La mort se lève tôt de Ramón Díaz-Eterovic

La mort se lève tôtLes hard boiled ne sont plus l’apanage des auteurs nord-américains. Les latino-américains se sont mis au noir depuis longtemps, pour ce qui est de Ramón Díaz-Eterovic, la première enquête de Heredia date de 1985.

C’est aux éditions Métailié qu’en France on doit d’avoir fait connaissance avec lui, mais les traductions ne suivent pas l’ordre de publication : Les sept fils de Simenon, le premier à avoir été traduit en français est le cinquième opus de la série et La mort se lève tôt, le quatrième, Les yeux du cœur, le septième, et La couleur de la peau, le neuvième. L’obscure mémoire des armes, qui vient de paraître, est le treizième. De ce fait, alors qu’Heredia suit les transformations de la société depuis la fin de la dictature, le lecteur français ne suit pas chronologiquement cette période de transition.

Les enquêtes de Heredia, privé sans prétention qui se trouve malgré lui pris dans des affaires de grande envergure, se déroulent dans le Chili d’après Pinochet. Le dictateur n’est plus aux commandes mais la police elle, est toujours là, les militaires se sont recyclés et personne n’a oublié la villa Grimaldi et la DINA.

Le roman commence mal pour Heredia, qui garde en son cœur le souvenir de femmes généreuses. A peine a-t-il appris l’arrivée à Santiago de Fernanda, une journaliste, qu’il découvre qu’elle est morte d’une overdose dans un hôtel. Suicide conclut très vite la police. Herradia n’y croit pas, pas plus que son ami policer Dagoberto Solís : ses supérieurs se sont empressés de classer l’affaire, beaucoup trop compromettante. Alors Heredia cherche et bien sûr Heredia trouve : un autre journaliste est mort dans le même hôtel à quinze jours de là et deux jours après, un cuisinier. Et de fil en aiguille, il comprend que Fernanda enquêtait sur un réseau de trafic d’armes et de fabrication de gaz sarin. L’affaire est aussi confidentielle qu’étouffée car elle met en cause d’anciens militaires et de nouveaux mafieux, tout ce qu’il y a de plus démocratiques…

Ce que nous décrit Ramón Díaz-Eterovic à travers cette enquête, c’est que les comptes de la dictature n’ont pas été réglés. Les gens sont toujours là, les crimes n’ont pas été punis et la démocratie n’a pas apporté la justice. En ancrant ses romans policiers dans la réalité du Chili actuel, Ramón Díaz-Eterovic met en mots ce qui se tait, il traduit le ressentiment et exprime les sentiments d’injustice et d’insécurité de la population. Au final, une conclusion s’impose : si la dictature n’est plus là, la terreur règne encore.

S’il est ici beaucoup question de compromission et de trafics d’armes, Ramón Díaz-Eterovic n’en oublie pas pour autant de doter son héros d’une personnalité bien à lui, qui passe par le traditionnel appartement bordélique, le trop plein d’alcool et de souvenirs, le sens de l’humour et de la répartie, mais aussi une jeune femme qui vient mettre un peu de soleil dans sa vie. Et surtout, la belle trouvaille se nomme Simenon, le chat blanc avec lequel Heredia dialogue beaucoup, refait le monde et se remet en cause. Ils parlent aussi littérature, car Heredia est un grand lecteur. On découvre aussi un quartier de Santiago, Mapocho, rempli de marginaux et de bons à rien, de bars plus ou moins louches et de détectives vieillissants…

L’intrigue n’est pas primordiale dans La mort se lève tôt, elle n’est pas menée tambour battant et le suspense n’est pas intenable… Ce qui prime c’est la chronique sociale et politique, ainsi que le détective, un privé de plus certes, mais chilien, grand lecteur et amateur de chats…

La mort se lève tôt

Ramón Díaz-Eterovic traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg
Métailié, 2004
ISBN : 2-86424-487-X – 281 pages – 18 €

Angeles y solitarios, parution au Chili : 2000

40 commentaires sur “La mort se lève tôt de Ramón Díaz-Eterovic

  1. J’ai lu Les sept fils de Simenon, mais il y a assez longtemps et il ne m’en reste plus rien… Je pourrai peut-être relire cet auteur, il est invité aux Quais du polar la semaine prochaine.

