Solaire de Ian McEwan

SolaireCe que j’aime chez McEwan c’est la subtilité avec laquelle il promène son lecteur dans les méandres psychologiques de personnalités tourmentées. Quand il fait trop glauque et volontairement malsain et macabre comme dans Le jardin de ciment, je ne le suis pas, mais par contre, j’ai trouvé Expiation remarquablement construit et Délire d’amour, lu plusieurs fois,figure parmi mes livres favoris. J’y admire son sens du romanesque (grandiose scène d’ouverture, jamais égalée à mes yeux), sa maîtrise de la description psychologique (et même psychiatrique) et la façon dont il met en scène la tension, peu à peu grandissante, angoissante.

Quand j’ouvre un livre de McEwan, mon horizon d’attente est donc bien balisé. Alors c’est d’abord l’étonnement qui se manifeste à la lecture des premières lignes, résolument humoristiques de Solaire. McEwan fait dans la comédie avec un personnage hautement ridicule, un physicien vieillissant, nobelisé, jamais pathétique tant il est égoïste. Il n’aime personne, ne pense qu’à lui et entame sans aucun chagrin son cinquième divorce. Sa femme, bien plus jeune que lui, le trompe, pour se venger de ses infidélités à répétition, avec un maçon (quelle honte !). Il ne s’en offusque pas, c’est de bonne guerre, mais enfin, cette infidélité le fait la regarder sous un angle nouveau, elle est vraiment très belle, alors qu’il est vieux et bedonnant, ça vaut peut-être la peine de la reconquérir… Mais ledit maçon lui colle une baffe, mieux vaut peut-être pour lui retourner à sa chère physique et à ses éoliennes. Car Michael Beard est à la tête d’un centre de recherche en énergies renouvelables hyper subventionné qui travaille sur son projet d’éoliennes à installer au-dessus de chaque foyer britannique. Mais n’allez pas croire qu’il est écologiste dans l’âme Michael, oh non, il est juste opportuniste et comme les énergies fossiles ne sont plus au goût du jour, il tente sa chance ailleurs. Quand un des jeunes chercheurs du centre lui parle d’énergie solaire, il fait la sourde oreille. Mais quelques années plus tard, à la suite d’un événement qu’il vaut mieux ne pas raconter, Michael Beard deviendra le chantre de l’énergie solaire et l’apôtre de la photosynthèse artificielle.

Il y a indéniablement quelques scènes très réussies dans ce roman, je n’en attendais pas moins : quand par exemple, lors d’un séjour au Spitzberg, Michael essaie de pisser à l’extérieur par – 20°, quand il déguste des chips au vinaigre dans un train ou quand une agression à la tomate trop mure le transforme en néo-nazi partisan de l’eugénisme. Des scènes de comédie très drôles, visuelles et dont le désagréable physicien est la victime pour le plus grand plaisir du lecteur.

Mais pour ces quelques scènes, que de longueurs ! L’interminable discours du Savoy par exemple plombe le roman en plein milieu, il est rempli d’explications inutiles dont le lecteur n’a rien à faire et qui durent bien plus que de raison. Le roman est d’ailleurs truffé d’explications scientifiques inutiles, dont McEwan a certes eu besoin pour l’élaboration de son intrigue mais qu’il aurait vraiment dû épargner au lecteur.

Il n’est jamais facile de choisir un anti-héros comme personnage principal, mais le pari est ici réussi. Ce physicien blasé endosse à merveille tout le cynisme des profiteurs de l’écologie, de ces opportunistes qui ne pensent qu’à faire de l’argent, pour qui le réchauffement climatique est une aubaine. Ce portrait est bien sûr l’occasion de montrer du doigt les excès de l’écologie et de la vague verte qui permettent à McEwan de donner libre cours à un humour qu’on ne lui connaissait pas. Il y a du Jonathan Coe et du Nick Hornby dans ce McEwan-là, dommage donc, vraiment dommage qu’il plombe son texte de digressions et de flash-back interminables.

