La Souris bleue de Kate Atkinson

C’est dans La Souris  bleue qu’apparait pour la première fois Jackson Brodie, enquêteur récurrent  de Kate Atkinson. Qui dit enquête dit roman policier, même si le roman s’apparente d’abord à une chronique de mœurs. Nombreux sont les personnages, complexes les  intrigues qui s’entremêlent : ce n’est pas par hasard que l’éditeur a  choisi un labyrinthe pour illustrer la couverture…

Jackson Brodie a fait partie de la police mais travaille  désormais comme détective privé à Cambridge. Femmes adultères et chats  disparus font l’essentiel de son quotidien. Jusqu’à ce que l’étouffant été 2004  (j’y étais, l’asphalte fondait et collait aux tongs, du rarement vu…) soit l’occasion  de rouvrir trois vieux dossiers : été 1970, la petite Olivia Land, la  dernière de quatre filles, disparait alors qu’elle dormait avec sa sœur sous la tente dans le jardin : elle n’a jamais été retrouvée ; 1994 : alors qu’elle effectue un stage dans le cabinet d’avocats de son père, Laura, dix-huit ans, est égorgée par un inconnu sorti de nulle part et aussitôt disparu ; 1979 : Michelle, jeune mère de dix-huit ans fend le crâne de son jeune époux à coups de hache.

Alors que Victor Land vient de mourir, deux de ses filles, Julia et Amelia, retrouvent dans ses affaires la souris bleue, le doudou de leur petite sœur disparue. Elles engagent Jackson Brodie pour essayer de faire la lumière sur cette disparition grâce à ce nouvel élément. Dix ans après la mort de sa fille Laura, Theo demande à Brodie de retrouver le fou assassin que malgré son enquête la police n’a jamais identifié. Shirley, la sœur de Michelle, engage Jackson Brodie pour qu’il retrouve sa nièce Tanya.

Le lecteur s’interroge bien sûr sur les possibles points communs entre ces trois histoires exposées chacune dans un chapitre au début du roman. Rien ne les rapproche, si ce n’est la minutie avec laquelle Kate Atkinson pose ses personnages. En un chapitre, on prend pleinement la mesure de la famille Land : les quatre filles, la mère excédée, sans amour et encore enceinte, le père qui ne s’intéresse à rien d’autre que ses mathématiques sans jamais devenir le génie qu’il prétend être. Il en va de même avec Theo et l’amour qu’il porte à sa fille Laura, la prunelle de ses yeux après la mort de sa femme. Enfin, après un chapitre passé auprès de Michelle et de son bébé hurleur Tanya, le lecteur comprend tout à fait comment elle en vient à fendre le crâne de son mari…

Car c’est bien dans la mise en scène des personnages que Kate Atkinson excelle. Les intrigues n’existent que pour les animer, pour leur donner une raison d’être. Jackson Brodie est lui-même un personnage très fouillé. Il a quarante-cinq ans, une fille de huit ans, Marlee, qui vit avec son ex-femme et son nouveau mari. Il est seul, parents, frère et sœur morts, laissant derrière eux la culpabilité de celui qui vit encore. Désabusé mais toujours intéressé par les femmes (son ex, mais aussi sa dentiste), il s’ennuie globalement dans la vie, jusqu’à ce qu’il découvre qu’on en veut à sa vie. Car oui, depuis que les sœurs Land, Theo et Shirley lui ont demandé d’enquêter sur ces affaires oubliées, quelqu’un essaie de le tuer. Encore un élément pour pimenter l’intrigue, pour faire comme dans un polar où le danger rôde sans cesse. Et ça marche, car on l’aime ce Jackson à qui la vie n’a pas souri.

Le grand savoir-faire de Kate Atkinson permet au lecteur de passer en une même scène du rire aux larmes. Le seul exemple du dépucelage d’Amelia  Land est caractéristique. Toujours vierge à trente-cinq ans, elle décide de répondre aux avances d’un minable collègue. La scène est pathétique, voire glauque et pourtant on rit. Mais sans se moquer d’Amelia qui comme les autres est une chic fille passée à côté de la vie. Derrière la comédie de mœurs, c’est  la très grande solitude des êtres que peint Kate Atkinson. Ces gens frappés de près par la mort qui ne les a pas pris mais laissés seuls vivant avec un vide dans le coeur, symbolisé par la souris bleue.

