
L’histoire littéraire nous a appris qu’Émile Zola était mort dans son lit, asphyxié par les émanations de son poêle. Cette version officielle est contestée et Jean-Paul Delfino prouve dans ce livre qu’il y a de quoi.
En 1902, Zola a 62 ans. Il est admiré voire adulé par les prolos, le peuple, les gens de rien et de pas grand-chose auxquels il a donné la parole de façon si réaliste. Il a de son côté quelques gens de gauche et bien sûr les dreyfusards. Mais la très grande majorité des gens de lettres le détestent. Il est pour beaucoup l’Italien, alors qu’il est né à Paris (de père italien) et à grandi à Aix, mais aussi le roi de l’ordure qui a sali la littérature et bien sûr, le pire des crimes sans doute, l’ami des Juifs. On aurait pu lui pardonner sa littérature visqueuse mais défendre Dreyfus, c’est insupportable.
Zola a donc contre lui des hommes qui sont à la fois écrivains, hommes politiques et hommes d’influences. Et ces gens-là veulent le voir disparaître. Jean-Paul Delfino privilégie une piste, qu’il dévoile dès le début du texte : Édouard Drumont. Journaliste et écrivain (La France juive, 1 200 pages…), il est un des chefs de file de l’extrême droite française. Et pas l’extrême droite d’aujourd’hui, non. Les antisémites de l’époque ne se cachent pas et ne font pas dans le politiquement correct : ils déversent ouvertement leur haine et sont très virulents. Zemmour, c’est de la blague à côté. Ils pratiquent quotidiennement la haine raciale dans les journaux, appellent à la violence et insultent sans limite.
Zola est une de leurs cibles favorites et il a eu droit à tout. Il a été traîné dans la boue, attaqué personnellement, dénigré pour ses œuvres. Parce qu’il reste un symbole pour le peuple, Drumont pense que sa mort peut déclencher un sursaut, une révolte qui permettrait de renverser le pouvoir en place, l’exécrable République.
Assassins ! est construit sur une alternance de chapitres : ceux qui concernent la préparation de l’assassinat et ceux qui racontent Zola, en particulier son enfance. Il est dans son lit, s’empoisonnant peu à peu, et revoit quelques événements marquants de sa vie. Il ne s’agit pas d’une biographie, mais d’épisodes que Delfino imagine marquants. Ceux-ci permettent de mieux comprendre l’écrivain qu’il est devenu. Il a connu la misère, les privations, l’ostracisme. Il a connu l’amour aussi et fait deux enfants à sa bonne. Il était myope et zézayait… la porte ouverte à la moquerie. Tous ces détails font du Grand Écrivain un homme. J’ai particulièrement apprécié les quelques moments durant lesquels Zola imagine le comportement de Dreyfus qui va le rencontrer pour la première fois, lui qui a tout fait, tout donné et beaucoup perdu pour le sauver alors qu’il ne le connaissait même pas. Le grand homme se fait un film, c’est le moins qu’on puisse dire…
Mais j’ai de loin préféré les chapitres sur la préparation de l’assassinat car ils sont surtout des portes ouvertes sur la vie sociale et littéraire de l’époque. Ces Mauras, Barrès, Drumont sont des gens éduqués, cultivés, croyants (n’est-ce pas le pire ?!), des écrivains doués et pourtant des antisémites acharnés qui ne se sont pas contentés de détester les Juifs, mais qui ont aussi appelé à la discrimination, à la haine et à la violence. Et j’aimerais comprendre pourquoi. J’aimerais comprendre pourquoi des gens comme eux peuvent haïr à ce point d’autres êtres humains uniquement pour une question de religion. Ça me dépasse mais ça me fascine aussi. C’est l’âme humaine qui me fascine, je crois que c’est entre autre pour ça que je lis…
Assassins !
Jean-Paul Delfino
Héloïse d’Ormesson, 2019
ISBN : 978-2-35087-546-0 – 236 pages – 18 €
Te lisant, il me vient à l’esprit que les ouvrages de Dominique Khalifa sur les bas-fonds et les faits divers de la Belle Époque devraient fortement t’intéresser (mais en fait avec les podcasts que tu prépares, tu les connais peut-être déjà par coeur ?).
J’aime bien le « visqueuse » pour décrire la littérature de Zola !
Ses ennemis les plus acharnés étaient des lettrés qui choisissaient les adjectifs adéquats 🙂
Oui, je connais Kalifa notamment sur les Apaches : très intéressant.
J’adore le postulat de départ !Je note. Très belle année à toi !
Ça donne bien à réfléchir. Bonne année à toi de même.
J’ai écouté plusieurs fois des émissions de radio (FC sans doute) sur ce thème-là. C’est une énigme qui ne sera sans doute pas percée, mais il y a matière à réfléchir …
Oui en effet, c’est troublant et tellement probable…
Une lecture qui pourrait m’intéresser sur l’époque de Zola.
On apprend pas mal de choses.