Yellow Birds de Kevin Powers

Yellow BirdsBartle, vingt-et-un ans, est le narrateur de Yellow Birds. Il a été soldat en Irak, raconte sa guerre, ainsi que l’après. Quelque chose comme l’impossible retour. C’est que Bartle a juré à la mère de son copain Murph, dix-huit ans, qu’il ne lui arriverait rien, qu’il le ramènerait à la maison. Mais Murph est mort et Bartle est revenu seul. Seul et chargé du poids de la culpabilité. On fait de lui un héros alors qu’il se sent lâche. Il s’isole, se cache, tente de vivre avec ses démons et ses mensonges puisqu’il sait qu’il ne pourra jamais les chasser.

En plus de lire beaucoup de bien partout de Yellow Birds, premier roman de Kevin Powers, j’ai regardé une interview qui m’a beaucoup marquée. Presque dix ans ont passé depuis qu’il est rentré d’Irak, il est apaisé autant qu’on peut l’être et pourtant, on le sent blessé à jamais. Il a l’air d’un tout jeune homme, comme si la guerre ne l’avait pas marqué physiquement. Il parle avec calme de son expérience, ne se prononce pas sur la guerre elle-même, sur son inutilité, et pourtant sur la fin, il dit à demi-mots que tout ça a été vain, que des hommes sont morts pour rien, qu’on leur a menti. C’est à la fois sobre et poignant.

Tout comme ce roman qui donne à voir et entendre toute cette jeunesse désœuvrée, qui part à la guerre à défaut d’autres projets de vie ou pour se prouver quelque chose, et qui n’est pas du tout prête à vivre ça.

…en vérité, c’est la lâcheté qui t’a mis dans ce pétrin parce que tu voulais être un homme : les autres se moquaient de toi, te poussaient au réfectoire et dans les couloirs du lycée parce que tu aimais lire des livres et de la poésie parfois, et ils te traitaient de pédé, et, au fond de toi, tu sais que tu y es allé parce que tu voulais être un homme, et cela n’arrivera jamais désormais, parce que tu es trop lâche…

S’ils sont physiquement entraînés, ils n’ont psychologiquement pas les moyens d’affronter la souffrance et la mort.

Kevin Powers choisit dans Yellow Birds de faire alterner les époques, avant la guerre, pendant et après, afin que l’on ne comprenne qu’à la toute fin comment Murph est mort. Tout le long du livre, on tourne autour de la mort, on sait qu’elle va venir, qu’elle est là, à attendre son tour, à épier, à rendre nerveux lecteurs et soldats. D’un mot à l’autre elle imprègne tout, même la vie. Une fois rentré au pays, le soldat n’en a pas fini avec la guerre, elle le traque toujours, incrustée dans son crâne et le rattrape effectivement quand il va devoir expliquer la mort de Murph. Un an de guerre et toute une vie de cauchemars.

L’infini tristesse qui se dégage de ce roman n’empêche pas d’apprécier la très belle langue de Kevin Powers qui débuta en écriture par la poésie. Certains passages sont émouvants par leur simplicité, d’autres touchent au lyrisme sans la moindre grandiloquence. C’est le discours d’une âme perdue, brusquement expulsée de l’humanité, et c’est beau.

Pourtant, Murph était là, flottant dans un méandre du Tigre, passant dans l’ombre de la butte où Jonas était enterré ; ses yeux n’étaient plus que des trous pleins d’eau, les poissons ayant déjà commencé à grignoter sa chair. Je me sentis obligé de me souvenir de lui précisément, car la mémoire est porteuse de sens, et personne d’autre ne saurait jamais ce qui s’était passé, peut-être pas moi-même. Je n’y arrive toujours pas vraiment. Lorsque j’essaie de m’en rappeler dans le détail, je n’y parviens pas. Lorsque j’essaie d’oublier, le souvenir revient d’autant plus vite et avec d’autant plus de force. Sans trêve. Et alors ? J’ai ce que je mérite.

Yellow Birds

Kevin Powers traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson
Stock, 2013
ISBN : 978-2-234-07398-2 – 249 pages – 19 €

Yellow Birds, parution aux Etats-Unis : 2012

33 commentaires sur “Yellow Birds de Kevin Powers

  1. Allons bon, pas vu le filtre, bon c’est moins ch… que chez blogspot, 1+7= je sais faire même si tôt, mais je recopie mon commentaire siiiiiiiiii intelligent. ^_^
    Pour dire que je l’ai feuilleté à la bibli, adore fin de partie pour l’autre soldat, là, mais peut être ai-je envie d’une pause avec ce conflit;

    1. Je trouve intéressant de lire les deux romans car le point de vue est totalement différent.
      (et désolée pour le filtre, mais à plus de 1000 commentaires indésirables par jour, je craque un peu…).

      1. J’étais tentée pour les mêmes raisons. Bon, il est à la bibli, rien n’est perdu.
        1000 commentaires indésirables? Ma pauvre, tu es repérée! (pour ma part j’ai une demi douzaine d’anonymes en anglais , que je supprime, donc c’est gérable) Fort heureusement le filtre est facile, mais efficace. (Des maths niveau primaire, merci)(et pas un machin illisible qu’on doit rafraichir cinq fois)

  2. Les quatre exemplaires de mes bibliothèques sont empruntés, mais je me le garde pour la rentrée, je le réserverai. (avec le système de réservation pour les vacances, tout ce qui est intéressant est emprunté et bloqué jusqu’au 3 Septembre … c’est le moment d’écluser ma PAL).

    1. Je suis ravie que ce livre ait du succès. Bien sûr, ça le rend moins disponible en bibliothèque, mais l’envie ne se fait que plus pressante…

  3. 1000, rien de moins! Je n’en ai que 1 par semaine genre. Quand je ne suis pas chanceuse… Pour revenir dans le sujet, je note avec empressement. C’est un sujet qui m’intéresse toujours vu que j’ai plein de copains dans l’armée.

    1. Je te souhaite d’avance une bonne lecture. Je suis certaine que ce livre te plaira, c’est une très belle langue, en tout cas très bien traduite.

  4. Il est dans ma LAL prioritaire et je suis contente de lire ton billet car, en dehors des critiques dithyrambiques de la presse, j’ai plutôt lu des avis mitigés sur la blogo. Le livre de Jonas de Stephen Dau me tente également beaucoup, sur un thème un (tout petit) peu similaire.

    1. Un article dans la revue « Transfuge » parlait de trois auteurs américains qui ont récemment écrit sur la guerre : Kevin Powers, Ben Fountain et Stephen Dau. Ayant aimé les deux premiers, je lirai le troisième si l’occasion se présente.

  5. J’ai longtemps hésité avant de le lire, il est disponible depuis janvier, je l’ai reçu pour le masse critique de Babelio, je dois en rédiger un avis et c’est la panne sèche, j’en ai également apprécié le contenu, son écriture, sa manière de raconter, simple.

    Merci pour le lien sur l’auteur.

    1. Généralement, j’écris un billet dès que j’ai fini un livre. Ce ne fut pas le cas pour celui-là, il m’a bien fallu trois semaines pour aligner deux mots dessus… je te comprends donc parfaitement…

    1. Très différents oui mais aussi forts. Et pour l’un y est allé et l’autre pas, l’un décrit la guerre sur le terrain et l’autre pas. Le Ben Fountain me séduit parce qu’il est très grinçant.

  6. Alors là tu m’embêtes… parce que ça y est, j’ai le Ben Fountain et je pensais lire seulement celui-ci et non celui-là. Bon ben… je suis d’une terrible naïveté.

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