J’ajoute qu’il serait temps que les éditions Gallimard octroie à Ian McEwan un traducteur attitré…

Ian McEwan sur Tête de lecture
 
Solaire

Ian McEwam traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
Gallimard, 2011
ISBN : 978-2-07-013081-8 – 388 pages – 21,50 €

Solar, parution en Grande-Bretagne : 2010

67 commentaires sur “Solaire de Ian McEwan

  1. Je n’ai pas réussi à apprécier : »Sur la plage de Chesil » mais je viens de lire ton billet sur « Délire d’amour » et celui-là je le note , surtout après ce que tu dis concernant l’ouverture de ce récit! J’éprouve une grande curiosité pour un début qui t’a tellement impressionnée!

    1. J’ai réussi à me procurer le film avec Daniel Craig adapté de Délire d’amour (pas sorti en France) : c’est tout juste si je ne tremblais pas en allumant, je craignais vraiment de ce que ce formidable pouvait donner. Et puis finalement, c’est assez réussi, même cette fameuse première scène qui est très visuelle finalement.

    1. Rha la la, quelle poisse ! Expiation est dans un genre totalement différent, il y est question d’écriture, d’amour et de vengeance, c’est très réussi aussi, moins psy que Délire d’amour, il faudrait que tu le tentes pour te réconcilier avec cet auteur.

  2. On partage la même vision de cet auteur, je privilégie donc plutôt Délire d’amour pour poursuivre ma découverte de l’auteur plutôt que celui-ci si tu parles de longueurs (et de Nick Hornby (^^)

    1. J’ai hésité pour la comparaison avec Hornby, parce que ce n’est pas la même veine, et surtout pas la même tranche d’âge traitée. Mais le ton est assez similaire (sauf que Hornby met en scène des personnages qui sont attachants malgré leurs défauts) et que la grande préoccupation est d’ordre sexuelle.

  3. Je viens de le commencer (en anglais) et je sèche un peu, j’ai un peu de mal avec les anti héros et celui ci me fait un peu penser au héros du dernier de J Coe que je n’ai pas vraiment aimé, j’avoue, je ne sais pas si je vais persévérer…

    1. Pour tout t’avouer, si ça n’avait pas été McEwan, j’aurais peut-être lâché l’affaire après les 100 premières pages… Je ne regrette pas d’être allée jusqu’au bout, mais il y a définitivement au moins 80 pages de trop à ce livre-là…

  4. Je passe mon chemin … mes précédentes lectures de cet auteur ne m’ont vraiment pas convaincue (ou alors elles m’ont convaincue de piquer un petit somme !). J’en ai encore un de lui dans ma PAL (Le jardin de ciment) et si ça ne fonctionne toujours pas, je n’essaierai même plus ! Il y a des auteurs avec qui on a des atomes crochus et d’autres non … et heureusement qu’on a tous des goûts différents 😉

  5. J’ai vraiment aimé Expiation, beaucoup plus que L’enfant volé (et je ne me souviens plus, je crois que j’ai lu aussi Un bonheur de rencontre…) Je me disais que j’attendrais la parution de celui-ci en poche. Mais je vais m’intéresser à délire d’amour et à La plage de Chesil…

  6. J’avoue que j’ai apprécié « Sur la plage de Chésil ». Et comme je voulais poursuivre avec cet auteur, j’ai dans ma PAL : « L’enfant volé » et « Samedi ». Si je lis un jour « Solaire », ce sera lorsqu’il sortira en livre de poche en attendant je récolte les avis des blogueuses pour me faire une idée.

  7. Bon, je vais rallier le plus grand nombre avec Délire d’amour pour faire connaissance avec ce grand monsieur qui adooore la science et les explications rationnelles ! Solaire m’endormirait je pense…

    1. L’aspect scientifique m’a aussi beaucoup surprise, ce n’est pas un thème courant chez cet auteur. Du coup, il a dû faire un gros travail préparatoire de recherches, qu’il n’a visiblement pas su oublier au moment d’écrire…

  8. Hélas, je n’ai pas encore lu de livres de cet auteur : je sens que je ne vais pas tarder à le découvrir malgré les longueurs dont tu parles… (En plus la référence à coe m’y incite beaucoup)

  9. Ah, dommage, j’espérais que celui-ci serait à la hauteur de mes préférés (Expiation, Samedi et Sur la plage de Chesil…) j’ai bien l’impression que non. J’attendrai le poche ou de le trouver à la bibliothèque.

