Ar-Men d’Emmanuel Lepage

Le phare d’Ar-Men au large de l’île de Sein, en mer d’Iroise, est surnommé par ses gardiens l’Enfer des Enfers. Mythique, il existe pourtant bel et bien et tient toujours debout, contre vents et marées, au sens propre.

Comme d’autres avant lui, Emmanuel Lepage choisit de raconter sa construction qui pourrait être légendaire tant elle est incroyable et extrême dans tous les domaines. C’est que ce phare n’a pas été construit sur une pointe ou une île mais sur un caillou émergeant à peine de la surface des flots. Il se situe à l’extrémité de la chaussée de Sein, une bande de mer parsemée de rochers. Aborder sur Ar-Men, le nom du caillou est donc un exploit ; se tenir dessus pour y construire quelque chose en est un autre, plus périlleux encore.

Il le faut pourtant, il faut construire un phare pour éloigner les bateaux qui depuis des siècles viennent s’échouer là.

Au cours des premières années de sa construction, le total des heures de travail effectif est compris entre une et deux dizaines. Par an. C’est qu’il n’est abordable que par grandes marrées, quand la mer se retire très loin. Et qu’à part les Sénans, personne n’accepte d’aller risquer sa vie pour planter deux gougeons. Et puis, les naufrages améliorent le quotidien de misère des habitants alors, s’il n’y en a plus, comment survivront-ils ?

La construction d’Ar-Men est ici une histoire dans l’histoire. Le récit cadre met en scène Germain dans les années 60, nouveau gardien qui comme les autres reste vingt jours dans le phare avec un collègue avant d’être relevé. Mais la mer étant imprévisible, il est parfois, souvent, impossible d’effectuer la relève des gardiens. Alors il faut attendre.

Heureusement, la patience est une qualité du gardien de phare. Il est aussi souvent taiseux et lourd d’un passé douloureux. C’est le cas de Germain et de son collègue Louis. Ils sont venus s’enterrer à Ar-Men, s’enterrer en pleine mer, se couper du monde et entretenir leur peine. Ils vivent avec elle, comme morts.

Emmanuel Lepage peint magnifiquement la mer. Ses tempêtes sont superbes, on est mouillé par les vagues, submergés par les bourrasques. Au loin, les cris des naufragés.

La triste histoire de Germain est belle, on la devine petit à petit tout en douceur et douleur. Ça manque peut-être un peu de… d’originalité ?

A ce récit-cadre se mêle donc celui de la construction du phare avec Moïzez, enfant naufragé qui jeune homme participa à la construction avant d’en être le premier gardien et d’écrire sa vie sur les murs.

J’ai trouvé dommage qu’Emmanuel Lepage insère une troisième histoire, celle de la ville d’Ys, proche certes s’il en est, mais très folklorique. C’est comme s’il avait voulu mettre le plus de bretonitude possible dans cet album. De fait, il y en a un peu trop et on se serait passé de Dahut et Gradlon. D’autant plus que le graphisme de ces pages-là est beaucoup moins réussi.

Donc on se régale côté graphisme, c’est superbe, mais le scénario trop chargé est moins convaincant.

Cette bande dessinée d’Emmanuel Lepage inaugure un cycle d’ouvrages sur Ar-men dont vous n’avez pas fini d’entendre parler sur ce blog…

Pour écouter mon texte sur la construction du phare d’Ar-men (pour « Historiquement Vôtre » de Stéphane Bern).

Pour feuilleter le livre.

 

Ar-Men, l’Enfer des Enfer

Emmanuel Lepage
Futuropolis, 2017
ISBN : 978-2-7548-2336-4 – 91 pages – 21 €

16 Comments

  1. On aime beaucoup Emmanuel Lepage à la maison. Il me semble d’ailleurs qu’Ar-Men est dans notre bibliothèque et je ne suis pas sûre de l’avoir lu.

      1. Voilà, c’est chose faite et je ne suis pas déçue ! J’ai mis un petit lien vers ta recension à la fin de mon billet

  2. Assez d’accord avec toi. J’avais beaucoup aimé Un printemps à Tchernobyl, moins La Lune est blanche, qui fait un peu histoire de garçons (pas assez de place aux scientifiques, trop au plaisir du camion) et celui-ci je ne l’ai pas terminé. C’est beau, mais le récit n’est pas très bien conduit.

Laisser un commentaire