L’inde est un pays terriblement exotique, vu d’ici. Découvrir sa littérature peut s’avérer déconcertant, aussi le choix du roman policier rassure-t-il un peu : le genre a ses codes et déroule une intrigue qui va d’un problème à sa solution, dans la plupart des cas. Anita Nair n’est pas une habituée du genre, mais elle vit à Bangalore, ville dont elle trace aussi le portrait à travers ce roman.
L’inspecteur se nomme Borei Gowda et partage bien des points communs avec nos enquêteurs occidentaux. La cinquantaine, il vit désormais seul depuis que sa femme est partie vivre près leur fils à Hassan, officiellement pour le surveiller. Jadis très prometteur, il a commis une bourde qui a ruiné sa carrière et l’a abonné aux commissariats de seconde zone. Détesté de son supérieur qu’il tient pour un abruti, il boit trop et son humour cinglant en déconcerte plus d’un. Pourtant, tous les petits nouveaux veulent travailler sous ses ordres tant il est réputé intègre et efficace.
Le jeune inspecteur qui va faire les frais de l’humeur massacrante de Gowda s’appelle Santosh. Il a fait des pieds et des mains pour travailler avec lui et va avoir un rôle déterminant dans l’affaire de l’inconnue de Bangalore. Dans cette ville immense, on retrouve un homme le crâne fracassé et le cou serré par une ficelle enduite de morceaux de verre. Puis on en trouve un autre, et encore un autre. Gowda soupçonne un tueur en série, mais Gowda n’est pas de la Criminelle et ronge son frein. Et enquête quand même car il est comme ça Gowda, quand il a une piste, il ne la lâche pas.
Sans que le lecteur sache à qui elle appartient, s’élève aussi une voix, celle d’un homme qui parfois s’habille en femme et s’en va de par les rues séduire les hommes. Très souvent, ils ne se rendent pas compte qu’ils ont affaire à un transsexuel, un eunuque, un chakka. Quand ils s’en rendent compte, certains deviennent très violents. Ainsi assiste-t-on à une bagarre de rue, un homme se défend, reconnaît la femme pour ce qu’elle est, accuse. Le corps de l’homme est retrouvé brûlé vif.
L’enquête se resserre autour d’un député municipal dont la gouvernante est un chakka et qui, dit-on, entretient tout un groupe d’eunuques qui vit chez lui, dans sa superbe maison, lui le fils d’un pauvre ivrogne violent. Le député sent la corruption à plein nez, mais qu’en est-il de ses préférences sexuelles, lui qui n’est pas marié et vit entouré d’hommes habillés en femmes ?
C’est dans un monde bien étrange que nous entraîne Anita Nair avec L’inconnue de Bangalore. Le dépaysement est immédiat, on est tout de suite oppressé dans cette ville qui compte plus de 11 000 habitants au kilomètre carré… En plus d’une culture et de mœurs différents, elle choisit de dévoiler à son lecteur le monde des transsexuels. On sait que l’Inde est un pays peu enviable pour les femmes, qui y sont victimes entre autres d’un grand nombre d’agressions. Pour ces femmes qui n’en sont pas vraiment, la vie peut être un enfer sur terre… Elles sont sans cesse humiliées, doivent vivre cachées, se prostituer pour survivre. Ce qu’Anita Nair nous montre, c’est une femme qui tombe amoureuse, qui a envie de séduire, de plaire, d’être aimée, mais sait que son histoire d’amour se terminera en drame au moment où elle dévoilera qui elle est vraiment.
Borné sur d’autres sujets, l’inspecteur Gowda est l’un de ceux qui se montrent tolérants envers ces femmes. Il n’est pas pour autant attiré, d’autant moins que lui revient d’Angleterre une ex-petite amie qui le trouble profondément. Voilà qu’à la cinquantaine en berne, le démon de midi revient frapper à sa porte. De même que son grand fils…
Grâce à sa maîtrise du roman policier, Anita Nair attache le lecteur à son intrigue et le tient en haleine jusqu’au bout. La véritable originalité du roman tient dans l’univers décrit, et l’accent mis sur les complexes rapports entre hommes et femmes en Inde. Anita Nair passe au scalpel ses personnages quasi exclusivement masculins et révèle leurs failles et ambigüités. Sans en avoir la sécheresse ou la lourdeur (dans le pire des cas), son roman a des allures d’enquête sociologique, de reportage au plus près d’une population marginalisée. Elle ne se contente donc pas de transposer une intrigue et des personnages classiques dans son pays mais nous immerge bel et bien dans une mentalité et des traditions en nous faisant toucher du doigt une réalité très inhabituelle.