Les personnages de ce roman sont nombreux, très nombreux, je  me félicite d’avoir pu le lire en une journée. Les différentes histoires s’emberlificotent puis se détricotent à coups de flash back, de changements de points de vue. Des personnages secondaires reviennent de loin en loin sans que leur rôle premier ou leur intervention précédente soit rappelé. Une lecture qui nécessite donc une attention soutenue, récompensée par le grand plaisir de lire un roman intelligent, à la structure très habile et aux personnages profonds tout en restant dans le registre de la comédie de mœurs.

Kate Atkinson sur Tête de lecture

 

La souris bleue

Kate Atkinson traduite de l’anglais par Isabelle Caron
De Fallois, 2004
ISBN : 978-2-87706-540-5 – 327 pages – 19 €

Case histories, parution en Grande-Bretagne : 2004

65 commentaires sur “La Souris bleue de Kate Atkinson

  1. J’en ai lu un autre, où j’ai dû deviner les détails du pasé de brodie, mais lire cette souris bleue me paraît utile (et hop, dans la liste à la bibli, on peut faire ça d’un clic sur internet…)

    1. Si c’est possible, j’essaie de lire ce genre de série dans l’ordre, même si pour les enquêtes, ça peut se lire individuellement. Les auteurs soignent tellement l’évolution de leurs enquêteurs aujourd’hui, que leur histoire personnelle est parfois aussi intéressante que le reste. Il est loin le temps des Hercule Poirot…

  2. J’aime beaucoup Kate Atkinson, son humour, et ses personnages, que je trouve irrémédiablement sympathiques.. Tiens, cela me fait penser que cela fait longtemps que je n’ai pas lu l’un de ses romans..

      1. « Dans les coulisses du Musée » est un livre magnifique, mais il a été mal traduit et l’émotion que j’ai éprouvée en le lisant en Anglais ne passe pas en Français. Je l’ai prêté à pas mal de gens, en Anglais, beaucoup l’ont adoré!

      2. Merci pour ces précisions. C’est vrai que la traduction est très importante, elle fait (ou non) passer le livre. Quand un auteur a un style vraiment particulier, j’imagine que c’est un travail difficile. Le traducteur n’est pas le même pour La souris bleue et Dans les coulisses du musée, c’est peut-être ce qui a fait la différence pour moi…

  3. j avais beaucoup apprécié « dans les coulisses du musée  » mais c’est vrai qu’on se perd dans ce roman, mais j’avais bien aimé , alors je lirai sans doute celui-là
    en une journée! pourquoi?
    tu veux battre des records de vitesse?
    Luocine

    1. En une journée parce que c’est le genre de livre complexe, à multiples personnages, qui s’apprécie mieux quand on n’en hache pas trop la lecture. Quand je peux le faire, je m’offre une journée tout en lecture…

  4. C’est un roman que je veux découvrir.
    Pour info, France3 diffuse dimanche soir à 20h50, la série « Jackson Brodie, détective privé » (avec Jason Isaacs dans le rôle de Jackson) dont le premier épisode (en deux parties) n’est autre que « la Souris Bleue ». (Puisque cette série est bien sûr adapté des romans de Kate Atkinson).

  5. J’aime beaucoup cet auteur ! Je n’ai lu que « La souris bleue » et « Dans les coulisses du musée », mais je ne désespère pas de trouver le temps de lire les autres un jour prochain.

  6. Une auteure que je vais découvrir dans les jours à venir. J’ai emprunté le seul trouvé à ma bibliothèque « Les choses s’arrangent mais ça ne va pas mieux »

  7. Une comédie de moeurs avec tout un tas de personnages et d’histoires qui s’emberlificotent, ce n’est pas trop ma tasse de thé. Au moins un que je ne noterai pas^^

  8. J’ai beaucoup aimé les personnages de ce roman, le ton, la tristesse, la drôlerie, le burlesque, le tragique, mais aussi que les intrigues ne soient pas exactement jointes aux entournures, que cela grince un peu dans les rouages de ce qui aurait pu être un simple roman puzzle. De ce que j’ai pu lire, c’est toujours bien kate Atkinson. J’ai, contrairement à toi, adoré  » Dans les coulisses du musée », je vais, du coup, aller voir ce que tu lui reproches …

    1. En effet, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont nuancés ces personnages, pas comme ça bien gentils ou carrément détestables. Comme dans la vie…

  9. J’ai adoré ce premier volet et je m’étais promis de découvrir la suite rapidement, ce que je n’ai jamais fait bien entendu :-/ Mais j’en ai un dans ma PAL, c’est un bon début !

