Hommes entre eux de Jean-Paul Dubois

Ne connaissant pas Jean-Paul Dubois, on se demande bien ce qu’on va trouver dans les pages d’un livre intitulé Hommes entre eux. Il n’y a ici que deux hommes que tout oppose, réunis par l’abandon d’une même femme, Anna.

Paul Hasselbank, toulousain, est toujours le mari d’Anna même si elle l’a quitté depuis plusieurs années. Il a reçu une lettre d’elle postée à North Bay dans l’Ontario. Bien qu’atteint d’une maladie rare dégénérative qui le rend dépendant et le fait beaucoup souffrir, Paul décide de se rendre à North Bay. C’est là que vit Floyd Paterson dont Anna fut la compagne, lui ignorant qu’elle était mariée. Cet homme, c’est tout le contraire de Paul : un homme des bois, une force de la nature qui chasse à l’arc dans les grands espaces enneigés. Un colosse solitaire qui vit retiré dans sa grande maison, et n’en finit pas de penser à ce cœur qu’on lui a greffé, celui d’un meurtrier. Le lecteur suit tour à tour les deux hommes, puis les observe quand ils finissent par se rencontrer.

Car le lecteur se trouve dans la position de l’entomologiste qui derrière son microscope regarde se mouvoir les insectes. Dans ces grands espaces nus recouverts de neige, la vue est dégagée et se concentre sur les deux hommes. Quelques repères pourtant mettent en place un décor urbain et canadien qui n’est pas à l’avantage des habitants de ce pays. Il faut dire que Paul, plutôt un intellectuel, arrive au moment où se déroule la soirée locale d’Ultimate Fighting…

C’était le divertissement le plus répugnant auquel il ait jamais été convié. Ces combats sans règles ni limites étaient retransmis par les chaînes de télévision à péage qui réalisaient là leurs plus belles audiences. La recette était simple : à l’intérieur d’un ring ceint de hauts grillages, on enfermait deux hommes pêchés dans quelque torrent de misère avec pour instruction de s’entretuer comme des chiens de combat. Tous les coups, toutes les prises, toute la sauvagerie de la terre étaient ici requis. Pas de gants, pas de protections, pas de durée limite et surtout beaucoup de sang. Evidemment, pas d’arbitre ni de victoire aux points. Le gagnant, celui qui empochait la prime, était le survivant

Paul et Floyd ne se livreront pas à un tel combat de chiens, même enfermés seuls avec impossibilité de sortir. Même avec un Paul Hasselbank à l’agonie car dans l’impossibilité de prendre ses médicaments. A défaut de se déchiqueter, les deux hommes se tournent autour, s’observent dans une maison assaillie par la neige. Alors que la nature toute puissante triomphe à l’extérieur, souvenirs, fantômes et hallucinations travaillent en profondeur, fouillant leurs tripes. Ils reviennent à une sorte d’état originel, chaud et confortable mais carcéral où chacun affronte son double inversé.

L’écriture aussi âpre que les paysages, permet à Jean-Paul Dubois de dresser le portrait d’hommes blessés et à leur façon différente de faire face à l’abandon. Floyd Paterson reste debout, comme un grand animal fier et fort que la nature a endurci. Paul Hasselbank intériorise sa douleur et laisse la maladie le dévorer. Quoi qu’il en soit, portraits d’hommes fatigués, d’un monde qui retourne à la barbarie. Ces hommes qui ont aimé sont des survivants, êtres d’un autre temps. Mais l’amour n’est plus possible, il n’y a plus pour eux que l’absence et entre eux que cette nature dévorante, meurtrière au milieu de laquelle l’homme ressemble à un animal, y retrouve ses instincts. C’est fort et implacable comme une tragédie.

Jean-Paul Dubois sur Tête de lecture

 

Hommes entre eux

Jean-Paul Dubois
L’Olivier, 2007
ISBN : 978-2-87929-551-0 – 231 pages – 19 €

21 Comments

    1. En fait, je m’attendais à découvrir son humour, mais pour le coup, je n’ai pas choisi le bon titre, cependant tout à fait recommandable.

    1. Il a écrit beaucoup de romans, mais c’est à partir de ce titre que tu cites qu’on a vraiment entendu parler de lui dans les médias, quand il a eu un prix. Je le retenterai de toute façon, pour essayer aussi son côté humoristique.

  1. Je n’ai lu qu’une seule fois cet auteur et je n’en garde aucun souvenir, même pas le titre du livre ! Une certitude, ce n’était pas celui que tu présentes.

  2. Dans ma PAL, le seul titre que j’ai de Jean Paul Dubois et le sujet me plait beaucoup… De la neige, un huis-clos, un bras de fer entre des hommes « bruts », il ne me fallait rien de plus :0) Encore une fois tu as réussi à me convaincre qu’il faut que je le lise très vite…

  3. J’ai toujours sa vie française qui m’attend sur ma PAL, mais celui-ci me tente beaucoup pour le climat et les thèmes !! Je note …

  4. une vie française m’a laissé un très bon souvenir et le thème de celui-ci est plutôt tentant quoique sans doute plus sombre, hop noté !

  5. Salut Ys, les ayant tous lus car JP.Dubois est un de mes auteurs favoris, je dois dire que ce roman est un peu à part, peut-être une tentative de sa part pour atteindre à une autre reconnaissance, écrire son grand livre … Celui ci et une vie française sont ^à classer parmi ceux là. Mon préféré reste tout de même son premier roman : Tous les matins je me lève pour son humour, sa créativité et sa nonchalance. Dubois est un grand auteur. Et ton article est un très grand article.

    1. Merci Pierre. Je lirai d’autres titres de Jean-Pierre Dubois car si j’ai apprécié la lecture de celui-là, j’avais au départ envie de découvrir son humour.

  6. Il faudra que quelqu’un m’explique pourquoi les personnages de Dubois s’appellent toujours Paul et Anna…
    Sinon, j’avais beaucoup apprécié « Une vie française », moins « Les accommodements raisonnables ». Quant à « Vous plaisantez monsieur Tanner », il est distrayant !

  7. Moi aussi, je fais partie de ceux qui classent  » une vie française comme un des plus grand romans français de ces 20 dernières années,rien que cela!!!! Depuis je ne rate pas un seul Dubois, un des rares écrivains français qui arrivent à la hauteur des anglo saxons par sa prose et son ambition narrative, et ces « hommes entre eux » sont effectivement un peu différent de ce qu’il fait d’habitude…très visuel, tres cinématographique, le livre vire un peu à l’exercice de style mais extremement maitrisé… bonne soirée à toi!!!

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