La narratrice de ce roman est une écrivain barcelonaise. Elle n’est jamais nommée mais Carme Riera fait en sorte qu’on pense qu’il s’agit d’elle. Il n’en est rien, mais l’illusion autobiographique fonctionne très bien et donne à La moitié de l’âme un fort ancrage réaliste.
Lors de la Sant Jordi, un inconnu remet à la narratrice un dossier cartonné susceptible de l’intéresser. Agacée par les manuscrits qu’on lui remet souvent et certaine que c’en est un, elle l’oublie et surtout déchire la carte de visite que l’inconnu lui donne également. Elle s’en repentira car dans ce dossier qu’elle ouvre par hasard des mois plus tard, il y a des lettres de sa mère, des lettres qu’elle a écrites à son amant.
Cecília Balaguer, la mère de la narratrice, est morte en 1960 quelques jours après son arrivée en gare de Port-Bou, alors que sa fille avait dix ans. La narratrice ne sait pas grand-chose de la mort de cette mère belle et froide, en dehors de ce que son père lui a dit. Elle va même se rendre compte qu’elle ne sait rien d’elle du tout. Elle décide alors, en 2001, de rencontrer les personnes encore vivantes qui ont connu sa mère, de marcher sur ses traces, à Paris, là où elle retrouvait son mystérieux amant alors qu’elle disait venir soigner son père malade, jamais rentré d’exil.
La narratrice comprend que son père, qu’elle aimait beaucoup et dont elle était très proche, n’était probablement pas son père génétique, et elle s’imagine un autre père, plus héroïque, moins phalangiste.
A partir de cette nuit-là, la possibilité que mon père fût un républicain espagnol ou un résistant français luttant contre la dictature de Franco devint pour moi une certitude presque absolue. J’avais la conviction que j’étais la fille de quelqu’un qui avait placé ses idéaux politiques au-dessus de sa vie privée, et dont l’engagement pour la cause de l’humanité était aussi au-dessus de l’amour qu’il pouvait ressentir pour Cecília.
La narratrice soupçonne que sa mère n’est pas morte renversée par une camionnette mais s’est suicidée. Ou qu’elle a été assassinée parce qu’elle en savait décidément trop sur certains sujets de haute sécurité. Elle voit s’écrouler ses certitudes en même temps que son passé, elle ne sait plus qui elle est. Elle consulte des documents familiaux restés dans un grenier, fouille dans les archives et surtout lit des biographies de personnalités très célèbres à l’époque. Car l’idée se fait jour dans son esprit et elle finit par en être certaine : son vrai père, l’amant de sa mère, était un très célèbre écrivain…
L’enquête familiale est si convaincante, le mélange de réalité et de fiction si bien mené que le lecteur curieux ne peut que s’interroger sur l’importance de la part autobiographique : Carme Riera est-elle la fille illégitime du grand écrivain en question… ? Au-delà de l’énigme littéraire, quasi policière, le lecteur découvre une femme, Cecília Balaguer, issue d’une famille pauvre, dont le père maquisard a été déporté et la sœur tuée dans les camps nazis, et qui s’est mariée avec un phalangiste, seule façon pour elle d’échapper à la misère.
Peu à peu se dessine sous le portrait officiel d’une épouse aimante quasi modèle, le visage d’une femme amoureuse, défendant ses convictions politiques. Une femme plus mystérieuse et passionnée que ce que la Barcelone franquiste a pu imaginer. Alors qu’elle cherche son père, c’est surtout une mère que la narratrice va découvrir. Déjouant les pieux mensonges et les caprices de la mémoire, elle est en passe de retrouver la moitié de son âme…
Une présentation de Carme Riera.
La moitié de l’âme
Carme Riera traduite du catalan par Mathilde Bensoussan
Seuil, 2006
ISBN : 2-02-082356-X – 222 pages – 21 €
La Meitat de l’ànima, parution en Espagne : 2004
Huuuuum alléchant tout ça !!!!! Tu m’as mis l’eau à la bouche, je note.
Je la découvre avec ce titre et espère bien prolonger cet découverte grâce au salon.
j ‘ai très envie de lire c e ivre là tu en parles de façon très convaincante …
Tout m’attire dans ce que tu dis: le sujet, le style et la construction romanesque
Luocine
Je suis ravie de te donner envie, d’autant plus qu’elle me semble peu connue ici.
comme c’est tentant ! tu en parles si bien, noté !
Je suis ravie de donner envie !
Chouette, en plus il existe en poche !
Je ne vérifie pas toujours, quand j’emprunte à la bibliothèque, les livres sont souvent grand format.
J’ai adoré ce livre. Cette façon de nous embarquer dans cette histoire, de raconter l’espagne franquiste, Camus….. ton billet me fait penser que je voulais lire d’autres livres de cette auteure.
On a de la chance puisqu’il y en a plusieurs traduits en français.