  10. malgré ton petit reproche, ton billet me tente bien.
    j’ai été également assez impressionnée par la construction d’Expiation et j’ai rencontré l’auteur au salon du livre (et il est véritablement passionnant), du coup faut quand même avouer que j’étais déjà à moitié tentée 😉

  11. Je n’ai pas encore commencé ma découverte de cet auteur et suite à ton billet, je ne pense pas que ça sera avec ce livre-ci, même si le thème scienfitique et l’anti-héros me tentent bien à première vue. J’ai Amsterdam dans ma PAL mais les avis sont mitigés je crois…

  12. Après la fulgurance d' »Expiation », j’ai été très déçue par « Samedi ». Du coup, » Sur la plage de Chesil » végète sur ma pile, j’ai bien lorgné sur « Solaire » à sa sortie mais ne me suis pas lancée. En fait, au vu de ce que tu dis dans ton billet, la réconciliation aurait peut-être plutôt lieu avec « Délire d’amour » !

  13. Je m’en tiens donc aux titres notés, Expiation et Délire d’amour, pour prolonger ma découverte de cet auteur (dont le recueil de nouvelles Psychopolis ne m’avait pas plu).

    1. J’ai lu des billets en demi teinte pour le dernier Coe aussi, dont le héros semble ressembler à celui de McEwan ; je vais peut-être le tenter quand même…

  14. J’ai adoré le dernier Jonathan Coe, alors si le héros semble ressembler à Mr Sim, bah je me laisserais bien tenter… d’autant plus que Lire en dit le plus grand bien (des deux romans). Et puis j’ai aussi beaucoup aimé Expiation et Sur la plage de Chesil, je trouve que Mac Ewan a l’art de nous faire entrer dans la psychologie des personnages sans être long et ennuyeux. Il est très subtil.

  15. Ah zut un petit bémol sur les longueurs… Je l’ai noté en gros sur ma liste précisément pour ce que tu évoques à la fin de ton billet. Le résumé fait un peu penser à du Hornby et du Coe mélangé.

  16. Je me suis jetée dessus, et là c’est la douche froide… En plus, cette fois je n’ai pas l’impression que tu n’aies pas aimé pour les raisons habituelles (glauque etc, qui personnellement ne me gênent pas du tout chez cet auteur), du coup ça m’inquiète vraiment. On va croiser les doigts !

  17. Tiens, ton billet m’avait échappé? Je viens de terminer cette lecture (voyage en train = lecture) et franchement j’ai découvert un McEwan à mille lieues de La plage de Chesil et aussi d’Expiation (quoique). Franchement jubilatoire. Les longueurs? Je n’ai pas trop ressenti cela, sûrement à cause de mon lourd passé d’étudiante en maths physique… Pas subtil subtil, OK, il y a de gros sabots, mais McEwan y va à fond!!!
    Et je me disais (j’ai aussi lu le dernier Coe) que les anglais sont fortiches pour les romans. Peut être que ce sont mes goûts, mais je cherche des auteurs français qui me donnent la même sensation. Bello? Benacquista? Qui vois-tu?

    1. Je n’ai pas été réceptive au registre comique de McEwan, mais je comprends tout à fait que tu adhères, l’humour est vraiment propre à chacun. Côté auteurs français, tu imagines bien que je suis mal placée… Bello bien sûr… j’avais aimé aussi le premier roman de Jean-Baptiste del Amo, très romanesque, pas nombriliste, et le Cohen Hadria était pas mal aussi dans ce registre, juste un peu mal construit. Mais je ne lis vraiment pas beaucoup d’auteurs français…

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