Sous-titré « Meurtres rituels et sorcellerie au cœur de Londres aujourd’hui », L’Enfant dans la Tamise peut sembler rébarbatif. Pourtant, c’est un ouvrage passionnant, non seulement par ce qu’il révèle mais aussi par la façon dont il est écrit. Richard Hoskins, spécialiste des religions et pratiques culturelles africaines collabore avec la police britannique en tant qu’expert. Ce livre raconte entre autres comment il est devenu cet expert.
Alors qu’il est jeune marié, Richard Hoskins part au Congo (le Zaïre à l’époque, aujourd’hui République Démocratique du Congo) en mission humanitaire pour son Église. Il vit des années dans la brousse, au contact des villageois dont il apprend la langue, le lingala, et les coutumes. Il apprend aussi à les connaître et à les comprendre, à des lieues donc d’une attitude colonialiste ou même paternaliste. Sa femme enceinte accouche de jumelles trois mois avant la date prévue, en pleine brousse. L’aînée des jumelles meurt mais la seconde, Abigail, survit, malgré ses neuf cents grammes à la naissance. C’est un beau bébé plein de vie. Un jour qu’elle est un peu fiévreuse, un habitant vient trouver Richard Hoskins pour lui recommander de procéder à un sacrifice animal : il libérera Abigail de l’emprise de sa sœur morte qui l’appelle. Bien que troublé, le jeune père rejette ces pratiques. Quand Abigail meurt subitement dans son berceau, le doute et le remords s’emparent de lui.
Les Hoskins rentrent en Grande-Bretagne, Richard entame des études de théologie, se jurant de ne plus retourner au Congo. Promesse qu’il se fera à chaque nouveau voyage…
Richard Hoskins ne raconte pas telle quelle sa jeunesse. L’histoire de son premier séjour au Congo s’intercale entre les chapitres consacrés à sa première enquête en tant qu’expert, celle de l’enfant dans la Tamise. En septembre 2001, on repêche le tronc d’un enfant noir vêtu d’un short orange. Aucune piste, aucun témoin, aucun indice. Les recherches ne peuvent se concentrer qu’autour de l’ADN (mais il n’y a personne auquel le relier) et du contenu de ses intestins. Et là, les scientifiques vont faire des merveilles, secondés par les conclusions de Richard Hoskins. Il a tout de suite l’intuition que ce meurtre est lié à un sacrifice. Ses recherches vont confirmer cette piste, ainsi que les analyses minéralogiques sur les os et les viscères : l’enfant était originaire du Nigéria.
Les services de police britannique passeront dix ans sur cette enquête et Richard Hoskins sera sollicité sur bien d’autres. On fait appel à lui pour des maltraitances à enfants dans des affaires qui ressemblent à des rituels africains. Il va activement participer à l’enquête autour du meurtre de celui que faute de mieux la police a appelé Adam, l’enfant dans la Tamise. Il cherche, il explicite, il court le monde, au prix de son premier mariage. Aujourd’hui Richard Hoskins se bat contre les sévices infligés à des enfants au cours de cérémonies rituelles.
Richard Hoskins tient à faire comprendre que le sacrifice humain et la torture d’enfants ne sont pas des pratiques ancestrales des civilisations africaines. Le kindoki, qu’on pourrait appeler le mauvais sort, était jadis traité par des amulettes ou des conseils. Depuis l’émergence des Églises revivalistes en Afrique, qui pullulent et font de très nombreux adeptes, le kindoki se traite par l’exorcisme. Pratique très violente qui passe par la privation d’eau et de nourriture, les coups et les sévices pouvant entraîner la mort si le sujet est réfractaire. Les sujets en question sont très souvent des enfants ou des adolescents, torturés à mort par des membres de leur famille pour chasser le démon. Âgé de six ans, le petit Adam a été emmené en Grande-Bretagne pour y être ainsi exorcisé et en est mort. D’autres enfants, parfois nés sur le territoires britannique, sont eux envoyés en Afrique pour y être exorcisés.
Richard Hoskins se rend à plusieurs reprises au Congo et ne peut que constater l’escalade de la violence. Le pays livré à lui-même et au pillage des grandes nations se révèle dangereux, même pour lui qui le connaît et qui en pratique la langue. Il manque d’être lynché à Kinshasa. Sur ce terreau, les nouvelles Églises chrétiennes prospèrent, permettant à des pasteurs sans scrupules de faire fortune. A la faveur de l’émigration, de telles pratiques s’exportent en Europe, notamment en Grande-Bretagne.
Il apparaissait clairement que les rituels d’exorcisme en Grande-Bretagne étaient, comme nous nous en doutions, le fait de mouvements chrétiens fondamentalistes. Parfois, les exorcismes étaient pratiqués dans des églises (ou dans ce qui en tenait lieu) par des professionnels, des exorcistes itinérants qui passaient de groupes chrétiens dissidents en mouvements charismatiques, chassant les démons du corps de pauvres enfants terrorisés. Mais la demande avait explosé au point de pousser certains parents à pratiquer les exorcismes eux-mêmes, chez eux.
Le phénomène prend en Europe une ampleur importante, au point qu’en 2002 a lieu une conférence européenne sur le meurtre rituel à La Haye. Richard Hoskins y participe en tant qu’expert culturel. Les procès aboutissent à des condamnations pour sévices, pour violences ayant entraîné la mort, mais les enquêtes permettent également de démanteler des réseaux d’immigration illégale et de trafics d’être humains depuis l’Afrique. Au Congo où règne la violence, les enfants sont des proies faciles. Beaucoup sont rejetés par leur famille car l’Église les accuse d’être la proie du kindoki.
