
Maryam est née à Téhéran juste après la révolution islamique de 1979. Elle a d’ailleurs bien failli ne pas naître puisqu’alors qu’elle est enceinte de sept mois, sa mère saute par une fenêtre du deuxième étage pour échapper aux fous furieux qui crient « Allah Akbar ! ». Jeunes étudiants, ses parents font partie de mouvements communistes qui luttent contre le pouvoir de l’Ayatollah Khomeini.
Maryam devenue grande raconte son enfance, sa grand-mère, ses amis, ses parents militants, son jeune oncle emprisonné. A six ans, il faut tout quitter car ses parents ont décidé de vivre en France. Incompréhension, déchirement de la petite fille, qui n’est pas prête pour le communisme : elle ne veut pas donner ses jouets aux enfants pauvres du quartier.
Ces scènes d’enfance alternent avec des épisodes plus récents dans un récit sans chronologie mais toujours au présent ce qui le rend très vivant. On retrouve Maryam et ses parent dans leur triste 15 m² de la rue Max-Dormoy, Maryam à l’école ou étudiante. Quelle que soit la période de sa vie, il y a toujours un tiraillement en elle entre ses identités française et iranienne. Où quelle soit désormais, elle est toujours une étrangère, prise entre deux cultures, comme tous les immigrés.
L’imagination comble sa solitude ainsi que des scènes imaginaires au cours desquelles elle retrouve sa grand-mère ou sa mère qui lui parlent et l’aident à grandir, à faire les bons choix.
La construction qui fait alterner les scènes de la vie quotidienne et les portraits permet d’appréhender l’évolution de Maryam. L’obstination voire l’entêtement est certainement un de ses traits de caractère, mais elle ne manque pas d’humour. Jeune femme séduisante à Paris, « l’exilée romanesque » joue de ses charmes persans comme d’une arme de séduction massive. Elle mesure ce qui la sépare des Iraniennes qui subissent les violences des Fatmeh Commando, la milice des bonnes mœurs. Celle-ci s’attaque aux femmes mal voilées ou vêtues de façon provocante.
De « manière provocante » veut dire dans l’intention de violer l’esprit pur et chaste de l’homme qui s’efforce de na pas être tenté par ces créatures diaboliques mais qui a l’esprit tellement bien placé dans le cul et le sexe des femmes que le moindre poil féminin le fait sortir du droit chemin.
Maryam dit aussi sa solitude à l’école, l’incompréhension qui l’entoure, le racisme, sa mère qui dépérit en France. Elle raconte son apprentissage du français qui prend forme dans son monde intérieur, l’oubli du persan pour mieux s’intégrer puis la nécessité ensuite de le réapprendre. Quand elle maîtrise la nouvelle langue, elle a honte de ses parents qui multiplient les fautes.
Durant toute mon enfance et mon adolescence, je priais pour que mes parents se taisent devant mes amis. Je voulais même les présenter en disant : « Voici mes parents, ils sont muets, hélas. »
Cette citation représente bien le mélange de tons, à la fois tragique et drôle, qui fait de Marx et la poupée un roman riche, un roman du dilemme qui trouve une solution dans l’acte d’écrire. Le mélange des genres et les identités plurielles sont les moteurs d’une écriture riche et dynamique, qui ne résout pas les contradictions mais les utilise.
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Marx et la poupée
Maryam Madjidi
Le Nouvel Attila, 2017
ISBN : 978-2-37100-043-8 – 208 pages – 18€
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À sa sortie, j’avais eu des échos qui disaient ce roman trop décousu mais tu me donnes envie.
Il n’est certes pas chronologique, mais pas décousu pour autant.
Pourquoi pas en tout cas !
Lu à sa sortie mais pas commenté : je me demande pourquoi, puisque j’avais bien aimé…
Parce qu’on ne peut pas passer son temps à écrire des chroniques 😉
Un billet qui me donne très envie merci
J’en suis ravie : j’espère que ce livre te plaira.
Ce billet donne envie, je crois que je l’ai commencé un jour et abandonné à cause de l’écriture… mais je n’en suis pas sûre…
Ah bon ? Pourtant c’est facile et agréable à lire malgré les allées et venues dans le temps…
Je voulais le lire et puis d’autres titres sont arrivés … éternelle histoire. Mais il n’est pas trop tard, surtout vu l’actualité en Iran.
J’en garde un bon souvenir. Le titre m’avait interpellé.
Moi aussi : il est excellent.
Je ne connais cette romancière. Il y a une période où j’ai lu quelques auteurs iraniens comme le fameux roman graphique de Marjane Satrapi (« Persepolis ») ou les livres de Zoyâ Pirzâd (« Le goût âpre des kakis ») et Shahriar Mandanipour (« En censurant un roman d’amour iranien »)
Je vais lire aussi bientôt Abnousse Shalmani.
Ah tiens, je ne connais pas non plus.
Très tentant. Je devrais avoir plus de vies pour lire tout ce qui me tente.
Le principal, c’est d’avoir toujours envie !
C’est ça, et ce n’est pas toujours gagné d’ailleurs…
Je n’étais pas du tout tentée par ce titre à sa sortie, je le pensais un peu léger vu le sujet. Visiblement, ce n’est pas le cas et en plus, le commentaire précédent me remat en mémoire Le gout âpre des kakis … Et hop, une note et deux livres de plus !
J’ai trouvé l’approche très intéressante, avec une pointe d’humour. Les exilés pratiquent souvent très bien l’humour d’ailleurs, je pense qu’il permet de mettre littérairement le drame à distance;