On se doute vite de la leçon de tolérance qui sous-tend le roman : le musulman n’est pas forcément le terroriste. Soit. La conversion forcée n’est pas un bon moyen d’intégration. Soit. On ne peut pas reprocher à un auteur, que son éditeur présente comme spécialiste des religions, de vouloir délivrer de tels messages, toujours salutaires. Mais ils débouchent sur des romans peu surprenants. On a encore peu croisé d’inquisiteurs sympathiques (même si Valerio Evangelisti a réussi à faire de l’un d’eux le héros d’une série policière réussie).
Les Diables de Cardona aurait donc pu être un roman cousu de fil blanc à l’intrigue courue d’avance. Mais Mathew Carr est habile dans ses descriptions et installe une ambiance mystérieuse qui donne au lecteur l’envie de poursuivre sa lecture malgré l’aspect globalement moralisateur du roman. La démonstration par la fiction fonctionne grâce à un rythme toujours soutenu et un très bon sens de la narration. Les explications historiques s’intègrent bien à l’intrigue, sans pesanteur. Ce sont les personnages qui m’ont semblé moins convaincants. Bernardo de Mendoza est fortement inspiré de Guillaume de Baskerville et les autres sont peu subtils, sans doute trop modernes pour l’époque. J’ai cependant aimé les détails qui leur donnent vie et consistance comme la vieille blessure à la jambe qui fait toujours mal ou les douleurs après une journée à chevaucher.
Parce qu’il se déroule à une époque et en un lieu peu traités dans les romans historiques, Les Diables de Cardona est très recommandable. L’érudition de l’auteur ne fait pas de doute et il a su intégrer sa documentation et ses connaissances à l’intrigue sans l’alourdir. La lecture est plaisante, voire même instructive. C’est son aspect au final démonstratif qui me plaît moins.
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Les Diables de Cardona
Matthew Carr traduit de l’américain par Claro
Sonatine, 2018
ISBN : 978-2- 35584-666-3 – 439 pages – 23 €
The Devils of Cardona, parution originale : 2016
Malgré l’intérêt de l’époque historique et mon goût pour les polars, l’aspect démonstratif va m’énerver. Merci du non conseil, j’aurais pu me laisser tenter.
Je peux recopier mot pour mot le commentaire d’Athalie. En effet, défi, trouver un personnage d’inquisiteur pas trop négatif dans la fiction. Pas évident. Peut-être un des deux de Tyll UlEspiègle, n’est pas trop pire, mais c’est à voir.
Il avait tout pour me faire fuir, mais après avoir lu ton avis, je me dis pourquoi pas.