  2. Le nom est si peu simple, en effet, qu’il m’a fallu me lever pour vérifier que c’est bien cet auteur que j’ai en attente, avec son dernier roman (et un chat sur la couverture, d’où mon choix)(le lecteur est parfois futile ^_^) et ce que tu dis est prometteur!

    1. Les noms hispanophones à rallonge ne sont pas toujours simples à retenir, tu es toute pardonnée ! Et je te souhaite donc d’apprécier cet auteur, avec cette enquête vraiment récente, pour ma part, je vais d’abord explorer les anciennes.

    1. Parfois, ça n’est pas trop gênant de ne pas suivre la chronologie des publications, mais ça le devient quand le personnage récurrent évolue dans son histoire personnelle. C’est le cas ici et en plus, le contexte change aussi énormément et l’oeuvre de Diaz Eterovic finit par constituer une chronique de l’après Pinochet, on peut y suivre l’évolution de la société… enfin pas « on », seulement ceux qui le lisent dans le texte original…

  3. Bon, je me disais, le hard-boiled, c’est pas pour moi et là, tu glisses cette dernière petite phrase innocente (l’est-elle vraiment ?)
    En ce qui concerne l’ordre de parution en français, ça devient une habitude !!!

  4. Je ne connaissais pas du tout non plus et… ça m’intéresse aussi à cause des chats !! (il faut bien une accroche, à chaque lecteur la sienne) Je note !

    1. Sont-ils si rares que ça les enquêteurs amateurs de chats ? C’est vrai qu’ils sont souvent très solitaires, pas de femmes officielles, pas d’enfants ou de loin, pas d’attaches. Mais le chat est un animal libre aussi, c’est pourquoi ils se trouvent des points communs…

  5. Un auteur qui aime les chats ne doit pas être tout à fait mauvais… et son discours critique m’attire bien aussi.
    Pas étonnant que j’aie un problème avec Proust, par contre, bof.

    1. Le problème avec Proust c’est qu’on part souvent très optimiste en se disant allez, j’entame la trentaine/quarantaine/cinquantaine… il est temps de lire La Recherche… et puis voilà, c’est quand même un brin consistant… J’en ai lu trois volumes pour ma part avec plaisir, quand j’étais étudiante, je ne sais si je m’y remettrai un jour…

  6. Un personnage que je retrouve toujours avec plaisir! Comme tu le dis, ce n’est pas tant l’intrigue qui compte que le contexte social et politique ainsi que la personnalité particulière de ce privé chilien très attachant…

  7. Mais pourquoi es tu aussi cruelle avec ma LAL? Tu ne vois donc pas qu’elle devrait faire régime? (Oui, je sais, je me cherche des excuses)

  8. C’est un auteur que je ne connais pas du tout mais j’adore les polars avec en toile de fond des sujets de société, alors je le retiens !
    Mon dernier roman sur le Chili a été « l’ombre de ce que nous avons été » de Luis Sepulveda : humour et constat implacable sur la société chilienne actuelle qui veut faire tomber dans l’oubli la dictature et ses crimes. Un bonheur de lecture.

  9. Moi je date en littérature chilienne avec mon Pablo Neruda et son Canto General !! Je vais essayer de noter celui-ci sans faire de fautes, tous les ingrédients que j’aime sont réunis et ton pouvoir de conviction a fait le reste…;)

  10. J’adore le Chili ! J’y avais fait un petit séjour il y a quelques années. Effectivement, j’ai rencontré des gens fabuleux, avides d’échanger des informations et nos impressions sur nos pays mutuels. Par contre, ils se fermaient comme des huîtres dès qu’on abordait le sujet de Pinochet…

  11. Ton billet m’avait donné envie de lire ce polar. C’est chose faite : j’ai beaucoup aimé le personnage d’Heredia avec ses citations, le chat Simenon et l’ambiance générale du roman. L’auteur nous montre bien que justice n’a pas été faite, les bourreaux de la dictature sont toujours là et agissent, protégés. Je pense continuer avec les 7 fils de Simenon. Merci Ys de m’avoir fait connaître cet auteur :o)

  12. Je découvre cet article en cherchant à constituer une bibliographie variée pour un challenge autour de l’Amérique du Sud, si cela vous dit de vous joindre à nous pour y partager vos coups de cœur concernant vos lectures autour de cette région du monde, n’hésitez pas. En tout cas, je note ce titre! Bonne journée!

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