Chanson douce de Leïla Slimani

chanson douceCinq ans ont passé depuis que Chanson douce a obtenu le prix Goncourt et deux ans depuis son adaptation cinématographique par Lucie Borleteau. J’ai bien fait d’attendre. Le déferlement médiatique me rend souvent réticente et il me fait placer la barre de mes exigences très haut. Je lis aujourd’hui ce livre dans un cadre professionnel, je n’en attends donc rien personnellement. Mais en tant que lectrice, je m’avoue moins enthousiaste que prévu.

Pour son deuxième roman, Leïla Slimani s’inspire d’un fait divers américain : la nany tueuse. Elle imagine un couple de trentenaires, Myriam et Paul, à la recherche de la nourrice idéale à domicile. Ils travaillent beaucoup, gagnent très correctement leur vie et souhaitent trouver une nounou pour s’occuper au quotidien de leurs deux enfants. Louise est sans aucun doute cette perle rare.

Cette veuve qui vit seule dans un minuscule studio de banlieue peut consacrer tout son temps à cette famille qui devient peu à peu la sienne, pense-t-elle. Jour après jour, ses talents la rendent indispensable.

Plus les semaines passent et plus Louise excelle à devenir à la fois invisible et indispensable. Myriam ne l’appelle plus pour prévenir de ses retards et Mila ne demande plus quand rentrera maman. Louise est là, tenant à bout de bras cet édifice fragile. Myriam accepte de se faire materner. Chaque jour, elle abandonne plus de tâches à une Louise reconnaissante. La nounou est comme ces silhouettes qui, au théâtre, déplacent dans le noir le décor sur la scène. Elles soulèvent un divan, poussent d’une main une colonne en carton, un pan de mur. Louise s’agite en coulisses, discrète et puissante.

Le suspens n’en est pas un puisque Leïla Slimani a choisi de commencer par le drame : du sang, des enfants morts, une tentative de suicide. Dès lors, le lecteur souhaite savoir comment la charmante nounou s’est transformée en tueuse. Je pense que ce choix narratif est judicieux car il soutient l’attention d’un lecteur qui sinon pourrait s’ennuyer ferme. Le quotidien de cette femme est terne et l’écriture factuelle, dénuée de toute psychologie ou empathie, ne facilite pas la lecture. Mais l’écriture doit-elle être aussi morose que le quotidien qu’elle décrit ? La tension n’est pas palpable, on ne sent pas s’installer la folie. Au contraire, le roman s’emballe dans son dernier quart de façon un peu artificielle.

L’intérêt de Chanson douce se révèle plus documentaire que littéraire. Le roman dévoile le quotidien de femmes quasi invisibles, qui se résument souvent à une fonction. Indispensables auprès des jeunes enfants, elles sont remisées au placard les week-ends et quand les enfants grandissent. Comme des objets dont on n’a plus l’utilité et dont on se souvient à peine. La couleur des sentiments, roman de l’Américaine Kathryn Stockett travaille sur cette même thématique des rapports ambigus entre domestiques et patrons au sein des espaces intimes que sont foyer et famille. Ici, on touche du doigt la condition de ces bonnes d’enfants à travers le statut de Louise économiquement faible et socialement très seule. Elle se donne tout entière à cette famille qui ne veut pas de cet investissement affectif.

On ne sent pas dans l’écriture la violence que subit Louise. Elle semble étrangère à ce qui lui arrive. Si le but était de décrire les mécanismes psychologiques qui conduisent à l’infanticide, c’est raté tant on reste distant. Louise reste aussi énigmatique que les raisons qui ont poussé le jury du Goncourt à couronner ce roman.

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Chanson douce

Leïla Slimani
Gallimard (Folio n°6492), 2018 (édition originale : 2016)
ISBN : 978-2-07-276492-9 – 244 pages – 7,50 €

13 Comments

  1. En tous cas, il ne m’a pas marqué, j’ai dû aller relire ma vieille note pour me souvenir de ce que j’en avais pensé… et nos avis se rejoignent : « J’aurais aimé toutefois que Leïla Slimani développe davantage la psychologie de son personnage principal, nous fasse toucher du doigt les mécanismes de sa démence, nous immerge dans la densité de ses obsessions… à l’instar du couple Massé, le lecteur assiste à son basculement un peu à distance, regrettant le manque d’intensité de l’ensemble. »

  2. Comme toi, j’avais attendu, sans attendre en fait, puisque finalement, c’est par hasard qu’une amie m’ a prêté ce titre … J’avais apprécié la thématique, finalement, mais, comme toi également, le traitement romanesque m’avait paru artificiel et superficiel. Le personnage de Louise est peu crédible, sa duplicité est trop caricaturale, on sent la « fabrique ».

  3. Je suis d’accord avec toi, le succès de ce roman est sociologique. La garde d’enfants est un sujet brûlant dans les grandes villes où les femmes travaillent et sont loin de leurs familles. C’est un sujet de genre, de classe sociale et de race (pas dans le roman) et qui suscite des discussions très aiguës – qui dépassent largement l’ampleur de ce roman.

  4. J’ai le sentiment à te lire que la forme (le style d’écriture) du roman a parfaitement épousé le fond (le discours de l’Autriche) à savoir cette mise à distance sociale d’un être humain, son surengagement et le peu de reconnaissance qui en découle. C’est peut-être en cela que ce roman a aussi été primé. En tout cas, ton avis malgré tes nuances me motive davantage à lire cette oeuvre dont le drame initial raconté m’effraie quand même.

    1. Je reprends mon com
      J’ai le sentiment à te lire que la forme (le style d’écriture) du roman a parfaitement épousé le fond (le discours de l’autrice) à savoir cette mise à distance sociale d’un être humain, son surengagement et le peu de reconnaissance qui en découle, même si ces arguments ne justifient en rien la psychopathologie. C’est peut-être en cela que ce roman a aussi été primé. En tout cas, ton avis malgré tes nuances me motive davantage à lire cette oeuvre dont le drame initial raconté m’effraie quand même.

  5. Bonjour. Je découvre cette chronique que je comprends. Ma note n’avait pas été excellente non plus. Mais je pense que la linéarité de l’écriture montre toutefois à merveille la linéarité de l’escalade vers un inévitable pourtant prévisible. Un reflet d’une vie où les choix de société assignent à chacun des places qui ne sont pas les leurs au profit d’une carrière, d’un prestige. C’est le récit d’un drame sociétal! Il faut le lire comme tel et réfléchir aux modèles de réussites que nous voulons promouvoir.

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