    1. Va savoir : il y a tellement de livres dans nos PAL… l’avoir sous la main n’est pas forcément un gage de lecture prochaine…

  10. Ha la la ce que j’ai aimé ce livre, j’ai même acheté les 3 autres dans la foulée et toujours pas eu le temps de les lire car comme toi, je préfère y passer la journée, voire deux mais pas plus pour ne pas m’y perdre ! C’est vrai qu’elle cumule les bons points en mêlant tragi-comique, suspense sur fond de tristesse sociale… Amélia me plaît beaucoup ! 🙂

    1. Brodie semble s’installer avec Julia… du coup, je me dis qu’on va les revoir ces soeurs… C’est qu’Amélia est plus paumée, plus attendrissante… Dommage que Binky soit morte.

  11. J’ai un peu du mal avec Atkinson. Pourtant, beaucoup de monde me l’a conseille. J’ai regardé un bout la série sur F3 et ai enregistré les épisodes qui semblent pas mal.

  12. J’ai lu le dernier paru en français, je ne savais pas que Jackson Brodie existait avant « Parti tôt, peix mon chien » et pourtant « La souris bleue » est dans ma PAL… Je l’ai regardé à la télé hier soir, quand même !

  13. Je n’ai jamais lu cette auteure, mais j’ai regardé les deux premiers épisodes de la série télé, La souris bleue, plutôt pas mal. Je crois que je vais regarder les autres. par contre, après il me sera difficile de lire les bouquins. Dans le sens livre, puis film, ok, dans l’autre sens, j’ai plus de mal

  14. J’ai déjà eu rendez-vous avec cette auteure mais ce que tu dis de ce roman me refroidit : nombres de personnages et les intrigues qui s’entremêlent mais il est court et dense alors je vais peut-être me laisser tenter si je le croise à la bibliothèque.

  15. Ah tout à fait comme toi 🙂 j’aime Atkinson et j’ai aimé la souris bleue pour ses personnages 🙂 même si l’histoire tient la route (elle a du talent la dame) Il y a quelques jours, la télé a passé une adaptation de la souris bleue, pas mal pas mal… un peu lente peu être mais sympa 🙂

    1. J’essaie de mettre la main sur cette série ce week-end : si ceux qui ont aimé le livre l’ont trouvé réussie, ça confirme mon envie.

  16. Il est dans ma PAL depuis belles lurettes!
    Je pense l’avoir reçu lors d’un swap, et je ne l’ai pas encore ouvert! (SHAME ON ME).
    Et en plus, ce n’est pas l’envie qui me manque de l’ouvrir!
    Vais remédier à ça cette année.
    En plus, au vu de ta chronique positive, ça motive encore plus.

  17. J’ai beaucoup aimé Kate Atkinson: un peu de fraîcheur « so british » dans une écriture jamais ennuyeuse ni figée. Quel bonheur! La souris bleue m’a emportée au coeur d’un jardin anglais où, comme il se doit, traîne un vieux secret à la Agatha Christie. J’ai trouvé bien du charme à ce marsupial coloré…

    Dans un autre genre, qui a lu Karoo ????

  18. Alors il faut VOUS JETER DESSUS. C’est clair, c’est le meilleur bouquin que j’aie lu depuis Enfant 44. C’est dire le niveau. C’est l’histoire d’un Newyorkais totalement déjanté, alcoolique mais pas que, affublé d’une famille zarebi et notamment d’une femme imbuvable comme les Américaines savent l’être. Un type qui se cherche et dont la lucidité et le regard qu’il pose sur le monde qui l’entoure font froid dans le dos. Mais avant tout, et surtout, Karoo c’est une écriture. Brillante, prenante, enlevée, qui ne laisse pas un instant de répit au lecteur.
    A lire séance tenante. Enfin, si vous le trouvez, parce qu’il n’y a guère de libraires qui connaissent l’existence de l’éditeur: Monsieur Toussaint Louverture. Rien que ça! Et ça ne s’invente pas….

    1. Je te comprends assez, ça perd un peu de son charme de connaître la fin d’un roman policier, même s’il a d’autres attraits.

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