L’ouvrage se révèle donc passionnant à plus d’un titre car il aborde de multiples sujets dont les mutations du Congo depuis la guerre civile n’est pas des moins intéressants.
Parce qu’il a choisi de s’impliquer personnellement dans son livre, Richard Hoskins facilite l’approche et la compréhension des problèmes. Il ne s’agit pas de froide théorie mais bien de l’expérience d’un homme qui partage ses doutes, ses incompréhensions et ses convictions. Loin du compte rendu universitaire, L’Enfant dans la Tamise privilégie l’humanisme et le réalisme en prise avec l’actualité. A ce titre, il peut même se lire comme un roman policier.
Les illustrations de cet article sont tirées de Witch Child Documentary (en anglais non sous-titré), accablant documentaire dans lequel Richard Hoskins enquête à Londres et au Congo sur l’influence des Églises revivalistes sur les croyances africaines ancestrales, en particulier le kindoki.
.
L’Enfant dans la Tamise. Meurtres rituels et sorcellerie au cœur de Londres aujourd’hui
Richard Hoskins traduit de l’anglais par Marie Causse
Belfond, 2015
ISBN : 978-2-7144-5818-6 – 381 pages – 21 €
The Boy in the River, parution en Grande-Bretagne : 2012
Sacré sujet ! Je ne suis pas sûre de le lire, mais cela semble extrêmement bien documenté et présenté…
Je sais que le sujet n’est pas tentant. Mais ouvrir les premières pages, c’est s’embarquer avec cet homme incroyable, sur ses traces, avec sa femme dans cette brousse sauvage et dans son devenir d’expert. il a le recul du temps et pourtant il présente tout ça comme s’il venait de le vivre, comme un roman aussi, avec les moyens du genre pour faire de ce documentaire à la fois un témoignage et un livre à suspens souvent très émouvant.
En tout cas, tu es convaincante !
Bonjour Sandrine,
Je suis aussi en train de le lire en ce moment et c’est bien…
De plus, c’est un excellent complément pour ceux qui ont lu « Lagos lady » qui parle de ces meurtres rituels.
Parfait, raison de plus pour que je note et souligne ce Lady Lagos. M’étonne pas vraiment qu’on soit en phase : il y a beaucoup de choses sur Nyctalopes qui me font envie, surtout de l’américain, mais là en l’occurrence, c’est au moins aussi bien.
effroyable mais je le mets sur ma liste.
Oui c’est affreux. J’ai regardé le documentaire juste après : il est à hurler. Ces Églises chrétiennes qui martyrisent les enfants, on a vraiment du mal à comprendre ça. Les populations sont aveuglées par des « pasteurs » qui se font de l’argent avec des croyances délirantes. Je serais curieuse de savoir ce que le pape pense de ça, ce qu’il fait contre…
Ces sujets me revoltent. Je pense que c »est inexorable. Les gens se rattachent a tout et notamment a ce type de pseudos églises
Bien loin de tout le romantisme habituel sur les pratiques ancestrales ce livre me plaît avant de l’avoir lu. Merci
Dans l’ouvrage comme dans le reportage, Richard Hoskins va aussi voir de vrais gardiens des traditions, des hommes qui connaissent le kindoki pour ce qu’il est et qui n’exploitent pas la crédulité des gens. Il est certain que les Africains ont des croyances bien à eux, mais ce que les nouvelles Églises en font aujourd’hui est juste scandaleux et les anciens le dénoncent.
Pas trop ce que je lis en ce moment, mais c’est bien que ce type de travail bien documenté existe.
Oui, Richard Hoskins nous ouvre les yeux sur une réalité méconnue. D’ailleurs, il est le seul spécialiste au monde de ces rituels qui collabore avec la police (la combinaison entre théologien et fin connaisseur des cultures africaines ne doit pas être si courante…).
Malheureusement le crime rituel ou pour le rituel est toujours très présent en Afrique. Si l’on observe chaque campagne présidentielle législatives ou autre, on voit nettement la correlation qu’il peut y avoir avec l’augmentation des crimes . Je ne connais pas bien l’Afrique anglophone, mais l’Afrique Centrale est à la pointe dans ce domaine.
C’est terrible. Dans le documentaire TV, on voit tous ces enfants abandonnés par leurs familles qui les pensent posséder. On voit ces pasteurs ouvrir le ventre de gamins avec une lame de rasoir pour en faire sortir le Malin… Comment l’Église laisse faire une chose pareille…
Passionnant ce livre ! et tu donnes vraiment envie de le lire. Je vais voir si je peux le trouver en biblio…
Je suis ravie de donner envie de le découvrir : c’est un livre très riche qui m’a beaucoup appris et donné aussi envie d’en savoir plus.
wow, ça c’est du billet ! 🙂
Je savais que ça me plairait quand j’ai écouté l’émission, mais je ne pensais pas être enthousiaste à ce point : encore merci !
Une lecture qui doit être dérangeante.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça secoue. mais on apprend beaucoup et on en sort enrichi.
Je suis très tentée, même si c’est un sujet douloureux. J’ai eu l’occasion d’aborder ce sujet des sacrifices avec une amie qui vit depuis des années au Gabon. Lors des périodes d’élection, notamment, de nombreux enfants disparaissent, victimes de sacrifices censés faire triompher tel candidat…
C’est horrible… j’ai beau lire, essayer de comprendre, j’a dû mal avec des gens à ce point fanatisés, crédules qu’ils font souffrir leurs propres enfants… Si le sujet t’intéresse déjà, je suis certaine que ce texte te passionnera tout comme moi.