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L’inconnue de Bangalore
Anita Nair traduite de l’anglais par Dominique Vitalyos
Albin Michel, 2013
ISBN : 978-2-226-24684-4 – 391 pages – 22€
Cut Like Wound, première parution : 2012
J’avais lu ce roman à sa sortie, et plus que l’aspect policier, c’est la peinture d’une société et d’un pays si différent du nôtre que j’avais appréciée.
Oui je suis d’accord. Ce roman a un indéniable aspect sociologique, que le côté policier rend facile à aborder, surtout pour les Occidentaux qui ne connaissent pas le pays.
J’ai essayé deux fois de lire cette auteurs -la deuxième fois pour ton rendez vous – sans succès, je n’accroche vraiment pas…
Je n’étais pas sûre d’accrocher, je crois qu’elle a pas mal écrit sur le destin de femmes indiennes et je pensais avoir du mal avec ce genre de sujet. C’est pourquoi j’ai choisi un roman policier et tout s’est bien passé 🙂 Je te le recommande du coup…
Je confonds avec les hijras ou c’est pareil?
J’ai cherché suite à ma lecture et effectivement,, on croise beaucoup plus le terme « hijras » en Inde que celui de « chakka ». Mais il y a en Inde beaucoup de langues différentes. Celle de la région du Karnataka (capitale : Bangalore), est le kannada… j’en ai appris des choses…
ce sont les seuls romans policiers qui m’attirent, ceux qui me font découvrir un monde que je ne connais pas. (je trouve ma phrase bizarre … comme si je connaissais le monde du crime! disons que le crime ne m’intéresse pa s rop)
Ta phrase est très claire ! Et n’hésite donc pas à tenter ce roman policier-là : immersion garantie !
Il est dans ma PAL depuis sa sortie. J’avais adoré Compartiment pour dames du même auteur et du coup, j’avais craqué pour le roman mais je n’ai pas encore trouvé le bon moment. Je crois que je devais d’abord digérer mon voyage en Inde avant de m’y replonger 😉
Mais ton billet me donne envie de le sortir bientôt.
Si tu connais le pays, je suis certaine que tu n’apprécieras que mieux ce roman !
Je garde un souvenir fort de Compartiment pour dames lu il y a bien 10 ans. J’avais adoré ! Je vous aurais bien rejoint pour cette LC car j’aimerais poursuivre ma découverte de l’univers d’Anita Nair, mais là, je ne suis plus ma PAL…
Si tu l’aimes, je ne doute pas que tu la retrouveras avec plaisir. J’ai apprécié ce roman policier et vu l’enthousiasme des lecteurs, si je retente l’aventure avec elle, se sera certainement avec Compartiment pour dames.
Policier et sociologie en toile de fonds … Cela pourrait me plaire (dit la fille qui a eu du mal à finir le dernier policier qu’elle a eu dans les mains:-))
Le sujet est intéressant, je note 🙂
Le sujet est en tous cas original. A part ça, le mélange entre dénonciation d’une situation en Inde et policier me fait beaucoup penser à Kishwar Desai, au cas où tu cherches une autre lecture du genre. J’avais lu La mer d’innocence, pas sans défaut, mais intéressant.
Merci pour ce conseil !
Il me semble que j’ai déjà lu cette auteure 🙂 en tout cas partir à la découverte d’une ville et d’un pays à travers un polar, C’était tout à fait mon truc 🙂
Moi aussi : je me vois bien faire un tour du monde en polars 😉
J’avais bien aimé cette lecture, une de mes premières incursions en la littérature indienne
J’ai lu aussi Tarun Tejpal qui me plait vraiment beaucoup.
j’avais beaucoup aimé « compartiments pour dames » mais je n’ai jamais relue cette auteure.
Je le ferais éventuellement avec celui-ci.
Ce Compartiment pour dames semble faire l’unanimité…